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n Champagne, la maison Krug est réputée pour ses partis pris qualitatifs atypiques : sélection parcellaire fine, fermentations en pièces champenoises, réserve de vieux millésimes... Mais pour Olivier Krug, ces spécificités sont avant tout des moyens techniques. Pour lui, l’essence des champagnes Krug est sa philosophie de la qualité, « généreuse et intransigeante ».
Directeur de la maison Krug, Olivier Krug (45 ans), travaille pour la maison familiale depuis 20 ans. Il appartient à la 6ème génération des descendants du fondateur de la maison Krug. Fondée en 1843, la maison Krug a une production annuelle estimée à moins de 0,2 % de la production totale des vins de Champagne.
Le groupe Louis Vuitton Moët Hennessy (LVMH) a racheté la maison Krug en 1999. Peut-on encore considérer Krug comme étant une maison familiale ?Olivier Krug : Tout dépend de ce que vous entendez par ce terme. Si maison familiale a pour vous le sens d’une micro-entreprise, très dépendante d’investisseurs et de son environnement économique direct, alors la maison Krug n’est clairement pas familiale. Mais si vous donnez à cette expression la perpétuation de la vision du fondateur, alors oui notre maison est bien restée familiale.
Il faut dire que Krug appartenait déjà à un groupe depuis une trentaine d’années. Certains se sont quand même émus de notre rachat par Moët Hennessy. Un tel groupe nous permet pourtant de nous donner la mission et les moyens de faire du Krug. Grâce à ce soutien nous pouvons poursuivre notre vision généreuse du champagne, avec un cuvée de prestige chaque année. Je ne suis pas le porte-parole de LVMH, mais l’artisanat de notre métier est consolidé avec eux. Ce groupe nous permet également d’être en contact direct avec notre audience, dans le monde entier. Avec notre réseau de distribution commun à tout le porte-feuille, il assure autant la qualité de nos produits que celle de la relation aux amoureux de Krug.
La maison Krug est la référence en termes de sélection parcellaire...C’est en effet ce que j’entends dire dans certains domaines bordelais, qui nous citent comme des sources d'inspiration... Mais là n’est pas l’essentiel, notre particularité n’est pas simplement technique ! Pour bien comprendre cela, il faut revenir à la fondation de notre maison, en 1843. L’histoire de mon arrière-arrière-arrière-grand-père est extraordinaire, elle tient vraiment de la vision du luxe, bien plus qu’à celui du simple business.
A l'âge de 42 ans, Johann Joseph Krug était un immigré allemand qui avait tout réussi. Il travaillait pour l’une des plus grandes maisons de Champagne de l’époque (NDLR : Champagne Jacquesson), était lié par sa femme à la famille Jacquesson et il venait tout juste d'avoir un enfant. Mais il quitta son poste en 1842 pour créer sa propre maison. Ce n'atait par raison technique, il voulait aller au-delà de la simple amélioration du process. Il s'est concentré sur l'essence du champagne : le plaisir.
Il faut se rappeler qu’à l’époque il n’y avait pas d’oenologues, de sommeliers ou de critiques de vins. Bref, il n'y avait personne pour essayer d’enfermer le vin dans la vision d’un millésime, d’un pourcentage de ceci, d’une malolactique de cela... Ces histoires concernent l’oenologue, le producteur, bref, tout le monde. Mais elles n'intéressent pas l’amateur. Mon ancêtre voulait seulement pouvoir offrir chaque année la meilleure expression du champagne. Joseph Krug ne voulait pas limiter les grands champagnes aux seules grandes années.
En 1848, soit 5 ans après la fondation de la maison, il a rédigé un carnet à l’attention de son fils (Paul Krug). Nous gardons toujours avec soin ce carnet de vie. Il y notait ses conseils et sa vision des cuvées, des assemblages de vins de bases, etc. Mais ce qui me frappe, c'est que dès le début du carnet il explique à son fils que toute compromission ruinera l’ensemble du projet : « on a pu obtenir d’apparence de bonnes cuvées en employant des éléments et des crus moyens ou même médiocres ; mais ce sont des exceptions sur lesquelles il ne faut jamais compter, ou on risque de manquer son opération ou perdre sa réputation. »
C'est de cette intransigeance qualitative que vient votre démarche parcellaire ?La maison Krug possède 21 hectares de vignes en propre. Nous avons également des contrats classiques d’approvisionnement avec des vignerons champenois, ce qui représente en moyenne les 2/3 de nos approvisionnements. Nous privilégions les contrats longs, voire à très long terme. Chaque année, notre objectif est de créer une relation avec le vigneron qui permettra de respecter l’individualité de chaque lot, plutôt que de réfléchir en termes d'additions volumétriques.
