00 000 hectolitres de vins, à 95 % des blancs aromatiques. C'est la production de vin pour 2015 déjà annoncée par les Caves et Vignobles du Gers (CVG). Un pronostic on ne peut plus précoce, alors qu'en Gascogne la floraison de colombard débute à peine et que celle de chardonnay bat son plein. Atypique, cette prévision n'est encore rien comparée à la publication, dès le début juillet, de la grille des tarifs du millésime 2015. Pour la troisième campagne consécutive, l'union coopérative entend ainsi démontrer tout son pragmatisme industriel. Et pratiquer des prix ouvertement « hors marché ».
Les CVG se sont en effet déconnectées des mercuriales et cours d'opportunité. Son credo est à la fois d'assurer le revenu des adhérents et de proposer à l'aval une sécurisation des approvisionnements (en quantité et qualité). En pratique, ce modèle d'interface fixe un cours à partir des estimations de coûts et quantité de production pour chaque catégorie. A priori plus négociant que coopérative, cette union de commercialisation se voit comme une source d'inspiration. Même si pour transposer ce modèle, il faut déjà l'équivalent d'un terroir gascon (et ses rendements généreux).
Novatrice dans la filière viticole, cette recette est appliquée à grande échelle, avec 500 viticulteurs adhérents (Vivadour et Vignobles de Gerland), pour 4 000 hectares de vigne (dont 500 en propre) et 450 000 hectolitres de vins commercialisés annuellement (en incluant 50 000 hl de négoce, notamment pour élaboration de vins de base à mousseux). Avec une commercialisation 100 % en vrac, CVG réalise un chiffre d'affaires de 30 millions d'euros (à 70 % à l'export).
A l'origine : la recherche du juste prix de productionMesures exceptionnelles pour conditions exceptionnelles, c'est en pleine période de crise viticole que CVG s'est réorienté. Un concept innovant arrêté par ses deux apporteurs : la section viticole de Vivadour (2,5 % de l'activité du groupe coopératif) et les Vignerons du Gerland (spécialisé dans vins de bouche et de distillation). « Nous avons comme particularité d'avoir des adhérents en polyculture, très critiques et toujours exigeants » explique Michel Desangles, le président de CVG* et président des Vignerons de Gerland*. Il se rappelle qu'en 2008-2009 « les céréales étaient rémunératrices, alors que la vigne non. On n'était pas à l'abri de pertes de surfaces viticoles pour d'autres productions. Il fallait trouver un moyen de rassurer les adhérents. » S'inspirant d'expériences de Vivadour (pour les foies gras et poulets), l'union coopérative s'est posée une question fondamentale : quel est le prix d'un vin ?
Plutôt que de suivre les mercuriales, la direction de CVG a posé l'équation du revenu des adhérents : un volume hectare multiplié par un cours. Ce dernier dépendant en théorie de la qualité du vin. « Le revenu de l'adhérent n'est pas la variable d'ajustement, mais le postulat de départ. Pour maintenir le vignoble, il faut maintenir les prix » résume Xavier Lopez, directeur marketing de CVG. Pour sécuriser la rémunération hectare, il explique que « le leitmotiv de CVG, c'est d'accompagner les producteurs sur les ateliers viticoles pour être les plus rentables possibles dans la production de raisin ». Une quête de rentabilité il est vrai facilitée par un rendement moyen de 100 hl/an.
Le tout pour une stratégie orientée à 100 % sur le vrac. Les études réalisées par CVG estiment en effet que les coûts de transports de vins conditionnés sont excessifs, par rapport aux marges de petits vins coûtant moins d'un euro en bouteille. CVG ne possède ainsi aucune chaîne de conditionnement, laissant à ses clients la mise en BIB ou bouteilles sur le lieu de consommation.
* : Le vice-président de CVG est Serge Tintané, le président de la section viticole de Vivadour et le nouveau président de l'Association Nationale Interprofessionnelle des Vins de France (ANIVIN de France).
A l'amont : la segmentation de l'approvisionnement
Pour piloter son approvisionnement en vin, CVG segmente finement son potentiel de production afin d'anticiper le plus tôt les quantités et qualités à sa disposition. Chacune des parcelles est ainsi alliée à un profil produit et un objectif de rendement. Stables, ces orientations agroéconomique ne sont révisées que si les résultats économiques ne sont pas jugés satisfaisants. Un guide de vignoble encadre au jour le jour les travaux au vignoble. « Le concept, c'est qu'une parcelle est engagée dans un profil aromatique de produit, donc doit produire un type de raisin associé à un processus de vinification. On n'accepte rien sans l'avoir anticipé » précise Xavier Lopez. Comptable et mathématique, cette approche assume son pragmatisme, pour ne pas dire sa froideur. Mais en calculant précisément le prix de revient (production viticole, transformation vinicole, logistique...), ce modèle donne un prix objectif au vin.
