Revue de livres septembre 2011, Nous et dame nature

es livres retenus pour cette revue sont respectivement ceux d’un romancier, d’un philosophe et d’un géographe. Le premier est un court récit, le second un vrai-faux dictionnaire, le troisième un inventaire précis. Comme une charade, ils conduisent à un tout : l’homme et son rapport à la nature. Il n’y a pas de morale à tirer, pas de jugement de valeur conclusif, pas davantage de recette à imiter. Leur lecture nous laisse dans l’interrogation, seul face à la relation qui nous est propre et singulière avec la nature, le vin se vivant comme un médiateur. On sort de ces lectures un peu déshabillé de nos certitudes ce qui n’est pas forcément confortable, mais somme toute très rassurant.
Bonne semaine.

Catherine Bernard

Romanée-Conti 1935 de Kaikô Takeshi

Comme le vin, les livres sont souvent des rencontres. Le court récit de Kaiko Takeshi en est une. Comment ? Tu n’as pas lu Romanée-Conti 1935 ? Non, je n’avais pas lu. Depuis cet été, oui. Il commence sur ces mots : « Un dimanche d’hiver, tard dans l’après-midi, deux hommes étaient assis face à face dans le restaurant d’un gratte-ciel d’acier et de verre. Cirée avec soin, la lourde table en bois de châtaignier, aux dimensions respectables, luisait comme un lac, les veines du bois reflétaient l’ombre d’un vase orné d’une rose. Deux bouteilles de vin étaient posées là, l’une debout, l’autre couchée dans un panier. Ils étaient seuls dans la salle ». Les deux hommes resteront sans nom, succinctement désignés par leur activité, entrepreneur et romancier, et seuls, en tête-à-tête avec le vin, un La Tâche 1966 du domaine de Romanée, et un Romanée-Conti, année 1935. On est au Japon, à Tokyo, en 1972, et l’on se dit alors que l’intérêt subtil des Japonais pour le vin est bien antérieur à la déferlante nipponne sur Bordeaux dans les années 80. On comprend mieux aussi que ce soit du Japon que nous soient venu les Gouttes de Dieu, manga au succès planétaire, y compris et même en particulier en France, car il y a bien, entre l’entrepreneur et le romancier de Kaikô Takeshi et les Kanzaki Shizuku et Issei Tomine des Gouttes de Dieu, une filiation, un art partagé d’user du vin comme un tapis volant. Mis en appétit par La Tâche, « un grain d’une grande finesse, une texture bien lisse, qui se déposait sur les lèvres ou la langue avec la légèreté du duvet », on se prépare, avec la bouteille couchée dans le panier, aux clichés du nirvana. C’est à ce point que le récit atteint son humanité : « Dès le contact avec les lèvres, la véritable nature du vin s’était dévoilée, sa silhouette, son visage pitoyables avaient été révélés. (…) Le vin n’avait ni force ni chaleur, il avait juste perdu jusqu’à la volonté de simuler une rondeur, fût-elle purement formelle. Il était simplement passé, flétri. Il disparaissait sans même se plaindre de son déclin ». Sans cette déception, sans ce déclin, les deux hommes auraient- ils fait la plongée dans les arcanes de l’histoire et celles de leurs souvenirs intimes qu’ils vont faire en cette fin d’après-midi d’hiver ? Pas sûr, et c’est précisément ce dépassement de la déception qui conduit le lecteur jusqu’à la dernière goutte.

