ous sommes notre pire ennemi. Chaque année, 13% du vignoble est affecté par les maladies du bois. La Treasury Wine Estates, l’un des leaders australiens du vin, détruit un million de bouteilles. Les terroristes du Cav sont de retour.
Catherine Bernard
La vigne malade à la soucheL’ennemi est intime. « Esca, Black Dead Arm et autres dépérissements sont devenus au fil des ans une menace récurrente sur la compétitivitié de l'ensemble des régions viticoles françaises », rapporte Vitisphere. Le site reprend les propos du président des Vignerons Indépendants de France, Michel Issaly, lequel « veut en faire un enjeu prioritaire », « car chaque année la perte de productivitié se mesure en pourcentage de pieds de vignes atteints, alors que l'on reste incapables de connaître l'origine de ces maladies ou de les soigner. Une bonne nouvelle, c'est que les négociations de la nouvelle PAC permettraient d'utiliser une partie de l'enveloppe de restructuration du vignoble pour les maladies du bois. » Le Conseil d'Administration National des VIF pourrait aboutir à la demande d'allocation d'aides européenes à la restructuration sur les parcelles affectées. La mobilisation prend aussi une dimension concrète. Sur le site vigne et vin de l’Institut français de la vigne et du vin, les vignerons sont appelés à témoigner, et le font. Parmi eux, celui-là, de Philippe Bouchard vigneron à Ingrande-de-Touraine : « J’ai un vignoble avec du Cabernet-Franc qui est un cépage assez sensible à l’Esca. Aujourd’hui, je dois arracher 3 % de mon vignoble chaque année. En 10 ans, j’ai du renouveler 30 % des vignes. C’est vous dire que le terme Vieilles Vignes ne signifiera bientôt plus rien ! (…)il faudrait un vrai Plan Marshall de la viticulture ». Er celui-ci de Jean-François Roussillon, vigneron dans le Tarn : « J’ai constaté, depuis la sécheresse de 2003, que c’est dans les endroits les plus secs que les maladies du bois touchent le plus mon vignoble. En revanche les vignes qui sont taillées au sécateur à main sont moins atteintes. Je me suis aperçu également que si le porte-greffe est trop vigoureux et produit beaucoup de végétation, le sol ne répond plus parce qu’il n’y a pas assez d’eau et les souches sont atteintes par les maladies du bois. C’est une constatation que j’ai faite mais je ne sais toujours pas pourquoi mes vignes crèvent ». Outre-Atlantique, le quotidien canadien La Presse évoque « une crise du phylloxéra du XXIème siècle ». Karyne Duplessis-Piché précise : « En 2003, 5,5% des vignes françaises étaient improductives à cause des maladies du bois, selon Patrice Rey, professeur au département des Sciences et de la Gestion du Végétal à Bordeaux. Au cours des dix dernières années, ce chiffre a plus que doublé. En 2013, c'est 13% du vignoble français qui est affecté ». Voilà qui rappelle que le vin provient de la vigne.
