2022 est certainement un millésime qui est le premier marqueur d’un nouveau cycle climatologique déjà en cours, avec lequel il faut désormais composer, et être des plus interactif. Ainsi, suite à ce millésime très « Sud-Solaire », on peut être surpris qu’il existe encore autant de préconisations « à l’aveugle », préétablies issues des années 80-90, sans se soucier de la modification climatologique (plus de chaleur, plus de soleil, moins d’eau et distribuée différemment), des réactions des terroirs et de la vigne, de la modification de la composition du raisin, de sa sensibilité à l’oxydation ? Une certaine Œnologie, dont de consultants pourtant « réputés-visibles », peut-elle se poursuivre en mode « recette hors-sol » ?
Il existe pourtant des éléments tangibles de modifications climatiques, tel que l’indice héliométrique de Huglin (IH) définissant et classifiant les zones géographiques de culture de la vigne. Cet indice sert à avoir une approche de plantation de la vigne au regard des porte-greffes, des cépages, et vis-à-vis des pratiques viticoles de manière à gérer au mieux les réserves en eau et l’évapotranspiration ; mais aussi et surtout en conséquence, à avoir une approche différente de date de vendange, type de vinification, et élevage.
Sur de nombreuses régions « tempérées » (dont Bordeaux, mais aussi beaucoup d’autres) cet indice s’est largement modifié particulièrement en 2022, faisant ainsi passer de nombreuses régions d’un climat classique « tempéré » avec un IH de 2 000-2 200, à un climat type « tempéré-chaud » avec un IH dépassant les 2 400, voire dans certains cas approchant les 3 000 (« très chaud » comparable su Sud de l’Espagne ou de l’Italie !
Au-delà de la concentration en sucre et des degrés alcooliques produits, la composition du raisin est totalement modifiée, en particulier sur la concentration et le type de polyphénols, mais aussi en polysaccharides (dont négatifs et particulièrement la pectine), et très souvent sur la concentration en Potassium, induisant des pH élevés ; ainsi que sur la composition biochimique dont la concentration en enzymes, et pour certaines d’oxydation. Pour rappel, nombre des observations ont été faite par E. Peynaud dès 1957 ! Et on pourrait rajouter, que ce n’est pas dans les régions d’extrême chaleur que l’on produit traditionnellement les meilleurs vins…mais historiquement plutôt dans les zones « tempérées » (IH 2 000-2 200).
Ainsi, la réalité sur certains millésimes récents dont 2020 (faisant suite à 2015), avec des constats très visibles des vins en bouteilles au regard des qualités potentielles des terroirs, attestent pourtant bien cette évolution assez négative, et constaté par des notes inférieures aux notes primeurs par exemple. Et pour le 2022, de plus en plus de châteaux « visibles » se voient attribués en Primeurs des notes « décalées » (négativement), compte tenu de leur potentiel terroir, de leur potentiel qualitatif, et du potentiel millésime !
On peut donc affirmer que « les recettes ne font plus recettes » !... Voire sont à l’opposé de ce qu’oblige la réalité biologique-biochimique. Ainsi la recette simpliste des « surs », surmaturité-surextraction-surboisage n’est non seulement pas adaptée (et l’a-t-elle vraiment été un jour ?) mais en plus se retrouve dans des difficultés techniques de clarification1-stabilisation2-filtration3, qui ne sont pas correctement appréhendées pour la meilleure évolution, la meilleure anticipation de l’embouteillage, et la meilleure évolution en bouteilles. Et ce n’est pas l’ajout de vin de presses, considéré par certains comme un incontournable des assemblages, qui facilite la résolution des problèmes, au contraire cela rajoute encore plus de difficultés… Ce qui induit des vins en bouteilles très différents de ce qu’ils ont pu présenter en primeur, et de ce que l’on pourrait en attendre (Romat, 2020).
Comment alors peut-on comprendre que certains s’obstinent encore à vouloir une surmaturité sur des rouges dont les raisins sont déjà « cuits » par le soleil et la chaleur ? Comment imaginer qu’une extraction avec 15% d’alcool n’extrait pas plus qu’à 13.5%, dont des éléments moins nobles (pour ne pas dire souvent végétaux, avec des astringences, duretés et amertumes) ? Comment comprendre que l’on peut encore préconiser trop systématiquement des ajouts d’alternatifs boisés sur des vins déjà concentrés naturellement (se surajoutant aux défauts précédemment décrits ?) ...
Si on pouvait avoir encore quelques doutes, une méta-étude d’une interprofession sur le profil des vins est pourtant signifiante avec des résultats validés et confirmés par une méthode scientifique, et qui confirme globalement les observations sur les millésimes 2018-2019. Il ressort, que les rejets qualitatifs avec des notes inférieures à la moyenne (> 1/3 des échantillons) sont de 3 types, voire malheureusement souvent cumulés entre eux : des vins n’ayant de complexité « fruité-frais », soit par extrapolation issus de surmaturité ; issus de surextraction en général et de type thermovinification mais pas seulement ; vins avec de « mauvais » boisage (quasi exclusivement avec des alternatifs) … Que faut-il de plus pour changer ?!
Qu’attend-t-on pour qu’une œnologie pragmatique, réaliste, de précision, voire innovante, se mette en action avec de nouvelles références issues des derniers millésimes de cette nouvelle climatologie : pour abandonner une vision simpliste et les simulacres ; pour se projeter non pas dans des millésimes passés, mais dans des vins d’une nouvelle génération que les consommateurs attendent, avec complexité, fraicheur, densité équilibrée, « buvabilité », persistance positive…nous amenant/ramenant dans un plaisir-émotion que nous avons souvent perdu ces dernières années…
Le vin devrait être convivial, joyeux, de partage pour la plupart, et pour certains, un objet de désir, d’émotion et de plaisir, où la technique/technologie devrait s’effacer, s’intégrer, se fondre et non pas apparaître comme étendard, d’autant plus si elle n’est pas valorisante.
Le vin est un compagnon de l’humain depuis plus de 8 000 ans, en dualité culturelle et cultuelle, voire spirituelle, et la technologie ne devant être qu’un moyen (discret). Le vin s’est transformé et adapté au cours du temps pour mieux nous accompagner, et nous devons donc accomplir un devoir de qualité avec exigence, réflexion et adaptation, et particulièrement vis-à-vis des changements climatiques en cours. In vino veritas !
1 Clarification : les vins issus de surmaturité et surextraction sont plus riches en polysaccharides, dont certains non-pectiques, qui induisent une difficulté de clarification, les rendant alors plus sensibles aux contaminations microbiologiques/Brettanomyces, et d‘autant plus que le pH sera élevé
2 Stabilisation : une étude scientifique effectuée avec l’Université et l’INRAE de Montpellier démontre que les vins « surextraits » sont très difficiles à stabiliser par leur concentration en tanins et en polysaccharides, conduisant à de mauvaises clarifications et filtrabilités, et donc à l’impossibilité régulière de mettre en bouteilles le vin initial.
3-Filtration : en conséquence de la mauvaise stabilisation ces vins-là ont de très mauvaises filtrabilités avec malheureusement des populations microbiologiques élevées (essentiellement Brettanomyces), obligeant à une filtration « serrée » voire type stérilisante, incompatible avec la mauvaise filtrabilité, provoquant des dégradations (Cf. étude CIVB 2015)