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Romanée-Conti 1935 de Kaikô Takeshi Picquier Poche 105p, 5 €

Dictionnaire philosophique et subtil du vin de Thierry Tahon

De Thierry Tahon, l’éditeur nous dit qu’il est professeur de philosophie, auteur précédemment d’une « Petite philosophie de l’amateur de vin ». Le dictionnaire qu’il nous propose est bien celui d’un philosophe, la lettre A, concernant le vin, s’incarnant par l’attente. « A bien y réfléchir, l’attente est une expérience omniprésente dans l’univers du vin. C’est ainsi : cette boisson se fait attendre, sans doute parce que le temps est son essence ». C’est aussi le regard croisé d’un amateur de vin et d’un philosophe qu’il porte à B sur la biodynamie : « La croyance n’ajoute rien de plus aux idées sur lesquelles elle s’applique. Il ne faut pas croire aux idées de Steiner, mais continuer à penser, à réfléchir, à chercher, au lieu d’adhérer définitivement à des thèses aussi audacieuses ».  Sa réflexion sur la nature se nourrit de Bergson : «  La nécessaire prise de conscience de l’activité destructrice de l’homme ne doit pas se doubler d’une sorte de misanthropie, ou d’antihunamisme qui nous ferait détester l’homme et idolâtrer la nature ». L’œnologie est-elle une science ? Pour y répondre, Thierry Tahon fait intervenir l’œnologue italien Enrico Bernado qui, du cépage nebbiolo, dit qu’il est « viril, identitaire, d’une grande force de caractère, a besoin de vieillissement », ect. Tahon rétorque : « Tout cela est bien dit et fait saliver le lecteur, mais scrupule de philosophe, je m’interroge : est-ce vrai ou simplement subjectif ? L’œnologue qui s’exprime ici a-t-il découvert  les qualités objectives du nebbiolo ou bien a-t-il laissé parler son cœur ? Avons-nous affaire à un savoir ou à une opinion ? ».  Ce dictionnaire, mode livresque qui connaît un retour de flamme et traduit peut-être l’appétence supposée des lecteurs pour des textes courts, n’en est donc pas vraiment un, stricto sensu. Il est un peu plus, mais beaucoup moins qu’un véritable essai.

Dictionnaire philosophique et subtil du vin

Thierry Tahon

Editions Milan

230p, 15€

 

 

 

 

Les climats sur les vignobles de France de Roger-Paul Dubrion

Disons le tout net, cet ouvrage est un outil de travail, pas au sens commun du comment, mais de la connaissance pure, laquelle peut apparaître aussi inutile qu’un cours de botanique sur la reproduction sexuée ou asexuée des plantes. Il y a dans cet ouvrage produit par Roger-Paul Dubrion, professeur agrégé en histoire et géocgraphie, quelque chose du bulletin de la météo marine donné chaque soir à 20 heures sur France Inter. On y lit des sommes de températures, d’ensoleillement, de précipitations, de dates extrêmes. Ainsi, du climat méditerranéen : « La douceur de l’hiver n’est pas originale, puisque le Finistère breton connaît les températures de la Provence et du Languedoc. La neige et le gel sont peu fréquents (…) mais la neige n’est pas à exclure : janvier 1947, décembre 1950, février 1956 à Marseille, Salon de Provenc, Aix-en-Provence, Saint-Tropez est sous un mètre de neige … ; de même en décembre 1962, janvier 1963, novembre 1968, décembre 1973, janvier/février 1978… ». A ces énumérations suivent une série de questions que Roger-Paul Dubrion a l’intelligence et la modestie de laisser sans réponses : « Si l’on connaît  les réactions des cépages face à l’évolution des températures et des précipitations, connaît-on les réactions des composants des sols dans le contexte de ces mêmes changements ? Et que sait-on du comportement des réserves de cette plante pérenne en cas d’hivers moins rigoureux ? voire en cas de disparition du repos végétatif ? » Paradoxalement, l’intérêt de cet inventaire des climats sur les vignobles de France repose dans ces énoncés de chiffres et d’interrogations. Roger-Paul Dubrion ne livre pas de recette toute prête, mais en partageant sa connaissance et ses interrogations, il ouvre aux vignerons le chemin des possibles et de l’expérimentation.

Les climats sur les vignobles de France

Roger-Paul Dubrion

Editions Tec & Doc

116p