e saviez-vous, ce 15 octobre est la journée internationale de la femme rurale ? N’attendant pas cet évènement de l’ONU (créé en 2008), le sénateur de l'Aude Sébastien Pla (Parti Socialiste) a déposé le 20 avril dernier "une proposition de loi visant à encourager l'égalité entre les femmes et les hommes en agriculture". « Cette initiative parlementaire vise aussi à pointer des inégalités de genre persistantes dans le milieu agricole et appelle à une réflexion ciblée pour mieux accompagner les femmes exploitantes ainsi que l'image de cette profession, qui se féminise, notamment dans le secteur viti-vinicole » indique le cabinet du sénateur à Vitisphere. Le texte déposé propose notamment le financement de l’accès au foncier, l’accompagnement des jeunes mères, la parité dans les chambres d’agriculture, des leviers fiscaux pour les conjoints collaborateurs, le lancement d’une plateforme "bien dans mes bottes"…
« Bien sûr, la moindre prise en compte des femmes dans le monde du vin est une avancée dans la mesure où jamais ce sujet n'a été abordé sérieusement... » réagit la vigneronne Isabelle Perraud, qui est la porte-parole de l’association féministe Paye ton pinard. Mais « nous sommes d'avis que cela ressemble plus à du womenwashing qu'à de véritables engagements envers les femmes et surtout envers l'égalité homme/femme » ajoute la vigneronne du Beaujolais, qui ne relève « pas d'avancées réelles. Nous attendons une vraie loi et pas juste quelques mesurettes destinées à n'être qu'une opération de communication. »


Pour l’association, « nous pensons qu'on n'avancera pas si les femmes restent exclues du monde politique du vin et des postes à responsabilités. Il faut imposer vraiment des quotas dans les instances dirigeantes. Il faut être ferme sur des lois permettant l'accès aux prêts bancaires, l'accès au foncier pour les femmes. Faire en sorte que les formations, par exemple, soient adaptées également aux femmes... » Pour Isabelle Perraud, « on est encore très loin de l'égalité homme femme. Alors qu'ils se mettent au travail sur ces sujets en incluant des femmes à la discussion, nous semble évidemment primordial. »
Suite à cette publication, le sénateur Sébastien Pla a souhaité réagir (voir encadré). À date, la proposition de loi n’est pas programmée à l’agenda du Sénat.
« En France, l'agriculture a pourtant longtemps été une "affaire d'hommes", "une activité transmise de père en fils", les femmes, elles, ne faisaient "qu'aider leurs maris", rendues "invisibles", avec des statuts précaires, créant des inégalités, qui perdurent, aujourd'hui encore, au moment de leur départ à la retraite.
Qu'il s'agisse de l'accès à la formation, des patrimoines productifs, du mode d'exercice et de ses conséquences en termes de retraite, le chemin vers l'égalité est encore long à parcourir. Il est urgent d'engager un modèle agricole plus solidaire et favorisant l'égalité entre les hommes et les femmes. Le défi collectif à relever est aussi de maintenir des hommes et des femmes sur les exploitations.
J’ai pu constater, grâce à mon histoire familiale personnelle de vigneron, et au fil des rencontres sur le terrain, que ces inégalités femme/homme persistent. A l'épreuve des faits, que ce soit lors de la reprise des exploitations agricoles, de l'orientation scolaire ou de la transmission du patrimoine productif, les normes sexuées s'appliquent dès l'accès à la profession et génèrent, en conséquence, des écarts de revenus importants entre les agricultrices et les agriculteurs. Les femmes agricultrices sont aussi toujours très largement invisibilisées, même si c'est cependant moins le cas dans le secteur viticole où la profession s'est beaucoup féminisée.
Mis à part la présentation d’un rapport très complet par la délégation sénatoriale aux droits des femmes, il n’y a jamais eu de débat parlementaire sur ce sujet qui me tient beaucoup à cœur. La loi du 4 août 2014 "pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes"* n'a pas permis d'aborder en profondeur ces mécanismes et méconnaît toujours la fragilité de statut de la femme agricultrice.
