’est la question à 3,6 millions d’hectolitres : « les vins de Bordeaux sont-ils vendus aujourd'hui au bon prix ? » pose un auditeur des matinales de l'immobilier, la conférence tenue ce jeudi 13 novembre à l'InterContinental Bordeaux par l’agence immobilière Une Villa et des Vignes (les biens de prestige du réseau Human, ex-Bourse de l’Immobilier). « Non, ils sont vendus pour des volumes très importants en dessous de leur coût de production » répond Christophe Chateau, le directeur de la communication du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB), se focalisant sur les vins génériques*. Alors que l’interprofession constate un cours moyen sur le bordeaux rouge de 943 € le tonneau sur la campagne 2025-2026 (et 793 € sur le mois d’octobre 2025), le porte-parole pointe que « ce n'est forcément pas le bon prix quand un viticulteur vend un tonneau de 900 litres à 900 € et que ça lui coûte 1 800 € de le produire. Le prix du vin en vrac de Bordeaux sur les 3 dernières années c'est 1 € le litre. C'est moins cher que de l'huile d'olive, c'est parfois moins cher que du vinaigre. Et là il y a un problème. »
Tenants et aboutissants
Pour expliquer l’origine de cette situation difficile, Christophe Chateau avance deux phénomènes : d’une par la réduction de la consommation (liée à l’arbitrage économique, comme le vin n’est plus un produit alimentaire mais un accessoire de loisir dans lequel il est facile de réduire les dépenses) et la monté des préoccupations sur la santé (avec un renforcement du lobby antialcool et la médiatisation d’initiatives comme le Dry January). Face aux difficultés structurelles, exacerbées par la conjoncture (aléas climatiques sur les coûts de production, tensions géopolitiques sur l’export…), la stratégie du CIVB est de réduire la production (par l’arrachage : -20 000 hectares en 4 ans, pour tomber à 85 000 ha en 2025) et de soutenir la commercialisation (par l’image, via la campagne institutionnelle axée sur les visages des vignerons, et la formation, avec l’école du vin et des évènements au contact des consommateurs). Défendant les atouts des vins girondins face à la sinistrose, Christophe Château souligne que « Bordeaux est une marque très forte. C’est l’appellation préférée et la plus connue en France auprès des consommateurs » martèle le directeur de la communication du CIVB, qui relève un « Bordeaux bashing » essentiellement présent chez « des prescripteurs et cavistes, surtout parisiens » et prompts à faire découvrir d’autres appellations moins connues.
Sachant que la crise viticole n’est pas que bordelaise : « pourquoi les vignes s'arrachent dans le monde et pourquoi des vignes ne sont pas vendangées dans la Napa valley ? Parce que le marché est en dessous du coût de production » rapporte Christophe Chateau. Qui reste cependant circonspect face à la spirale de décroissance du vignoble. « Un vigneron de Bordeaux m'a dit "il faut arrêter d'arracher, on va bientôt manquer de vin" J'ai répondu "il me tarde, parce que ça veut dire que les coûts vont remonter et que l'économie viticole ira mieux" » raconte Christophe Chateau, notant que « si l’on arrache des centaines de milliers d'hectares dans le monde, et si l'économie redémarre, on peut penser que l’on va arriver à rééquilibrer l’offre/demande, que l’on va arriver à une stabilité. » Sachant que dans un monde instable économiquement, rien n’est acquis : « la seule question à laquelle on n'a pas de réponse aujourd'hui, c'est jusqu’où va baisser la consommation ? Si elle continue à baisser plus vite que ce que l'on arrache, et bien on restera en crise. »
Se voulant optimiste, Christophe Chateau espère qu’à moyen terme « les sujets géopolitiques se stabilisent, que les guerres s'arrêtent et que l'économie mondiale redémarre. Et là on peut penser, avec des marchés en vue comme l'Afrique, comme l'Inde, comme l'Amérique du Sud, retrouver un équilibre et on le souhaite vivement pour nos opérateurs vignerons et négociants » qui sont touchés par la crise. Et qui n’ont pas que l’export en ligne de mire, les cavistes et restaurateurs de France étant particulièrement ciblés par les opérateurs et la filière. « C'est un investissement en termes d'image qui est capital parce qu'on ne regagnera pas le terrain des consommateurs si les prescripteurs que sont les cavistes, les restaurateurs ou les bars à vins ne refont pas la promotion de Bordeaux » analyse Christophe Château, sachant que Bordeaux « les a snobés, il y a un problème d'arrogance » dans un passé récent en leur refusant l’accès à des références car « on vend plus cher en Chine », mais « ça ils n’ont pas aimé, ils s'en rappellent. Donc il faut retravailler, aller les voir, reconquérir et remontrer que Bordeaux a les meilleurs rapports qualité prix du monde ».
« D'un seul coup, [Bordeaux en est] à devoir analyser toutes les erreurs que l'on a fait ces dernières années » pointe Arnaud Roux-Oulié, propriétaire des châteaux Carlmagnus à Fronsac, estimant qu’à l’avenir « ça va être aux viticulteurs de se refaire une équipe de commerciaux qui reviennent sur le terrain » face au désengagement ressenti du négoce, alors que « s'il n'y a pas de viticulteur, il n'y a pas de négociant. Par contre, les viticulteurs sans négociant, ça peut fonctionner. » Les temps changeant dans le modèle de la place bordelaise : « il y a 50 ans, on faisait du vin, il était bon, il n'y avait pas de sujet. Aujourd'hui, on fait du vin, il est bon, et si personne ne le sait, si personne ne l'achète, on est mort. Il faut que le vigneron se réinvente » indique Christophe Chateau, estimant également qu’« aujourd'hui une propriété qui ne gère pas ses réseaux sociaux, qui n'est pas sur Instagram, qui ne fait pas de l'œnotourisme, elle va péricliter » et « il faut que le viticulteur évolue, qu'il devienne un commercialisateur qu'il devienne un influenceur, qu'il devienne un marketeur ».
* : Interpellé sur le prix des vins de Bordeaux, Christophe Château met évidemment à part les grands crus classés, sachant que « ceux qui sont vendus trop cher pour trouver des clients aujourd'hui, ce n'est pas le bon prix. Il va falloir qu'ils rebaissent leur prix pour être alignés avec le marché. »