Des bouteilles au caniveau par milliers« L’Australie jette un million de bouteilles de vin », titre cette semaine Radio-Canada. « L'un des plus importants producteurs de vin de l'Australie, Treasury Wine Estates, vide le contenu d'un million de bouteilles bas de gamme qui sont restées trop longtemps sur les tablettes », rapporte la radio. « En plus de détruire un million de bouteilles, le producteur vinicole soldera pour 40 millions de dollars d'autres de ses bouteilles, qui viendront à expiration sous peu. La valeur des vins détruits est de 33,6 millions de dollars canadiens ». Toujours selon Radio Canada, le producteur a pris « cette décision extrême afin que les consommateurs puissent avoir accès à des vins dont la fraîcheur et la qualité ne laissent pas à désirer ». Dans un pays qui a construit de toutes pièces un vignoble avec des investisseurs, Elisabeth Knight, la chroniqueuse du journal australien The age business day, évoque un « mystère » : « Des millions de litres de vin que l’on pensait vendu aux consommateurs américains ont miraculeusement apparu dans le rayons de nos épiceries et de nos supermarchés. Le vrai mystère n’est pas comment ils ont atterri là, ni même pourquoi 35 millions de dollars de vin vont être vidés dans les toilettes ou répandus dans la campagne, mais comment rien de tout cela n’a filtré avant cette semaine ». En économiste, elle s’interroge : « Comment convaincre les investisseurs que la société est sur un rythme de croissance du carnet de commandes, et un bon ratio de rentabilité alors que des volumes de vin étaient en train de se perdre au Etats-Unis ? ». Cette information a aussi ému le fondateur de Meiniger’s Wine Business International, Robert Joseph. Sur son blog, il s’exclame : « L’horreur, l’horreur ». Et prend prétexte à une analyse intéressante de ce qu’est symboliquement le vin et ce qu’il est réellement devenu : « Pour un amateur, l’idée même de détruire du vin est aussi traumatisante que tuer un cheval pour un turfiste. Le vin est un produit noble, l’un des piliers de notre civilisation. Le jeter au prétexte qu’il sera trop vieux est encore plus hérétique, car, nul n’ignore, que le vin se bonifie avec l’âge ». Il reprend ses esprits, et constate : « La vérité, aussi désagréable soit-elle pour les amateurs, est que le vin basique, celui que consomme l’immense majorité des Américains a peu à voir avec « cette civilisation ». C’est une boisson issue d’un process, souvent avec un taux de sucre et chêne élevé particulièrement décrié par les dégustateurs ». Il rappelle qu’en conséquence, « détruire des boissons périmées est en réalité une pratique standard aux Etats-Unis ». En quelques mots, Robert Joseph a résumé la réalité du marché du vin qui vit sur un mythme éculé comme nos fonds de pantalon. Qui était en Europe, et particulièrement en France, choqué, par les campagnes de distillation, manière récurrente d’assainir le marché ?
Les terroristes du vinComme en écho au million de bouteilles jetées au caniveau par la Treasury Wine Estate, les viticulteurs audois du CAV sont de retour. A l’aune de cette valeur symbolique accordée au vin, on ne s’étonnera pas que les anglo-saxons de Drinkbusiness qualifient de « terroristes » les viticulteurs auteurs il y a deux nuits d’un attentat contre le siège du PS à Carcassonne. « Le Cav est un groupe de viticulteurs activistes créé dans les années soixante. Ils attendent du gouvernement français des mesures de protection contre les importations étrangères. Un article paru récemment dans Noble Rot Magazine affirmait qu’ils avaient bénéficié dans les années 70 du soutien du général Khadafi, qui les a armés et entraînés » précise le site.
Il semble que la presse française soit elle-même moins indulgente qu’elle ne l’a été avec les actions du Cav, bien que le mot « terroriste » ne soit pas encore employé. « Une bombe a visé mardi soir le siège de la fédération socialiste de l'Aude. Le sigle "CAV" sur la façade laisse penser à une action d'un groupuscule de vignerons, adeptes depuis 30 ans de la manière forte », rapporte ainsi L’Express. L’hebdomadaire retrace l’historique du groupuscule et rappelle la complaisance dont il a jusqu’à présent bénéficié : « A ce jour un seul membre du Comité d'action viticole a été jugé. En 2009, Jérôme Soulère, un vigneron de Malviès (Aude), qui avait reconnu avoir participé à un attentat contre la perception de Montréal en 2006 et avoir déposé une charge sur le passage du Tour de France à Limoux en 2007, a été condamné à 18 mois de prison, dont six avec sursis ». L’hebdomadaire diffuse également sur son site la vidéo d’une conférence de presse nocturne tenue en 2009 après un « attentat contre la société d’embouteillage du Val d’Orbieu dans l’Hérault ». Les auteurs parlent, cagoulés, d’« un cri d’alarme » et d’ « un avertissement ». Que diraient-ils de la décision de la Treasury Wine Estates ?




