ans le monde du vin, le traditionnel « récit des origines est par définition un mythe » affirmait sans ambage l'historien Léonard Laborie (CNRS), en ouverture des Cahors Malbec Days. Et en effet, quand l'histoire du vin noir du Quercy est raconté par ses professionnels, la vigne arrive au temps des Romains, les belles heures sont médiévales, le tout étant parsemé de figures tutélaires (des rois de France aux tsars de Russie). « Le travail du critique historique est de discerner le vrai du vraisemblable et du fantasmé » tranche le chercheur. C'est dans ce cadre académique que s'inscrit l'enquête historique sur le malbec et les vins de Cahors, ouverte il y a trois mois à la demande de l'Union Interprofessionnelle des Vins de Cahors (UIVC).
Ces enjeux historiques peuvent sembler secondaires à l'âge d'une concurrence mondialisée, mais les résultats de ce travail universitaire pourraient devenir un levier de communication déterminant pour positionner le malbec cadurcien. « L'histoire est notre rempart tactique pour faire face à la mondialisation, faire un bon vin ne suffit plus : pour faire la différence il faut de l'esthétisme et du culturel » estime le négociant Bertrand Gabriel Vigouroux, le président de l'UIVC qui a particulièrement œuvré pour l'ouverture de cette étude. Epluchant depuis trois mois les sources bibliographiques, des fonds départementaux aux archives soviétiques, les chercheurs de la Sorbonne et du CNRS ont déjà démontré que cette quête identitaire était loin d'être une nouveauté. Il y a un siècle, la question était de savoir si Cahors pouvait légitimement faire partie du vignoble bordelais (le décret de 1911 a décidé que seuls les vins de Gironde peuvent y prétendre). Il y a cinquante ans le Quercy devait démontrer son aptitude à l'AOC (obtenue en 1971). Aujourd'hui l'identité cadurcienne s'est recentrée sur son cépage originel, le malbec, tout en devant se positionner vis-à-vis du leader qu'est l'Argentine, qui a porté sur le devant de la scène mondiale. Il serait d'ailleurs faux de penser que le malbec n'est à la mode que depuis la fin du XXème siècle,
« le malbec était extrêmement répandu au XIXème siècle, il représentait plus de la moitié de l'encépagement bordelais » souligne Léonard Laborie. À son âge d'or, jusqu'à 75 % de la production de vins de Cahors était exportée, les vins noirs du Quercy étant expédiés vers l'Europe du Nord, la Russie, les Amériques... Et parfois utilisés pour « relever les vendanges de Bordeaux qui n'avaient pas le soleil du Quercy » note le professeur Michel Figeac (Université Bordeaux Montaigne). Les entraves commerciales du port de Bordeaux, la desserte ferroviaire tardive du Lot, la crise phylloxérique, le gel de 1956 et la récente crise des stocks et cours de Cahors auront mis un coup d'arrêt à cet état de grâce des vins de Cahors. Pour le professeur Pascal Griset (directeur de l'Institut des Sciences de la Communication du CNRS), la particularité de ce travail de recherche est d'intégrer l'histoire d'un cépage dans une perspective internationale. Devant être livrée en 2017, cette étude devrait dessiner une « histoire du Cahors Malbec, attachant de l'importance à l'intégration dans l'espace, aux aspects culturels et techniques... Le tout avec une démarche indépendante, l'enquête allant du XIIIème au XXIème siècle. » Abordant les succès et désillusions du présent, cette étude pourrait avoir vocation à devenir un socle de réflexion interprofessionnelle alors que le malbec arrive à un carrefour mondial (cliquer ici pour en savoir plus). Pour Cahors, enjeu d'avenir est de gérer sa transition générationnelle, ceux ayant porté l'accession à l'AOC en 1971 arrivant à la retraite, tout en attirant et canalisant les investissements, de la France ou de l'étranger pour atteindre une taille critique.,
[Illustration : détail d'un tableau réalisé par Henri Martin pour l'escalier monumental de la Préfecture de Cahors]