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endant improductifs 14 % des ceps français en 2015, les maladies du bois laissent groggy le vignoble, qui se résout à arracher pour mieux replanter, en attendant une solution de la recherche. Un fatalisme secoué par trois praticiens des dépérissements de la vigne, accueillis ce 9 février par les Vignerons indépendants de Bordeaux dans leur maison. Ces trois experts martèlent en effet qu’il est possible de refaire de la vigne une culture pérenne, en revenant aux gestes justes et à un certain bon sens.
Chercheur à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) de Bordeaux Aquitaine, Pascal Lecomte estime que la virulence croissante de l’esca ne peut être due à un seul paramètre. N’écartant pas les effets du changement climatique ou l’abandon de certains pesticides (dont l’inévitable arsénite de sodium), il met plutôt en cause les changements de pratiques au vignoble et à la pépinière. « Je suis persuadé qu’en retravaillant les pratiques culturales, de la sélection des greffons à la taille, et en reconsidérant la vigne comme un arbre fruitier et non comme un poireau donnant du raisin, on a un levier important pour juguler l’esca », résume-t-il.
Parmi les pratiques qu’il critique se trouve notamment le manque de rotation entre l’arrachage et la replantation, une préparation insuffisante des sols, de mauvaises conditions de conservation des plants, des plantations tardives et insuffisamment arrosées… Prônant un réapprentissage du métier de vigneron, le chercheur ajoute que « la situation est loin d’être catastrophique. Je suis très optimiste dans le retour des bonnes pratiques de plantation et de taille ».
Souvent pointés du doigt quand il est question de maladies du bois, les pépiniéristes reconnaissent « une certaine part de responsabilité. Depuis les années 1970, l’industrialisation des cadences a fait oublier les fondamentaux », explique Éric Moro, des pépinières Duvigneau. Répétant à l’envi que l’on est souvent l’artisan de son propre malheur, le commercial reconnaît que la rigueur des travaux de triage n’a pas toujours été au niveau de sévérité nécessaire. Mais si la pépinière reconnaît ses erreurs, les torts restent partagés, cette obsession de la productivité ne faisant que répondre à la forte demande du vignoble.
Les vignerons se retournent rapidement vers leurs fournisseurs quand les plants dépérissent prématurément, mais « planter de la vigne au pic du soleil d’été, c’est n’importe quoi! Tout le monde me dit qu’il va planter en avril-mai, mais la plupart le font en juin-juillet », répond Éric Moro. Renvoyant chacun à ses responsabilités, il prêche pour des échanges entre le vigneron et son pépiniériste. « En se parlant en amont de la plantation, et pas quelques semaines avant, on peut conseiller. Il faut tester les bois et la soudure, vérifier les diamètres… », conseille-t-il.
Ayant interdit le recours à l’arsénite de sodium depuis 1977*, l’Italie a appris à vivre depuis longtemps avec les maladies du bois, explique Massimo Giudici,maître tailleur pour Simonit & Sirch. Il trouve justement anormal que les vignerons se soient tout simplement habitués à « toujours trouver beaucoup de bois secs. On ne devrait pas en trouver autant ! Ce n’est pas la vigne qui en génère, c’est le tailleur! ».
Organisant des formations en Italie et dans toute la France, il prêche pour le respect des flux de sève. Une approche qui ne se limite pas à la fameuse taille Poussard : « Il faut adapter les techniques pour respecter la continuité de la sève avec tous les modes de conduite ». Et il reconnaît que le travail de formation n’est pas mince pour apprendre le geste et l’expertise. Souvent, « on privilégie la géométrie en raccourcissant et en rajeunissant, mais on ne prend pas en compte la physiologie. Tailler, c’est un métier qu’il faut apprendre », conclut-il.
*Contre 2001 pour la France.
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