oup de gueule ou coup de comm’ ? Ce 24 juin, les associations Générations Futures, France Nature Environnement et Alertes des Médecins sur les Pesticides (AMLP) alertent sur les délais de publication de l’étude d’exposition aux pesticides chez les riverains de zones viticoles et non-viticoles (PestiRiv). « Une étude révélant l’impact des pesticides sur les riverains bloquée par le gouvernement à quelques jours de l’examen de la loi Duplomb » martèlent les trois ONG, pointant « une volonté manifeste de masquer la réalité de l’impact des pesticides ». Ayant défrayé la chronique viticole*, Pestiriv est une vaste enquête scientifique lancée fin 2021 par l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (Anses) et l'agence nationale de santé publique (Santé Publique France) dans six vignobles (Grand Est, Nouvelle-Aquitaine, Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur) pour mesurer les traces de 58 matières actives (fongicides, herbicides et insecticides) dans les cheveux et urines de 3 350 adultes et enfants (ainsi que dans leurs 2 250 foyers, se trouvant à moins de 500 mètres d’un pied de vigne, mais plus de 1 km d’une autre culture).
Initialement prévue début 2024, la publication des résultats est désormais prévue pour l’automne 2025. Les données scientifiques sont arrêtées, les comités ont rendu leurs conclusions « il y a quelques semaines » et le rapport pourrait être publié dès maintenant affirme François Veillerette, le porte-parole de Générations Futures, qui « proteste contre les délais qui, à notre avis, ne sont pas seulement liés à la publication d’une belle brochure. On est très enjoints à penser qu’il y a la volonté d’attendre après les débats pour que ça ne vienne pas complexifier la situation politique autour de la loi Duplomb. Ça coince quelque part au niveau de la présentation de l’étude. » Président de l’AMLP, le docteur Pierre-Michel Périnaud affirme que « toutes les données » sont récoltées et que « le match est fini ». Pour lui, « ce n’est pas du travail scientifique qui attendu, c’est une mise en forme de communication. Prendre 6 mois pour ça, c’est étonnant ». D’où la « demande de publication immédiate [de Pestiriv] pour éclairer les discussions et votes en Comission Mixte Paritaire (CMP) sur la propositions de loi Duplomb pour que le débat soit le plus éclairé possible avec les dernières données » plaide Anna Cohen, cheffe de projet pour l’agriculture à France Nature Environnements.


Contacté, l’ANSES répond à Vitisphere que « l’étude Pestiriv n’est absolument pas bloquée, elle n’est pas terminée. L’avis est en phase de rédaction en partenariat avec Santé Publique France, sur la base du rapport et des retours d’experts, puis il y aura la restitution aux tutelles et aux parties prenantes. Nous ne rendons jamais public un rapport avant les restitutions. » Ce qui demanderait un temps serein pour l’administration. Une position inentendable scientifiquement et politiquement pour les trois ONG. « Il faut faire la différence entre l’étude scientifique elle-même et la communication des ministères de tutelle » répond François Veillerette, qui maintient que « l’étude scientifique est terminée, c’est la communication et la mise en forme qui donnent lieu à des négociations. Je ne suis pas certain que cela doive durer 6 mois. »
Même impatience pour Pierre-Michel Périnaud, qui rappelle que « tout part du cluster de cancers pédiatriques à l’école de Preignac » en 2015 (dans le vignoble du Sud Gironde) et de « la question légitime » de savoir « quelles substances sont à l’origine de ces drames ». Le médecin de Limoges estime qu’avec les délais « on est dans l’enrobage politique des résultats » et regrette « le fait que ces conclusions ne soient pas accessibles dans un moment où les parlementaires auraient dû pouvoir parler de la question des pesticides » avec Pestiriv. S’il n’y a pas de publication rapide, François Veillerette indique que les avocats de Générations Futures étudient la possibilité d’une attaque en référé sur le fondement que « ces données devraient être publiques » et qu’elles « doivent être portées à la connaissance » des parlementaires et du public. Anna Cohen rappelle que les trois ONG portent deux autres demandes : que « les citoyens soient informés en amont des épandages près de chez eux (pour prendre des mesures limitant l’exposition) et numériser les données d’épandage pour qu’elles soient accessibles aux scientifiques (pour comprendre les liens entre certaines molécules et certaines maladies). »
* : Fin 2021, la filière vitivinicole s’était inquiétée d’une étude la ciblant. Notamment dans le vignoble de Bordeaux, qui concentre le quart des prélèvements prévus. L’Anses avait fait paraître des justifications pour apaiser les esprits. Lors du lancement du projet, il était indiqué par Sébastien Denys, le directeur Santé-Environnement-Travail pour Santé Publique France, que « la viticulture [était] choisie de par l’importance de son utilisation de produits phytosanitaires et de par le fait que des populations qui vivent dans ces zones viticoles sont souvent très proches des parcelles » afin que Pestiriv puisse répondre « à une préoccupation très importante sur le lien entre l’exposition à des produits phytosanitaires, en l’occurrence des pesticides, et des impacts sur la santé. D’un point de vue toxicologique, ces impacts et le caractère dangereux de ces substances sont de mieux en mieux documentés. En revanche, sur la question des molécules auxquelles sont exposées les populations au voisinage de ces parcelles, la littérature scientifique est beaucoup moins documentée. »