’est un mail autant attendu que craint dans le vignoble. "CVI : questionnaire intérêt mesure réduction potentiel" s’intitule la missive de FranceAgriMer qui sonde en ligne jusqu’au 10 octobre les désirs d’arrachage et arrive actuellement par vagues successives dans les boîtes des vignerons détenteurs d’un Casier Viticole Informatisé (CVI). Alors que les modalités réglementaires et financières d’un nouveau plan d’arrachage définitif ne sont pas acquises, le sondage de FranceAgriMer demande subtilement aux vignerons quel serait leur intérêt « si la mesure de réduction du potentiel viticole mise en place en 2024-2025 était reconduite ».
Si la France avait obtenu l’an passé l’autorisation de débloquer 120 millions d’euros sur fonds nationaux liés à la guerre en Ukraine pour un arrachage à 4 000 €/ha (au final 25 500 ha ont été arraché sur les 30 000 ha possibles*), il est dans l’immédiat impossible d’assurer qu’une prime de 4 000 €/ha serait de nouveau accessible aux vignerons candidats. Tout dépendant de la réponse de la Commission européenne à la demande d’accès aux fonds communautaires de réserve de crise agricole envoyé début septembre par le gouvernement de François Bayrou, avant d’être démissionnaire. « Ce questionnaire porte exclusivement sur l’arrachage définitif pour avoir le plus rapidement possible des indications sur les surfaces à arracher pour la campagne 2025-2026 et permettre de mobiliser un maximum de crédits entre l’Union Européenne et l’Etat membre » explique Jérôme Despey, le président de FranceAgriMer, alors que la filière demande 200 à 250 millions € pour pouvoir rééquilibrer son offre excédentaire avec la demande atone des marchés.


Acté lors de la rencontre mi-juillet de l’Association Générale de la Production Viticole (AGPV) avec la ministre de l’Agriculture désormais démissionnaire, Annie Genevard, ce questionnaire devait être lancé mi-septembre pour pouvoir répondre à l’urgence de la crise viticole souligne Jérôme Despey, qui ne cache pas l’impatience teinté de ras-le-bol que l’on entend en cette fin de vendanges dont les rendements sont bien plus bas que prévus et vont augmenter les coûts de production sans pouvoir assurer de valorisation. « Dans le vignoble, il y a aujourd’hui un moral qui est atteint et arrive à un point de non-retour. Les vignerons me disent : "maintenant je veux arracher, j’en ai marre" » résume le viticulteur languedocien.
Cette impatience pourrait se heurter à des délais réglementaires, le retour de l’arrachage définitif dans les outils de régulation communautaire étant suspendu à la validation du paquet vin à Bruxelles : la réforme de l’Organisation Commune du Marché vitivinicole (OCM vin). Le Parlement européen se penchant cette fin d’année sur le dossier, le risque est de voir passer les mois avant que l’outil ne soit disponible…
Possible raccourci
À moins que le recours aux réserves de crise ne permette de déroger au cadre de l’OCM vin : « réglementairement, les crédits de réserve de crise s’appuient sur une déstabilisation de marché (les taxes américaines à 10 puis 15 %) pour venir en dérogation à la Politique Agricole Commune (PAC) avec le financement d’actions spécifiques (l’arrachage étant dans la notice de demande française) » avance Jérôme Despey, préciant que « cela n’enlève rien au paquet vin, qui permet à la Commission européenne d’être plus allante sur la validation d’un arrachage ».
On ne peut pas être en dessous de 4 000 €/ha
Rien n’est cependant gagné pour le financement d’un nouvel arrachage définitif. Alors que la Commission européenne ne s’est pas positionnée sur la demande française d’accès aux réserves de crise agricole, le gouvernement ne peut pas non plus avancer d’aides nationales à l’arrachage, gestion des affaires courantes obligent. « On ne peut pas être en dessous de 4 000 €/ha. Il faut maintenir 4 000 €/ha a minima » martèle Jérôme Despey, évoquant une prime qui pourrait être consolidée par des départements et régions selon des dispositifs de diversification ou de reconversion (comme mis en œuvre à Bordeaux avec l’arrachage sanitaire à 6 000 €/ha). Se souvenant que l’arrachage obtenu en 2024 avait mobilisé le ministre de l’Agriculture d’alors, Marc Fesneau étant monté à Bruxelles l’été pour accélérer le dossier, Jérôme Despey appelle le futur gouvernement à démontrer que la question viticole est une priorité pour lui. Le nouveau premier ministre Sébastien Lecornu n’ayant pas nommé de ministres depuis sa nomination ce 9 septembre, les dossiers restent pour l’instant flottants.
S’attaquant actuellement à la demande d’arrachage définitif, la filière demande également d’autres mesures structurelles. Le sondage sur la réduction du potentiel viticole « ne veut pas dire que les autres dispositifs de crise ne seront pas étudiés. Mais comme on doit appuyer la demande de réserve de crise avec des justificatifs pour obtenir l’arrachage réclamé par les vignobles, la filière ne peut pas courir plusieurs lièvres en même temps » analyse Jérôme Despey. Dans son plan de sortie de crise, l’AGPV demande notamment un arrachage temporaire (qui pourrait passer par les plans collectifs de restructuration), distillation (couplée avec un arrachage), soutien aux trésoreries (les prêts de restructuration n’ayant pas tenu leurs promesses), obtention de prix rémunérateurs (Egalim, 172 ter, 210 bis…) et reconquête de parts de marché (à l’export, mais aussi avec l’œnotourisme).


En attendant, les vignerons sont appelés à remplir le questionnaire jusqu’au 10 octobre. Indicatives, les informations collectées par le sondage FranceAgriMer ne représentent pas un engagement. Elles seront « confidentielles et traitées en respectant les règles du secret statistique » précise l’agence. Une adresse mail est mise en place pour répondre aux questions des titulaires de CVI : enquetes-viti@franceagrimer.fr
* : Cette sous-consommation de l'enveloppe est parfois reprochée par les pouvoirs publics aux représentants du vignoble, avec l'argument que la filière demande de nouveau des outils qu'elle n'a pas totalement mobilisés l'an passé. Ce à quoi Damien Gilles, le président du Syndicat des Vignerons des Côtes du Rhône, répond : « dans le monde agricole, on attend de voir comment ça se passe. Je pense que la deuxième vague sera plus soutenue. La réalité est qu’il faut passer par une diminution du potentiel de production sur presque toute la France. Je ne peux que regretter les 4 000 €/ha pour l’arrachage, qui sont bien en dessous de ce que pourrait espérer n’importe quel vigneron pour se défaire de son patrimoine générationnel. 4 000 €/ha, c’est bien trop peu. »