rappés du sceau d’infamie depuis le décret du 18 janvier 1935 les interdisant (confirmé dans la loi du 30 septembre 1953 et abrogé par le décret du premier septembre 2003), les hybrides interspécifiques interdits clinton, herbemont, isabelle, jacquez, noah et othello ne bénéficieront pas d’une reconnaissance réglementaire européenne pavant la renaissance d’un patrimoine viticole à l’histoire mouvementée. C’était pourtant l’espoir de nombreux viticulteurs français, notamment dans les Cévennes. Mais la douche est froide ce jeudi 4 décembre : le trilogue européen réunissant Conseil, Commission et Parlement à Bruxelles n’a pas validé l’autorisation de ces variétés de vigne dans le cadre du paquet vin. Et ce malgré le soutien du Parlement et de la Commission regrette l’eurodéputé Éric Sargiacomo qui porte cette proposition et fustige « la procrastination du Conseil et des États membres (la France s’y est opposée). Leurs arguments de non-stabilité sur les récoltes et de faibles propriétés qualitatives* des vins de ces cépages sont des arguments qui importent aux producteurs et pas aux États membres. Ce serait bien la première fois que les États membres imposent une viticulture dirigiste et kolkhozienne, décidant de ce qui est bon ou pas. »
Interdits depuis 91 ans sur l’argument de fortes concentrations de méthanol, ces hybrides producteurs directs ont une mauvaise réputation infondée. « Le sujet est subtil : certaines de ces variétés, comme le noah, ont beaucoup de pectines dans leurs pulpes, qui se dégrade enzymatiquement en méthanol quand le cuvage est long et permet un contact prolongé entre les pellicules et le jus » explique Olivier Yobrégat, responsable du matériel végétal à l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV), et comme à l’époque ces variétés étaient destinées à une production familiale où les cuvaisons pouvaient être très longues, il y a pu y avoir une concentration notable de méthanol indique l’ampélographe. Pointant qu’en vinification traditionnelle, « à plus forte raison avec un pressurage direct », il n’y a jamais eu aucun vin d’hybride dépassant « les limites très protectrices de l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin (OIV) », Olivier Yobrégat est catégorique : « la légende des hybrides qui rendent fous est liée à l’alcoolisme. On trouve des rapports d’asiles d’aliénés où certains consommaient 10 à 15 litres/jour... Le méthanol est un faux problème. »
« L’institut des vins de consommation courante a beaucoup axé sa communication pour convaincre les gens d’arracher pour passer à des variétés plus qualitatives sur cet argument. Mais il n’y avait pas de production de méthanol à des seuils qui rendaient fous ou aveugles. C’était plutôt la surconsommation d’alcool en général qui posait problème » confirme le professeur Jean-Michel Boursiquot, ampélographe émérite à la retraite depuis 5 ans, qui pointe que concrètement « la réglementation n’a jamais été claire sur l’interdiction ces hybrides : on pouvait en cultiver, mais pas faire du vin et le commercialiser ». D’où la présence notable d’isabelle sur l’île de la Réunion ou en Ardèche ? Faux coupable, mais vrai bouc-émissaire pour afficher des mesures et annonces lors d’une crise viticole durant laquelle aucun député n’a souhaité réduire les rendements sur sa circonscription : « le seul consensus trouvé était l’interdiction des 6 hybrides alors qu’ils étaient produits pour une consommation surtout familiale. Ça n’a servi à rien comme il n’y avait pas de cadastre à l’époque » précise Olivier Yobrégat, pointant que le premier recensement viticole de 1958 trouvait 55 000 hectares d’hybrides interdits malgré leur interdiction : « ce n’était pas rien sur les 1,2 million ha de l’époque. Une campagne de communication pour leur arrachage sous peine d’amendes a suivi. »
« Il était certain que le blocage de la production de ces hybrides n’allait pas réduire » la crise viticole confirme Jean-Michel Boursiquot, qui prend des pincettes sur l’aspect patrimonial de ces variétés : « tout dépend comment on définit le terme patrimonial. Ces 6 hybrides ont été obtenus en Amérique du Nord avec une majorité de Vitis labrusca, riparia, cinerea… » Si ces hybrides présentent une résistance aux maladies cryptogamiques (mildiou, oïdium, botrytis…), « les nouvelles générations résistantes qui sortent sont qualitativement plus intéressantes et on connait plus leurs capacités de résistance. Je pense qu’il y a des problèmes plus compliqués à résoudre pour sauver la viticulture. »
Produisant des vins sans danger pour la santé, ces variétés pourraient tout de même avoir un intérêt technique pour s'adapter au changement climatique et réduire les traitements phytos plaide Éric Sargiacomo, l’eurodéputé soulignant que l’Europe navigue « dans l’absurdité la plus totale. On peut importer des vins de ces cépages venant d’autres pays, comme les États-Unis et Brésil, mais on ne peut pas commercialiser de tels vins produits en France (le Code rural permettant désormais de les planter) qu’il n’y a pas d’éléments sérieux pour le justifier. »
Indiquant ne pas lâcher le dossier avec d’autres parlementaires, l’eurodéputé landais dire croire à la sagesse des dirigeant européen pour porter une réautorisation de la production de vin de clinton, herbemont, isabelle, jacquez, noah et othello dans la prochaine révision de l’Organisation Commune du Marché (OCM). « Il faut que l’on sorte de cette situation paradoxale, il n’y plus d’interdiction dans le Code rural en France, mais avec ces raisins on ne peut pas faire de vin » conclut Éric Sargiacomo.
* : Sur les 6 interdits, le noah, l’isabelle, l’othello et le clinton présentent des goûts foxés typiques, ce qui n’est le cas de l’herbemont et du jacquez.




