L’expérience montre pourtant que ce sujet n’est pas toujours maîtrisé par les vendeurs de propriétés viticoles. A leur décharge, la règlementation afférente aux marques viticoles est complexe à appréhender et, bien souvent, la question de la situation juridique de ces marques ne s’est jamais posée, faute d’avoir eu quelque problème que ce soit.
Pour autant, l’acquéreur d’une propriété viticole ne peut, en aucun cas, prendre raisonnablement une décision d’acquisition, sans s’être assuré au préalable de la régularité juridique des marques viticoles de la propriété convoitée. Particulièrement, les relations qui ont été entretenues par la propriété avec ses partenaires, y compris l’administration, sous le contrôle du vendeur, peuvent être revisitées, voire remises en cause, lorsque la propriété change de main. Le vendeur ne peut donc corrélativement entrer dans un processus de mise en vente de son château, sans avoir anticipé ce sujet stratégique.
Cette vérification des marques est à faire que l’acquisition soit réalisée par voie d’acquisition des titres de la société détenant le vignoble (le cas échéant, moyennant restructuration préalable du GFA et de la SCEA) ou par voie d’acquisition des éléments d’actifs constituant l’entreprise viticole (terres, vignes, matériels, etc.).
Les cessions de propriétés viticoles se réalisent de plus en plus souvent par voie d’acquisition des titres de la société détenant la propriété. Outre l’avantage fiscal évident qu’il présente, ce mode d’acquisition, rapide, efficient et usuel dans le commerce international, rassure les investisseurs, notamment étrangers. Il constitue, en outre, le mode naturel de transmission des entreprises, puisqu’il induit que l’ensemble du patrimoine et des moyens humains affecté à l’exploitation est inclus dans la cession, sans oubli et sans qu’aucune démarche ne soit nécessaire, sauf exceptions. Particulièrement, les marques détenues par la société sont ainsi transmises sans qu’il soit nécessaire d’accomplir quelque formalité que ce soit auprès des registres de marques concernés (INPI, EUIPO, OMPI, etc.).
Pour autant, cette apparente facilité de transmission de patrimoine requiert une égale attention, notamment quant au statut des marques en cause. Celle-ci se traduit, en pratique, par la réalisation des « audits » préalables à l’acquisition et par la conclusion du contrat de « garantie de passif » au titre duquel le vendeur garantira la conformité des marques exploitées.
Lorsque l’acquisition est réalisée selon la voie traditionnelle, par acquisition des différents actifs, il est nécessaire que chacun des éléments acquis soit spécifiquement visé à l’acte d’acquisition, au risque qu’il ne soit pas transmis. L’identification des marques exploitées et leur inclusion à l’acte de vente est alors une condition de leur transmission certaine. Dans ce dernier cas, la difficulté majeure réside dans le fait que l’administration fiscale, confortée par les tribunaux, exige que chacune des marques fasse l’objet d’une valorisation autonome et distincte des autres biens cédés (terres, vignes et matériels), avec une taxation différenciée corrélative, sous peine de redressements douloureux. Il faut, en outre, procéder aux formalités d’inscription du transfert de propriété desdites marques, aux fins d’opposabilité aux tiers, auprès des registres de marques, ce qui suppose que ces dernières soient expressément et correctement identifiées dans l’acte d’acquisition (dates et numéros de dépôt, d’enregistrement et de renouvellement (le cas échéant), dates et numéros d’inscription antérieures de cession, de changement de nom, etc.). En pratique, il est également fortement recommandé d’annexer à l’acte d’acquisition une copie des documents officiels relatifs à chacune des marques cédées (certificats de dépôt, d’enregistrement et de renouvellement, le cas échéant).
Ainsi, quel que soit le mode d’acquisition retenu, il est indispensable de vérifier le statut des marques couvrant les vins produits et commercialisés par la propriété, outre l’ensemble des investigations préalables à réaliser lors de l’acquisition d’une exploitation viticole.
En tout premier lieu, il convient de vérifier que les marques ont bel et bien été déposées, enregistrées et dûment renouvelées, le cas échéant. On constate en effet que de nombreuses marques utilisées par les entreprises ne sont pas enregistrées, faute d’intérêt et du fait des démarches à entreprendre et de leur coût. La marque d’usage n’est pas totalement dépourvue d’effet juridique, mais sa protection est précaire, car elle ne repose que sur la mise en jeu de la concurrence déloyale. Un tiers utilisant la même marque ne sera sanctionné que s’il y a risque de confusion.
En second lieu, en cas de marques enregistrées et en vigueur, il importe alors d’identifier la personne propriétaire. En effet, il n’est pas rare que les marques exploitées ne soient pas la propriété de l’entreprise viticole, mais celle d’un associé ou d’une autre société. Dans ce cas, un retraitement préalable est nécessaire, induisant une transmission de propriété desdites marques et une régularisation de titularité auprès des registres de marques concernés, ainsi que des questions juridiques et fiscales liées à ce transfert de droits.
En troisième lieu, et en considération des marchés d’exportation dans lesquels les vins sont commercialisés, il est nécessaire de s’assurer que les marques ont été correctement enregistrées sur ces territoires et bénéficient donc d’une protection forte. Faute d’enregistrement dans un pays d’exportation, la marque utilisée peut alors faire l’objet d’un dépôt par un tiers, qui devient alors le titulaire de la marque dans ledit pays et peut bloquer l’importation des vins revêtus de la même marque.
Ces premières vérifications faites, l’acquéreur se doit de s’assurer de la validité des marques utilisées par l’exploitation viticole. Là intervient la spécificité des marques viticoles et notamment des marques dites « domaniales », appelées encore marques de « château ». En pratique, une distinction est à faire entre les marques constituées de noms de pure fantaisie et celles incluant une mention traditionnelle viticole (château, domaine, clos, etc.), qui valorisent la marque dans l’esprit du consommateur par sa référence à son ancrage terrien.
Les marques de vin, portant sur un signe de fantaisie, ne posent pas de problème de validité, car celles-ci répondent aux critères du droit commun des marques.
En revanche, les marques domaniales, tout particulièrement celles dont le signe se compose d’une mention traditionnelle viticole, doivent respecter les strictes exigences de la règlementation viticole complexe, sous peine d’infraction à la législation des fraudes, le vin ainsi marqué étant interdit de commercialisation tant en France qu’à l’étranger, sous peine de sanctions pénales.
En substance, il est alors impératif pour l’acquéreur de vérifier que :
Par exception, mais celle-ci est assez largement répandue, une exploitation viticole peut exploiter un second nom de vin et donc une seconde marque viticole, pour autant qu’elle respecte, outre les trois dernières conditions ci-dessus énoncées, le fait que ce second nom ait acquis une notoriété justifiée avant 1983. En pratique, il convient de s’assurer de la régularité du second nom déposé, à titre de marque, comportant une mention traditionnelle viticole.
Ainsi, lors de tout projet d’acquisition, la situation des marques viticoles doit ainsi faire l’objet de vérifications méthodiques et précises par l’acquéreur afin de sécuriser l’investissement. Le vendeur ne peut ignorer le sujet, au risque d’une renégociation du prix, voire d’une mise en responsabilité après cession.
Philippe Rodhain Marc Deneuville
IP SPHERE - Département viticole IP WINE™ ULYSSE
Conseil en propriété industrielle Avocat associé
Chargé d’enseignement Université de Bordeaux
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