Un système européen de protection des Indications Géographiques pour les Produits Industriels et Artisanaux (IGPIA), vient de se créer, conformément au Règlement (UE) n°2023/2411 du 18 octobre 2023. En parallèle, une proposition de nouveau Règlement européen relatif à la protection des Indications Géographiques (IG) de produits agricoles a vu le jour, et élargirait davantage encore leur protection, notamment face aux noms de domaine (COM (2022) 134 final/2, 2 mai 2022).
Jusqu’alors, les IG ne bénéficiaient d’aucune protection particulière dans les litiges relatifs aux noms de domaine. Pour la première fois, des dispositions prévoient spécifiquement la protection des IG/IGPIA face aux noms de domaine.
Avec cette révision du système des IG et ce nouveau règlement sur les IGPIA, nous assistons à une généralisation, pour tous les produits agricoles, denrées alimentaires et produits industriels et artisanaux, de l’extension de protection qui avait été accordée face aux menaces des plateformes de vente en ligne (article 1, point 26 du Règlement (UE) n°2021/2117).
Aux termes de ces deux règlements, il est prévu, pour la première fois, qu’à l’instar d’une marque, une IG peut être reconnue comme un droit susceptible d’empêcher l’enregistrement ou l’utilisation de mauvaise foi d’un nom de domaine.
En pratique, cela signifie que les IG pourront être invoquées au soutien d’une demande en révocation ou du transfert d’un nom de domaine mais aussi dans le cadre de procédures alternatives de règlement des litiges de tous les registres de noms de domaine de premier niveau national établis dans l’Union européenne (article 34).
Ces textes donnent également compétence à l’EUIPO pour mettre en place un système d’information et d’alerte sur les noms de domaine potentiellement contrefaisants, permettant au demandeur d’IG de vérifier la disponibilité de la dénomination demandée en tant que nom de domaine.
Ce système d’alerte permettra de protéger les IG face aux noms de domaine enregistrés antérieurement à l’IG, mais également à l’encontre des noms de domaine qui seraient déposés ultérieurement. Ce second niveau est facultatif (simple déclaration du demandeur dans les documents accompagnant la demande d’enregistrement de l’IG).
Ce système nécessite évidemment la coopération des registres de noms de domaine de premier niveau. Une obligation de fournir à l’EUIPO les informations et données pertinentes par les registres nationaux établis dans l’UE est d’ailleurs prévue à l’article 34 §3 de la proposition de nouveau règlement IG (les détails des noms de domaine en conflit, les dates de la demande et de leur enregistrement…).
En revanche, au niveau du droit international, les mécanismes de protection et de règlement des litiges relatifs aux noms de domaines reposent sur le droit des marques, dans un système où les IG n’ont pas leur place. En effet, la procédure UDRP de l’OMPI permet de se défendre contre les noms de domaine contrefaisants uniquement si le demandeur a des droits de marques.
Une fois sortis des frontières européennes, les organismes de défense et de gestion (ODG) sont désarmés face aux noms de domaine contrefaisant les IG qu’ils défendent. L’OMPI s’est d’ailleurs déclaré incompétent en ce qui concerne la reconnaissance de l’appellation Champagne en tant que droit invocable, aux fins de révocation du nom de domaine « champagne.co » (OMPI, Centre d'arbitrage et de médiation, 21 juin 2011, DCO2011-0026, CIVC c/ Steven Vickers). En effet, le CIVC ne disposant pas de marque enregistrée « Champagne », et l’appellation n’étant pas reconnue en tant que droit, le nom de domaine « champagne.co » ne portait donc atteinte à aucun droit antérieur selon l’OMPI.
Or, la possibilité offerte aux ODG d’enregistrer une marque, contenant l’IG (individuelle, collective et/ou de certification) permet désormais une protection internationale des indications géographiques face au cybersquatting (article 33 de la proposition du nouveau règlement IG).
Les IG jouissent d’une meilleure protection face aux noms de domaine grâce à leur reconnaissance en tant que droit de propriété intellectuelle et à l’enregistrement de marques contenant l’IG.
Il subsiste toutefois des angles morts. Quid de la protection des IG dans les Etats tiers où il n’existe pas de protection suffisante pour lutter contre le cybersquatting ? Si nous faisons un parallèle avec le forum shopping, il se pourrait que les contrefacteurs optent pour un ou des registres nationaux qui n’auraient pas adhéré au système UDRP de l’OMPI (une majorité). Va-t-on assister à l’émergence de « paradis digitaux », à l'image des paradis fiscaux, utilisés comme tremplin pour naviguer dans un espace virtuel que les droits nationaux des Etats membres et le droit de l’UE ne peuvent arrêter ?