erroirs propices à la croissance des raisins, les vignobles sont des crus où la magie des vendanges et alchimie des vinifications transforment un fruit en vin. Un phénomène tenant autant d’un naturel spontané que d’une maîtrise culturelle. Permettant de revenir à ces concepts fondamentaux, le défunt ethnologue Claude Lévi-Strauss soulignait dans ses écrits tout le jeu d’équilibriste aboutissant à la production d’une boisson alcoolisée. Dans son premier tome des Mythologiques, le Cru et le cuit (publié en 1964 aux éditions Plan), il rapporte un mythe des indiens tukuna où il est question d’un breuvage d’immortalité peu râgoutant : « une boisson dont la préparation se situe à mi-chemin entre la fermentation et la putréfaction, ou plus exactement, dont il semble qu’en raison de la technique indigène, les deux vont inévitablement de pair » analyse l’ethnologue, rapportant d’autres histoires d’alcool où le pourri n’est jamais loin*.
Dans le triangle culinaire qu’il a défini en 1965 (dans un article éponyme paru dans l’Arc), Claude Lévi-Strauss indique que la cuisine, « activité humaine véritablement universelle », se définit par trois « sommets correspondant respectivement aux catégories du cru, du cuit et du pourri ». Où « le cru constitue le pôle non marqué », tandis que « le cuit est une transformation culturelle du cru » et que « le pourri en est une transformation naturelle ». Partant du cru pour aller vers le pourri par la fermentation, le vin tient aussi du (viti)culturel par la production soignée du raisin et sa transformation codifiée de solide en liquide. Une position d’interface que l’on retrouve dans la diversité des caractéristiques organoleptiques du vin : arômes fruités et fermentaires, odeurs animales et végétales… Pas facile de distinguer le pourri du cru dans le vin, qui tient des deux (et parfois du cuit, entre coups de soleil à la vigne et coup de chaud dans les thermovinifications).
Si la cuisine du vin est désormais œnologique, cette boisson n’en conserve pas moins sa dimension spirituelle. Dans le troisième tome des Mythologiques, L'origine des manières de table (1968), Claude Lévi-Strauss note que si l’aliment « sert d'abord à nourrir, [le vin sert] à honorer ».
* : Comme un mythe tukuna sur la vie longue qui fait état de « jarres pleines de bière et celle-ci étaient grouillantes de vers » et « un petit mythe taulipang raconte comment le chien, premier possesseur du hamac et des graines de coton, les céda aux hommes en échanges de leurs excréments qu’il appela sakura, c’est-à-dire purée de manioc mastiquée et fermentée, servant à la préparation de la bière » relate le Cru et el cuit.