assant d'un extrême à l'autre, le vignoble languedocien aura subi un cÅ“ur de campagne placé sous les stigmates de la sécheresse pour finir les pieds de vigne dans l'eau. Comme nous le confiait l'Å“nologue conseil Marc Dubernet en août, « plusieurs facteurs (et pas un seul effet global) laissent penser que l'on ne va pas vers une quantité de récolte pléthorique... » Un constat dont la constance n'a pas manqué d'inquiéter les opérateurs de la filière, la revue britannique Harper's encourageant dès la mi-septembre les « acheteurs à se positionner rapidement pour sécuriser leurs approvisionnements de vins du Languedoc en 2014 ». Une mise sous pression très exagérée pour Pierre Passerieux, courtier assermenté au cabinet Vergnes-Passerieux (Narbonne), qui ne ressent aucun affolement, mais de la retenue : « les cours sont fermes, mais il n'y pas de tensions face à une récolte modeste (sauf pour l'approvisionnement en chardonnay et vins de pays de l'Hérault qui s'annonce étroit) ». L'expert se félicite même de la maturité des opérateurs, chèrement acquise lors des précédentes campagnes difficiles. Selon lui « la production (vignerons et coopératives) a pris conscience qu'il ne faut pas casser les marchés en étant trop gourmande, le commerce va suivre, comprenant que quand il n'y a pas de vins il faut le payer ».
Pas de panique non plus pour le courtier montpelliérain Florian Ceschi (Ciatti), pour qui l'histoire se répète cette campagne. Il voit en « 2014 la copie conforme de 2013, on est sur deux années où l'offre ne dépasse pas la demande. Fin novembre il y a de fortes chances pour que tous les rosés et blancs de cépages soient contractualisés. Et il ne faudra guère plus de temps pour que les rouges fassent de même (depuis juin il n'y a plus une goutte de 2013 sur le marché). » Ces deux millésimes se font aussi écho pour le négociant Bruno Kessler (président de la fédération régionale), estimant que le vignoble languedocien n'est plus dans « du conjoncturel, mais du structurel. Même avec 1,5 millions hl en plus, il y aurait de nouveau eu des tensions de marchés. Et ça va vraiment être une petite récolte, si l'on fait 11 millions hl ce sera déjà vraiment bien... » Président de l'Association Nationale Interprofessionnelle du Vin de France, il préfère raisonner en parts de marché, plus qu'en disponibilité. Pour lui, l'enjeu du vignoble français dans son ensemble est de proposer « des vignes adaptées aux marchés (notamment en terme de rendements), ce qui passe par la technicité agronomique (ferti-irrigation, encépagement...) et les autorisations de plantation. »
Pour en revenir à la campagne 2013-2014 des vins du Languedoc, la base des cours va être posée par les prochaines réunions départementale de la fédération des caves coopératives, qui vont commencer dès la semaine prochaine et la fin des vendanges (qui ne sont pas encore achevées dans l'Aude). D'après les premières négociations auxquelles il a pris part, Florian Ceschi est déjà parti « sur une base 10 euros de plus que campagne précédente ». Pierre Passerieux anticipe quant à lui une hausse de 10 à 20 % des cours, « sans pour autant atteindre des records ». Beaucoup moins optimiste face aux mécanismes de hausse des prix (en partie suite à son expérience du gel nantais en 1991), Bruno Kessler craint que le marché ne soit à deux vitesses, « d'abord marqué par des achats à cours élevés pour se donner une couverture », puis, dès l'ouverture des négociations avec les clients, se heurtant « une impossibilité à faire passer hausse prix (qui était déjà difficile en 2013) qui pourrait voir les cours de produits très sensibles (comme le chardonnay) se replier... »
Quant à lui quasiment inévitable, l'autre risque est une délocalisation massive de l'approvisionnement des acheteurs pour l'entrée de gamme. « Les metteurs marchés sont également sollicités par des fournisseurs étranger, qui leur assurent des prix plus stables que l'offre languedocienne » confirme Florian Ceschi, qui connaît bien les offres d'alternatives en prix et profil : cinsault rosé d'Afrique du Sud, merlot du Chili, cabernet d'Australie... « L'Espagne va encore prendre des parts de marché sur les vins sans mention de cépages » annonce Bruno Kessler. « Il est sûr que l'on fera des volumes en Espagne, mais pour l'instant, on a eu beau chercher : on n'y a pas trouvé d'IGP d'Oc ! » relativise Pierre Passerieux.
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