"C'est une chance inouïe que la place ait été libre ici", se souvient ce brin de femme, choisie pour superviser - des vendanges à la mise en bouteille - l'élaboration de ce nectar doré, décrit par l'écrivain français Frédéric Dard comme "de la lumière bue".
Si la profession d'oenologue se féminise rapidement depuis une dizaine d'années, explique-t-elle, et si une douzaine de femmes sont actuellement maîtres de chai dans le Bordelais, Sandrine Garbay est encore la seule à être aux commandes d'un premier grand cru classé.
Issue d'une famille bordelaise, qui "n'était pas dans le milieu viticole", précise-t-elle, l'ancienne étudiante en biologie à l'université puis en oenologie à la faculté de Bordeaux, n'envisageait pas à l'époque d'occuper un poste prestigieux, qui autrefois se transmettait quasiment de père en fils.
C'est presque même par hasard qu'elle entre au château d'Yquem, propriété de la famille Lur Saluces pendant quatre siècles jusqu'à son rachat en 1999 par le groupe LVMH.
A la recherche d'un emploi dans le Sauternais pour se rapprocher de son mari, installé dans la région comme pédicure-podologue, la jeune femme confie ses intentions à un voisin de laboratoire pendant ses études, également oenologue conseil pour le prestigieux sauternes.
Son doctorat en oenologie, décroché en 1994 après une thèse sur la "fermentation malolactique", l'amenait plutôt à se lancer dans une carrière de chercheur ou de consultant, mais son désir de "revenir sur le terrain et de faire du vin" était plus fort, explique-t-elle aujourd'hui.
Engagée comme oenologue, elle est formée pendant trois ans par l'ancien maître de chai, qu'elle remplace après 45 ans au service du château d'Yquem.
Sorte de "chef d'orchestre" à la tête d'une équipe essentiellement composée d'hommes, cette brune souriante aux cheveux courts affirme aujourd'hui n'avoir rencontré ni réticences, ni réflexions sexistes à son arrivée.
Pourtant, le monde du vin ne laissait auparavant guère de place pour les femmes, à l'image de cette vieille tradition vigneronne qui veut que les femmes en règle font "tourner le vin", plaisante-t-elle en se souvenant de la stupéfaction d'un visiteur d'un jour.
Convaincue que "les femmes peuvent apporter beaucoup à la profession", Sandrine Garbay se refuse à toute revendication féministe: "Ce n'est pas mon truc. Je crois que les choses se feront en douceur", explique celle qui préfère "la reconnaissance par le travail".
Si le vocabulaire oenologique fait souvent référence au corps de la femme, quand on qualifie un vin de rond, souple ou voluptueux, ou au contraire à l'univers masculin à propos d'un vin plus tannique ou corsé, Sandrine Garbay refuse en revanche l'idée de vins faits pour les femmes et d'autres pour les hommes.
Arrivée dans un château où la tradition est le maître mot et l'atmosphère des chais quasi-religieuse, la jeune femme espère encore améliorer "la pureté" du produit, "mais tout en respectant le terroir", insiste-t-elle.
Agacée par l'attitude des stars masculines de l'oenologie, promptes à se mettre en avant, Sandrine Garbay est prête à endosser le rôle de modèle pour la jeune génération de femmes oenologues.
"J'aimerais bien faire passer le message que c'est possible", ajoute cette mère de famille qui espère pouvoir transmettre sa passion du vin à ses deux enfants, en leur faisant faire un jour les vendanges.