rojet collaboratif lancé il y a trois ans, Irri-Alt’Eau arrive au bout de sa phase réglementaire, avec la possibilité de faciliter l’accès à l’eau des zones non reliées au réseau conventionnel. « Les eaux usées traitées issues du prototype satisfont la majorité des paramètres stipulés par la législation française pour l’irrigation agricole. [Et cette irrigation] n’affecte par le sol, la nappe phréatique, le fruit et la qualité du vin » résume Flor Etchebarne-Marjotte, ingénieur de recherche INRA dédiée au projet Irri-Alt’Eau (en partenariat avec le fournisseur d’eau Veolia et le fournisseur de matériels Aquadoc).
Présentés lors d’une conférence au Sitévi 2015, ces résultats se basent sur la plate-forme de traitement des eaux usées développée à Pech-Rouge. A un débit de 2 m3/h, ce prototype peut produire deux types d’eau à partir des effluents (préalablement traités) par la station d’épuration de Narbonne : la qualité C, seulement traitée par chloration, et la B, en plus préfiltrée et chlorée. Ces deux eaux usées ont été comparées avec des eaux potable et agricole, cette dernière étant amenée par camion, l’enjeu de la zone étant de ne pas être desservie par les réseaux classiques. Ces quatre types d’eau ont servi à irriguer deux parcelles expérimentales* : une de viognier en espalier sur sol argilo-calcaire et l’autre de carignan en gobelet sur sol calcaire.
Mené sur les millésimes 2013, 2014 et 2015, ce dispositif expérimental a servi de support à une batterie de tests poussés. Un volet cherchait prosaïquement des marqueurs de contamination fécale (gène HF 183) de la sortie d’eau aux nappes phréatiques, sans qu’il y ait de traces significativement inquiétantes. L’autre partie des tests a cherché à déterminer l’impact, ou non, des eaux d’origine alternative sur la qualité des vins. Sur les moûts comme les vins (et les concentrations en minéraux), « il n’y a pas de différence significative entre les traitements, mais de nettes différences entre les années, avec un effet millésime marqué » explique Flor Etchebarne-Marjotte.
Présentés en forme de bilan, ces résultats ne sont cependant pas encore complets. Pour être réellement bouclé, ce volet expérimental demande en effet une rallonge de 100 000 euros pour mener des tests (sur les pesticides, les résidus médicamenteux…). L’enjeu de cette étude est en effet de permettre à l’Agence Régionale de Santé de réviser, ou non, l’utilisation sur plantes pérennes des eaux usées. Sa décision est attendue pour le printemps prochain, ce qui pourrait faire évoluer favorablement la réglementation espère Jean-Louis Escudier (responsable scientifique du projet), qui rappelle « bénéficier d’une dérogation préfectorale pour utiliser les eaux de qualité B et C. Les raisins qui ne sont pas utilisés sont jetés et les échantillons qui ne sont pas gardés pour l’expérimentation sont détruits ». Pour l’instant, la demande de subventions régionales est en cours.
* : L’irrigation au goutte à goutte était déclenchée en fonction des mesures de potentiel de base, les apports étaient de 5 mm. Sachant que sur la zone de Gruissan, la pluviométrie moyenne est de 500 mm/an (et 150-200 mm sur saison).
Depuis son lancement, le projet Irri-Alt’Eau est calibré pour confronter et transférer ses résultats au vignoble. Un premier essai concret devait ainsi être mené ce millésime 2015, en partenariat avec la cave coopérative de Gruissan et ses adhérents (qui affichent des rendements moyens de 32 hectolitres de vin par hectare,quand moyenne régionale à 53 hl/ha, à cause des déficits hydriques et de l’éloignement des canaux conventionnels). Mais faute de budget, cette phase a été reportée. « Pour le projet, il est déterminant de pouvoir étudier l’ensemble des coûts sur un projet grandeur nature » explique Lionel Palaquande (Aquadoc). Les acteurs d’ Irri-Alt’Eau sont aujourd’hui à la recherche de financements régionaux, devant boucler une enveloppe de l’ordre d’1,5 million d’euros pour relier 80 à 100 ha du vignoble de Gruissan. « Le projet est difficile. La topographie, les sols et l’étendue des parcelles n’aident pas. Avec ce projet, on est dans la fourchette haute des coûts. Si on y arrive ici, c’est sûr, c’est transposable » estime Lionel Palaquande, qui a déjà des sollicitations pour mener des études similaires sur des vignobles en déficits hydriques chroniques. A noter que se pose toujours la question de l’acceptabilité sociale de l’utilisation viticole des eaux usées. « Les résultats d’études sont mitigés, que ce soit pour la filière ou les consommateurs. Il est peu connu que c’est une pratique très développée à l’étranger » conclut Flor Etchebarne-Marjotte.