es clichés ont la peau dure : si les propriétaires de modestes vignobles médocains ont l’habitude d’être vus comme des châtelains, leur train de vie n’a pourtant rien de commun avec les grands crus classés en 1855. En témoignent « mes vingt dernières années de descente progressive aux enfers » rapportées par un vigneron du Médoc souhaitant rester anonyme. Une chute « qui aujourd’hui caractérise la situation de beaucoup d’entre nous au sein de la filière et sur ce créneau moyen de gamme à Bordeaux : ni entrée de gamme, ni grand cru classé » explique le vigneron que nous appellerons ici William (souhaitant garder l'anonymat face à ses difficultés économiques).
Faisant partie des crus bourgeois du Médoc, ce vigneron estime que « cette famille de crus est progressivement asphyxiée, comme chacun sait, par le négoce bordelais qui lui préfère souvent les grands crus et leurs seconds vins... Les vins prestigieux étrangers ... Et ses propres châteaux : une fois dépensés les billets de banque, il ne reste plus au négoce que les pièces ! » Pour William, les dispositifs de distillation de crise et d’arrachage sanitaire n’auront pas d’impact majeur dans le Médoc, car déjà « les banques s’impatientent des retards pris pour le remboursement des prêts consentis lors du covid-19 aux petits châteaux, la MSA de gironde ne peut plus être le banquier de la viticulture bordelaise, son département recouvrement amiable est dépassé à cause des échéanciers non respectés, et le trésor public doit recouvrir TVA et taxe foncière rapidement, donc les courriers de mise en recouvrement partent actuellement en quantité de la cité administrative... »


Notre vigneron médocain ne veut pas faire « mine de croire que quelques subventions d’arrachage et de distillation, plus une grosse campagne de pub régleront le problème de la filière viticole bordelaise en général et le problème des vins de milieu de gamme en particulier ». Et de glisser une proposition au Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) : passer à une Cotisation Volontaire Obligatoire (CVO) indexée à la valeur (€) et pas au volume (hl). La CVO actuelle étant de 4,72 € HT/hl pour l'AOC Bordeaux et 10,39 € pour les communales du Médoc (ainsi que Pessac-Léognan, Saint-Emilion Grand Cru). Face aux différences de niveaux de prix actuellement pratiqués, c'est « un peu comme si l'ancienne vignette avait été basée sur la taille du véhicule et non sur sa cylindrée. Une Renault 4L égale une Porsche 911 ! Ou bien la Renault paye trop cher, ou bien la Porsche bénéficie de ce qui ressemble... A une quasi franchise fiscale ! Ce qui est tolérable en temps d'abondance, mais inacceptable lorsque les subventions sont financées par le ministère de l'Agriculture voire Bruxelles, et dans tous les cas par le contribuable... Et a fortiori lorsque la filière toute entière se dit solidaire » s'étrangle William, défendant une évolution du calcul des CVO pour « prendre acte de l’ampleur réelle de la crise pourtant évidente pour le tribunal judiciaire de Bordeaux ».
Il faut dire que William est lui-même en procédure collective pour sa propriété, après s’être « heurté à un président du tribunal judiciaire de Bordeaux qui s’est refusé à admettre mon stock de vin dans la catégorie des actifs disponibles... Le passif exigible étant supérieur à mon cash la liquidation était inévitable. » Désormais, le vigneron se bat pour « éviter la ruine complète de ma famille », puisque « la déclaration de créance au mandataire par un créancier vaut présomption de vaine poursuite ! Les banques, la MSA et le trésor public le savent bien et engagent sans attendre la fin de la liquidation la responsabilité des associés sur leurs biens propres… » Et le vigneron désabusé de regretter de ne pas avoir été alerté par son comptable sur le manque de protection des associés à titre subsidiaire face aux créanciers compte tenu du statut de Société Civile d'Exploitation Agricole (SCEA).
Au final, « certes sur le terrain nous voyons de la lumière au bout du tunnel... Mais nous craignons que ce soit le phare d’une locomotive » conclut William.