Une hectare de chardonnay, ne m’intéresse pas le moins du monde en tant que tel. Ce qui nous obséde, c'est de connaître le caractère unique de cette parcelle. Chaque année nous produisons près de 250 vins de base bien distincts, à partir des 3 cépages champenois. Nous gardons séparé les crus, les cépages, et bien évidemment les parcelles. Il n'y pas de recette établie pour nos champagnes : l‘individualité est notre obsession. Dans le but de la re-création annuelle de la Grande Cuvée.
Pour Joseph Krug, une grande maison n’a pas besoin de produire 10 cuvées chaque année. 2 cuvées suffisent amplement. La cuvée n°1, comme il l’appelait, est la Grande Cuvée. Nous la produisons tous les ans et elle n’est pas millésimée. C’est cependant un vin bien différent d’un produit brut non-millésimé classique. Nous ne sortons pas des vins de notre réserve pour standardiser ou pâtiner notre champagne. Le truc c’est de recréer la Grande Cuvée chaque année, le seul champagne de prestige à être créé chaque année depuis 170 ans.
30 à 50 % des vins que nous produisons chaque année sont mis en réserve. Depuis notre fondation, nous avons ainsi créé une véritable bibliothèque de vins. Plus de 150 vins sont conservés de manière individuelle, dans des petites cuves inox. Sans notre bibliothèque, il ne serait pas possible de recréer la Grande Cuvée chaque année. Des milliers d'échantillons d'assemblage sont dégustés pour pouvoir y parvenir. La réserve est faite pour nous apporter la richesse qui n’a pas été apportée par le millésime. Cette bibliothèque nous permet d'aller au-delà d'un millésime en combinant plusieurs années.
La maison Krug vient de décider qu'elle ne commercialiserait pas les 12 000 flacons du Clos du Mesnil 1999. Ce vin ne vous convenait pas ?En effet, ils n'étaient pas à la hauteur. C'est une première pour nous de ne pas commercialiser des vins prêts à être étiquetés. Cela illustre parfaitement notre volonté qualitative, stricte et fine. Nous avions pourtant offert à la dégustation ce vin, et des critiques nous avaient confié que c’était le meilleur blanc-de-blancs 1999 qu'ils avaient goûté. Mais notre but n’est pas de produire le meilleur blanc-de-blancs, c’est de faire du Krug et d'offrir un plaisir inoubliable durant la dégustation.
On me demande souvent pourquoi Krug ne produit que des cuvées en série aussi limitée. Si la cuvée n°1 est produite chaque année, la cuvée n°2 dépend du caractère de l’année. L’idée est de raconter un millésime, qui est forcèment atypique et toujours différent.
Quels sont les principaux marchés de votre maison ?Par ordre d'importance, les principaux marchés de Krug sont le Japon, les Etats-Unis, le Royaume Uni, l'Italie, la France et Hong-Kong. On porte une attention particulière à la Chine. Mais je ne suis pas sûr que ce soit l’el-dorado dont on parle tant. Sauf peut-être pour les Grands Crus de Bordeaux. Pour les vins de Champagne, on sent que le marché chinois commence à frémir, mais ce n'est qu'un début.
Comme tous le monde, Krug a senti le passage de la crise financière. Cependant nous avons bien géré cette étape. Krug n'est pas un champagne bling-bling ou spéculatif. Les consommateurs de Krug le font de leur propre chef, leur choix ne s'inscrit pas dans une logique de reconnaissance ou de paraître. Quelle que soit l’humeur ou les moyens d'un consommateur, il n’y a pas d’autre champagne qui puisse lui assurer un plaisir plus abouti que celui offert par Krug. Le tout est de le faire savoir aux consommateurs et nous nous investissons beaucoup sur ce sujet.
Comment le Japon est-il devenu le premier marché de consommation de Krug ?C'est lié à une tradition familiale : on apprend Krug chez les amoureux de Krug. Après mon arrivée au sein de Krug, j'ai passé 2 ans au Japon. A l’époque c'était notre 20ème marché, maintenant il caracole en tête. Malgré les événements tragiques de l'an passé, la meilleure année pour Krug aura été 2011. La croissance de nos ventes aura été particulièrement importante. Les Japonais se sont recentrés sur ce qui importe de la vie. Les produits francs et de qualité en font partie.
(Crédits photographiques : Maison Krug)
