st-ce que vous imaginiez un jour être présidente de la maison Taittinger ?
Non, pas du tout. Au départ, je voulais être peintre. J’ai commencé à faire des études d’art, pendant 4 ans, j’ai passé ma vie dans les images à me heurter à mes limites. Puis j’ai commencé à monter ma petite entreprise. À la vente du groupe en 2005, même si je ne m’étais jamais projetée là-dedans du tout, d’ailleurs je n’avais pas tellement conscience de la part que ça prenait puisqu’on ne m’y avait jamais invitée, le fait de voir « papa » si malheureux, ça m’a vraiment interpellé, suivre son combat pour le rachat du champagne, le voir qu’il y arrivait avec des moyens humbles et respectables, ça a été un moment très important dans ma vie. C’est à partir de là que je lui ai demandé de travailler à ses côtés.
Vous vous destiniez à suivre une voie artistique, est-ce que vous diriez qu’être présidente d’une maison c’est aussi être artiste ?
Je suis persuadée d’une chose c’est qu’au sein de la Maison Taittinger, il y a un rapport à l’art qui vient se nicher dans beaucoup de domaines.
C’est une façon de voir la vie un peu différente. Pour moi les principales questions sont : Quel est le sens pour une maison d’exister, comment est-elle singulière de part ses histoires, ses vins ? Finalement de la voir par un prisme identitaire et plus artistique, c’est intéressant, ça l’inscrit dans son temps et la rend plus contemporaine. Ça ne se traduit pas forcément par des expériences d’art contemporain mais au quotidien.
Votre père, Pierre-Emmanuel Taittinger, était plutôt réticent à vous engager au départ, comment a t-il changé d’avis ?
J’ai insisté. Je pense qu’il était réticent parce que quand ce groupe a été vendu, c’est un groupe* où beaucoup de personnes de la famille travaillaient, je pense qu’il avait alors un traumatisme de le garder en famille.
Et puis, moi, je venais d’un milieu totalement différent, il avait aussi toutes les bonnes raisons de se demander si mon engagement allait être entier.
Il lui a fallu un peu de temps. On a alors trouvé un compromis, j’ai intégré le pôle marketing de la maison en tant que consultante.
Vous, présidente, Clovis, votre frère, directeur général.
Comment définiriez-vous cette relation ?
Nous sommes très complémentaires. Cette question de savoir qui prenait la présidence nous a occupé pendant près d’une année. Il n y a pas de hiérarchie, pas de rivalité entre frère et soeur. Mon frère Clovis est très attaché aux marchés, c’est un grand voyageur, il avait aussi envie et besoin de reprendre la main sur le marketing. Et moi, je suis peut-être plus « champenoise » et plus impliquée dans ce qui se passe ici.
Je suis le gardien du temps et Clovis, le moteur de l’entreprise familiale.
Au quotidien, nous prenons les décisions ensemble.
Avez-vous l’impression d’être à votre place aujourd’hui et plus généralement est-ce que les femmes sont assez représentées ?
Les femmes ont une place. Parfois il y a encore quelques bastions qui résistent, des discussions surtout techniques réservées aux hommes.
Il y a aussi, je pense, ce côté Ancien monde et Nouveau monde, je pense que les jeunes hommes n’ont pas la même approche que les anciens.
Pour ma part, je me suis toujours sentie légitime au sein de cette maison, mon père m’a toujours fait confiance. Je suis bien consciente que c’est une chance mais cette présidence n’est pas une fin en soi. J’espère surtout que celle-ci permette des choses, parfois on n’a pas besoin de raconter les histoires, le seul fait qu’elles existent, suffit.
Plus généralement, la France est un pays de libertés, ne serait-ce qu’en littérature, la place des femmes est omniprésente, elles sont très valorisées, le regard féminin est un regard assez progressiste.
*En 2005, avant la vente au fonds d’investissement américain Starwood Capital, Taittinger est un groupe multiforme qui réunit des hôtels de luxe (Lutetia, Le Crillon à Paris, Le Martinez à Cannes…), les parfums Annick Goutal, la cristallerie Baccarat et pour la branche champagne, la marque éponyme fondée en 1932 par Pierre Taittinger, grand-père de Pierre-Emmanuel Taittinger, qui réunit près de 45 actionnaires de la famille.