Sauternes est sans doute la seule appellation de Bordeaux à être satisfaite par ses vendanges cette année » juge avec espiéglerie Sandrine Garbay, maître de chai au château d'Yquem. Alors que la plupart des vignerons girondins se plaignent en effet de conditions météorologiques défavorables, elles se révèlent idéales dans les graves du premier grand cru classé de Sauternes. Ici pas besoin de tables de tri optique, quatre tries auront suffit à sélectionner les grains rôtis à plus de 21 degrés d'alcool potentiel. Pour les liquoreux, la récolte a commencé le 25 septembre. « Une date normale de vendanges » pour Sandrine Garbay, alors que, comme dans le reste du vignoble, 15 jours de retard étaient constatés suite à la floraison étalée. « Mais dès que les raisins étaient mûrs, il n'y a pas eu à attendre :la pourriture noble s'est développée immédiatement ! »
Ce terroir précoce n'aura pas pâti des orages de la fin septembre, tout le contraire du millésime 2012 ! « C'est rageant quand toute la saison est bonne et qu'il se met à pleuvoir le jour des vendanges... et qu'il flotte jusqu'en mai ! » témoigne Benjamin Baudry, adjoint au chef de culture au château d'Yquem. Ayant décidé de faire l'impasse sur le millésime 2012, le château d'Yquem a été suivi par certains de ses voisins (château Rieussec notamment), mais également critiqué par d'autres y voyant plus un coup de communication qu'une réalité qualitative. Pour classer le dossier, Sandrine Garbay précise ne pas avoir dit « que l'on ne pouvait pas faire de Sauternes en 2012, la preuve on a vendu le notre en vrac. La qualité n'était simplement pas du niveau du château d'Yquem. » Avec les beaux jus du millésime 2013, l'histoire ne devrait pas répéter le sacrifice de 2012. Mais elle pourrait ressembler à l'incompréhension de 2011 !
« Il est toujours difficile de justifier un bon millésime à Sauternes quand son image est entâchée par les bordeaux rouges » confirme Sandrine Garbay. Elle se rappelle que « pour les primeurs 2011, le négoce voulait absolument baisser nos prix en dessous de 200 euros le col, malgré une excellente qualité ! » Au final le millésime 2011 n'était pas sorti en primeur, et il vient tout juste d'être mis en vente (à 210 euros le col). Aux primeurs 2013, le château d'Yquem sera donc de retour, « mais ce sera compliqué » prévoit d'avance l'œnologue.
Vu de la vigne, ce millésime est sans conteste de haute volée. Après les rendements riquiqui de 2012 (2 à 3 hectolitres par hectare), ils devraient dépasser les 14 hl/ha cette année, et garnir les chais qui sont particuliérement vides. « Avec des grappes aussi homogènement pourries, c'est presque trop facile » plaisante Benjamin Baudry, qui devient plus sérieux dès lors qu'il est question de la menace planant sur le vignoble : les maladies du bois. « L'esca sur sauvignon blanc est terrible, et on commence à voir des pieds de sémillon touchés » s'inquiète-t-il. « Pour l'instant on ne dispose que d'une solution : arracher et replanter... »
Fleuron du groupe Louis Vuitton Moët Hennessy, le vignoble du château d'Yquem représente 103 hectares de vignes AOC (en agriculture raisonnée), pour une production moyenne de 100 à 120 000 cols par an (dont 10 000 de blanc sec).
[Photos : Sandrine Garbay et Benjamin Baudry ce 21 octobre dans les vignes et le nouveau cuvier du château d'Yquem ; Alexandre Abellan (Vitisphere)]