C’est donc en prenant appui sur les groupes de femmes agricultrices que j’ai rencontrées, et plus particulièrement les jeunes agricultrices de l’Aude, qui sont l’avenir de notre profession, que j’ai essayé d’ébaucher, dans la continuité de loi impulsée en 2014, par mon groupe parlementaire, des pistes de travail en mettant une focale sur un sujet largement ignoré dans le débat public, les inégalités de genre en agriculture.
Valoriser la place des femmes en agriculture passe, selon moi, par la promotion de l'image des femmes agricultrices, en partant d'une réalité tangible, pour susciter des vocations. Bien entendu, cette mesure ne se réduit pas à un stand los du salon de l'agriculture et à une campagne publicitaire, même s'il me semble indispensable que les pouvoirs publics communiquent mieux sur la féminisation de l'agriculture lors de ces moments privilégiés de rencontre et de découverte.
La plateforme dédiée aux femmes agricultrices que je propose de créer (article 4) s'inscrit dans cette démarche de valorisation de l'image mais ne se résume pas seulement à de la communication grand public. Cette plateforme est conçue comme un espace de ressources pour les femmes agricultrices avec la création de référents territoriaux dédiés, une ligne d'écoute et un service d'assistance et de conseil juridique spécifique pour les agricultrices qui veulent s'installer (article 4-I-3). Elle encourage aussi à la formation de groupe de femmes, et donc de modèles collectifs en fléchant les fonds européens dans les territoires sur l'accompagnement spécifique de ces mouvements collectifs de femmes agricultrices (cf article 1-2-III et article 4-II). Pour ce qui est de la levée des freins au crédit bancaire, je demande aussi de mobiliser les fonds de la banque des territoires avec un programme spécifique de soutien et cautionnement d'Etat pour les prêts des agricultrices, dans la limite de 150 000 euros. (article 5).
En matière de formation professionnelle et de statut, il me semble aussi nécessaire de mieux accompagner les sorties du statut de conjoint collaborateur et d’étendre les droits accordés aux jeunes agriculteurs à ces personnes, souvent des femmes, afin de favoriser la qualification (article 1). Je propose aussi une incitation fiscale pour que les conjoints qui sont associés soient avantagés avec un dégrèvement de la taxe sur le foncier non bâti et d'exonérer de charges fiscales et sociales l’exploitant lors du recrutement des conjoints collaborateurs afin de favoriser le salariat et la juste reconnaissance du travail sur l’exploitation, lorsque l’activité est exercée en couple.
Concernant la participation des femmes aux instances représentatives, il me semble évident de donner davantage la parole aux femmes et qu’ainsi les organismes consulaires deviennent paritaires. C'est l'objet de l'article 6 de ma proposition de loi qui l'énonce clairement.
S'agissant des spécificités d'exercice de la femme parturiente, il est aussi à noter que la santé de la femme agricultrice devrait être mieux suivie, à raison des risques augmentés avec une exposition accrue aux pesticides, perturbateurs endocriniens... Il s'agit là d'un problème de santé publique insuffisamment apprécié, qui fait aussi partie de la vie des femmes. Je demande donc de renforcer le suivi sanitaire individuel et de mieux évaluer l’exposition aux risques pour la mère et l’enfant à naître.
Enfin, je suggère d’adopter une démarche itérative en se dotant d’un outil de pilotage pour évaluer l'efficience des dispositifs mis en place (article 8), et notamment s'attarder sur le nombre de formations engagées par les agricultrices et le taux de réussite à l’obtention de titres professionnels ou d’équivalence ; le taux de mobilisation des crédits européens ; la part des femmes dans les instances de décision, le volume de crédits cautionnés par la Banque des territoires et les retombées pour les territoires, le volume d’heures pris en charge par les chambres consulaires pour favoriser l’engagement des femmes agricultrices…
J’ai bien conscience que les attentes sont fortes, et que ce texte est un premier pas, il doit encore s’enrichir du débat parlementaire et mobiliser la société civile. Il ne peut donc être exhaustif. Changer les mentalités est long. Les inégalités de genre sont le terreau des violences faites aux femmes. Fidèle à mes engagements, j’ai tenté d’agir pour les atténuer dans un domaine, où il reste tant à faire. »
* : « premier texte de loi à aborder l'égalité entre les femmes et les hommes dans toutes ses dimensions (égalité professionnelle, lutte contre la précarité, protection contre les violences, image des femmes dans les médias, parité en politique et dans le milieu social et professionnel...). »