Il estime également avant la fleur les volumes disponibles. Validée par un suivi technique et des points contrôles durant la saison, la prévision de vendanges du millésime se veut aussi précoce que robuste. Sauf accident climatique, le volume annoncé doit se retrouver en caves après vendanges. Avec un périmètre de 4 000 ha, CVG estime que la variabilité de ses terroirs permet d'amortir épisodes déficitaires et excédentaires. « Notre zone viticole est vaste, cela lisse les extrêmes d'un millésime, avec des réponses différentes selon région » assure Audrey Albert (responsable relation vignoble CGV).
Mais au-delà de l'effet d'une annonce précoce, cette estimation permet également à CVG de s'engager sur un revenu garanti : 5 à 7 000 euros par hectare aux producteurs (à 80 % réglés dès mois décembre du millésime). Une promesse rassurant qui ne vaut que si l'adhérent fournit bien les volumes et qualités fixés. Cet outil de motivation propose un revenu hectare quasiment identique entre les orientations IGP et vins de France, pour « éviter de freiner engagement parcelles et préserver un panel de gamme complet » détaille Michel Desangles.
A l'aval : la connaissance de la demandeDevenue un rendez-vous, la publication début juillet de la nouvelle grille de prix de CVG devrait afficher un maintien global des tarifs. L'an dernier, les 82 références proposées (dans un nuancier aromatique) présentaient des prix allant de 88 à 130 euros par hectolitre. L'objectif du vracqueur est que ses clients ne mettent pas plus d'un euro de vin dans une bouteille. En occupant rapidement le terrain commercial, CVG se donne les moyens de connaître en amont les besoins de ses clients. Se voulant l'accompagnateur de création de gammes et d'évolution de recettes, l'union coopérative peut déterminer avant les vendanges des parcours en cave de commandes passées.
« Le pilotage est inversé, ce n'est pas la cave qui dit ce qu'il y a à vendre, ce sont les agents commerciaux qui indiquent ce qui est demandé » assure Eric Lanxade, le directeur commercial de CVG. « Pour nos clients, on arrive avec des prix de vins plus élevés » reconnaît Xavier Lopez, « mais on l'explique par segmentation qui créé de la valeur et de la sécurité ». Corollaire de cet engagement, attractif pour l'aval comme l'amont, « quand on s'engage à développer une gamme/marque/recette auprès d'un client, on il faut être capable de le fournir » conclut Eric Lanxade. Avec ces relations clients en amont, « on a modifié le rapport des relations clients pour exploser la bulle de spéculation » se félicite-t-il.
Déclarant ne plus être dans le traditionnel cycle de concurrences volumiques entre régions excédentaires et déficitaires, CVG privilégie la relation directe, sans intermédiaires, avec ses clients. « Le problème de la filière française, c'est que le travail des courtiers est extrêmement faible en apport de valeur. Ils accentuent les hausses et les baisses mais ne font pas le travail d'agents commerciaux » tacle Eric Lanxade.
A l'avenir : les prochaines évolutions de CVGEvolutif, le modèle de CVG devrait se pencher de plus en plus sur les questions de logistique. « Dans nos relations avec les clients, il est de plus en plus question de supply chain. C'est un enjeu stratégique pour le Gers qui n'a ni aéroport, ni gare » souligne Eric Lanxade. Pour le millésime 2015, l'union coopérative va ainsi lancer un service de livraison de vins en prémise : CVG Solutions. Afin de répondre aux besoins de chargements et traitements des vins, un véritable hub doit être créé sur la cave de Vic Fezensac. Autre demande aval, celle de sécurisation et de certification des produits livrés. En complément de sa démarche de traçabilité interne, CGV va désormais faire appel à un laboratoire allemand pour analyser, ponctuellement et par RMN, la « pureté » de ses cépages et millésimes.
A l'amont, l'entreprise est en cours d'obtention de la norme IFS et du référentiel AgriConfiance. La première cuvée bio est annoncée pour 2015, avec de petits volumes attendus (4 à 5 000 hl). « Certains adhérents ont le fait choix, éthique, de la bio. On se doit de leur apporter une solution de commercialisation, en trouvant un marché adapté et pas en déclassant en conventionnel » rapporte Eric Lanxade. Stratégiquement, CVG s'intéresse tout particulièrement au développement des vins à faible degré alcool (après un blanc, un rosé a été lancé l'an dernier) et appuie la modernisation de son encépagement avec la plantation de sauvignon blanc (cépage difficile, d'autant plus qu'il est sensible aux maladies du bois).
En terme de R&D, des essais de taille rase de précision sont en cours afin de juger de nouvelles possibilités de mécanisation (toutes les vendanges sont réalisées en machine). Et une réflexion sur l'irrigation « est dans les tuyaux » plaisante Audrey Albert.
[Photos : Pancarte CVG sur une parcelle de colombard au lieu-dit Testoc ; Cave historique des Vignerons de Gerland (Eauze) ; Xavier Lopez et Audrey Albert dans les vignes ; Xavier Lopez et Eric Lanxade au siège de CVG (Eauze) ; Vignes de chardonnay en fleur ce 2 juin 2015 ]