lors que les fenêtres de pulvérisations phytosanitaires sont limitées par les horaires (arrêtés bruit) et les conditions climatiques (pluies et vent), les vignerons girondins disent être soumis à une nouvelle pression, qui ne vient d'aucun champignon, mais de leurs riverains : qui n'hésitent plus à les apostropher et les surveiller (on rapporte ainsi des délations aux gendarmes pour traitements trop matinaux ou avec trop de vent). Depuis l'intoxication d'élèves de l'école primaire de Villeneuve-sur-Blaye, une boîte de Pandore a été ouverte dans le vignoble bordelais*. « La réponse à cet incident, c'est avant tout le bon sens » plaide le président du Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux, le viticulteur Bernard Farges, « les pratiques en cause n'étaient conformes ni au moment, ni au lieu. Il peut y avoir des arrêtés, des évolutions réglementaires (on le craint plus restrictives), mais ils ne peuvent pas aller au-delà bon sens. » Des prises de position qui sont loin de convaincre Valérie Murat (membre du conseil d'administration de Phyto-Victimes), qui dit ne plus pouvoir entendre que « monsieur Farges se réfugie systématiquement derrière les Autorisations de Mise en Marché et, dès qu'il y a un problème, en fasse porter toute la responsabilité à de mauvaises conditions d'utilisation par les paysans. C'est exactement le discours des firmes, qui jette un voile sur le cœur du problème : qu'y a-t-il dans les produits ? »
Estimant que les vignerons sont autant les victimes que les coupables de l'empoisonnement de leur environnement, la fille de James-Bernard Murat (vigneron décédé d'un cancer diagnostiqué maladie professionnelle) appelle à un changement de mentalités. Une évolution forcément « longue et compliquée, comme cela touche aux pratiques professionnelles. Et que les firmes font un lavage de cerveau quotidien pour distiller l'angoisse de la perte de production... » Organisant ce 7 juillet une réunion publique à Gauriac (qui aurait accueilli 200 personnes), les associations Génération Future et Phyto-Victimes ont pu constater que le sujet crispe autant les professionnels qu'il interroge le reste de la population. « Les consommateurs lambda se posent des questions, voire commencent à s'inquiéter quand ils sont riverains de parcelles, ou parents d'enfants scolarisés à proximité de vignes » rapporte Valérie Murat. Ayant également participé aux débats de ce lundi en côtes de Blaye, le vigneron Dominique Techer (Confédération Paysanne) juge que le vignoble se complaît dans une réaction épidermique de négation. Pour lui, « on est dans une indigence crasse de stratégie en matière de résidus, de reconnaissance des maladies professionnelles et de la co-construction avec les riverains. Ce qui est désastreux pour l'image des vins de Bordeaux. »
Peu convaincu par la démarche bordelaise de Système de Management Environnemental, le propriétaire du château Gombaude Guillot (dont des parcelles se trouvent « sans le moindre souci » à quelques dizaines de mètres d'une école de Pomerol) rêve de programmes co-construits par les associations de riverain et les Organismes de Défense et de Gestion des appellations viticoles. Une réflexion qui pourrait naître dans l'appellation Pessac-Léognan, l'exemple type du vignoble aux portes de la ville (ou grignoté par la pression immobilière). Créé il y a peu, un collectif de riverains et parents d'élèves de Léognan affiche l'objectif du « zéro pesticide pour les enfants ». « Ce n'est pas plus mal qu'une association veille au grain » estime le président de l'ODG Pessac-Léognan, Laurent Cogombles. « Nous n'avons pas attendu que l'on ne parle que de ça pour demander le maintien de zones tampons (en gardant des haies). La plupart des vignerons ont une conduite responsable : nous ne sommes pas là pour faire prendre des risques aux salariés et au voisinage. »
Tout juste adoptée en seconde lecture à l'Assemblée Nationale, la loi d'avenir agricole s'est emparée de cet enjeu brûlant. Soutenu par le gouvernement, un amendement propose de mettre en place des mesures de précaution (« haies, buses anti-dérives, dates et horaires d’utilisation des produits, etc. ») à proximité de lieux sensibles (« terrains de jeux pour enfants, écoles, crèches, halte-garderies, centres de loisirs, bâtiments de soins, hôpitaux, maisons de retraite »), le cas échéant, « une distance minimale d’utilisation sera fixée ». La question dépasse de toute façon largement le vignoble girondin : « chaque mois – presque chaque jour – les vignerons sont interpellés sur leurs pratiques phytosanitaires » rapportait ainsi le président de la Confédération des Coopératives Vinicoles de France, Boris Calmette, lors du dernier congrès des caves coop à Perpignan. « La protection de nos concitoyens, de nos voisins, de nos salariés, de nos familles, de notre propre santé doit être au coeur de nos préoccupations. Ce changement dans nos pratiques, nous sommes déjà nombreux à l’avoir mis en œuvre. » Portées par le projet Ecophyto et la formation Certyphyto, ainsi que les avancées sur les réglages des buses et les traitements face par face, les évolutions techniques sont en effet indéniables en viticulture.
Mais il semble bien que leur rythme ait toujours un temps de retard sur les attentes sociétales, toujours plus exigeantes. « L'idéal en terme de traitement, ce serait la nuit » conclut pince-sans-rire Laurent Gogombles, « mais il y a le problème du bruit, sans parler de l'emploi salarié nocturne... »
* : « Et encore, heureusement que le traitement incriminé était du soufre, réalisé par un domaine bio, sinon on aurait pris encore plus cher » estimait récemment un représentant de la filière bordelaise, sous couvert d'anonymat.
[Photo : Vignes au coeur de Blanquefort (Alexandre Abellan/Vitisphere)]