L’œnologie doit tenir compte de multiples facteurs (terroir, climatologie, viticulture, maturité, vinification, élevage, segmentation, mise en bouteilles, consommation…) et en faire une synthèse pour proposer des vins dans une attractivité pour les consommateurs, au travers d’un maximum de qualités et d’un minimum de défauts, pour chaque segment commercial.
Pour différentes raisons, l’Œnologie semble s’être à la fois : figée sur des concepts/process anciens généralisés, simplifiés voire simplistes, négligeant en particulier les conséquences des évolutions climatiques ; s’être trop souvent affranchie de certaines rigueurs nécessaires à l’élaboration de vins « stables » ; de ne pas s’être préoccupé des conséquences des 2 constats précédents sur l’appréciation des consommateurs, et de leurs attentes ; et d’avoir adopté le caractère concentré et boisé comme un invariant qualitatif produisant des profils standardisés monotypiques négligeant les singularités des terroirs, des cépages, et des nécessaires variabilités des profils vins et des goûts.
On constate qu’il y a une baisse de consommation, mais s’est-on vraiment posé la question de ce que le consommateur voulait boire, et y a-t-on vraiment répondu ? NON ! Ainsi en +/- 30 ans les vins ont globalement évolués de vins fruités/frais de 13% d’alcool, d’indice de tanin de 50-60 et pas/peu boisés, à des vins trop souvent sur-mûris aux arômes de fruits cuits, de 14.5 % d’alcool, d’indice de tanin de 65-80, et avec des boisés marqués et pas toujours nobles. Et en parallèle, une consommation à tendance hors repas ou avec des repas « allégés » limitant l’acceptation tanique… Peut-on imaginer une personne acheter et consommer ce qu’elle n’aime pas ? NON ! Donc les marges de manœuvre sont encore grandes pour y répondre !…
Sur les concepts/process, il est très surprenant et surtout illogique que l’on vinifie des raisins de 2023 sur des bases de vinifications des années 1990, sans tenir compte des évolutions climatiques sur : l’oxydabilité des vins, l’augmentation des degrés alcooliques et des pH, ainsi que sur l’augmentation des concentrations taniques…
Sur la stabilité des vins, au cours de ces 30 dernières années, les instabilités bactériennes (acétiques et lactiques), l’oxydation (laccase) et les polysaccharides (glucane) générés par le Botrytis, ont été remplacées par : les problèmes microbiologiques générés par Brettanomyces, l’oxydation par la tyrosinase due à la chaleur et au soleil (aussi oxydante que la laccase, mais pas mesurée), l’augmentation de la teneur en pectine et une plus grande richesse phénolique très difficile à stabiliser. Pour la pectine, plus on est en condition « sud » moins elle est dégradée naturellement par manque d’enzymes pectolytiques naturelles (concentrations des pectines résiduelles ayant été globalement multiplié jusqu’à 3 fois ces 5 dernières années). Les problématiques de stabilisation phénolique deviennent de plus en plus difficiles, avec des conséquences de clarification-filtration qui remettent en question la continuité qualitative entre les vins vinifiés et les vins en bouteilles. Pour de nombreuses régions, il y a peu encore tempérées, l’évolution climatique amène à produire des raisins « sud », et se confrontant donc à de nouvelles problématiques non appréhendées.
L’Œnologie a commencé par être chimique, puis biochimique et devrait nous obliger à évoluer vers des approches plus colloïdales. Plus les vins sont issus de raisins « sud », plus il y a de problèmes colloïdaux, et d’autant plus que l’on recherche des vins « concentrés ». C’est d’ailleurs pour cela que les vins issus des régions « sud/chaudes » au sens de l’indice Huglin, n’ont jamais été considérés comme qualitatifs, sauf de très rares exceptions de précautions extrêmes, confirmant la difficulté naturelle.
Les conséquences des non-prises en compte de ces évolutions et des exigences œnologiques nécessaires, en y ajoutant la concentration et le boisé comme incontournables qualitatifs (simulacre de « Grand Vin »), entraînent une trop grande majorité des vins dans des caricatures non appréciées des consommateurs, voire repoussantes ; même si parfois pouvant être appréciés/valorisés par certains critiques. Dans ce sens, il y a eu trop de confusions entre la recherche d’une valorisation par dégustation/médiatisation, sans prise en compte du potentiel de buvabilité/appréciation de consommation (même modérée) … et on peut partager le fait que des vins concentrés, de 15% d’alcool, boisés (souvent pas nobles), issus des 3 « surs » maturité-extraction-boisé, décrits par les consommateurs comme « sans fraicheur, lourds, alcooleux, trop taniques, astringents, secs et amers », ne sont pas faciles à boire !...Peut-être que quelques vins d’une certaine identité et aux terroirs très nobles peuvent éventuellement poursuivre dans cette voie, mais la grande majorité des vins ne peuvent plus être produits dans cette voie sans issue, conduisant aux méventes, distillations et arrachages.
Si certaines pratiques viticoles sont d’ores et déjà remises en question, les pratiques œnologiques semblent être peu remises en cause !? Comment ne pas revoir l’approche des profils de vins avec plus de diversification, dont en concentration ; en respect des terroirs et en type de maturité en rapport avec la segmentation ; en process de traitement du raisin et en vinification moins extractive, diversifiée et adaptée ; en élevage plus rigoureux et pas systématiquement boisé ; en se préoccupant davantage des problèmes de stabilisation, et en offrant des vins attractifs « buvables », modérément mais avec plaisir ?
Et comme le disait si bien Paul Claudel « En matière de vin, il faut savoir faire passer le plaisir avant le prestige», d’autant plus si le prestige est uniquement lié à une communication ou un marketing « flatteur », mais en décalage avec la réalité qualitative. Pas de vins sans consommateurs, et pas de vins sans une Œnologie adaptée, pragmatique, rigoureuse, et réaliste autant sur l’amont des raisins, que sur l’aval de la consommation.