es vins de base changent, les maturités sont plus poussées ; nous observons des précipitations calciques et des instabilités protéiques que nous n’avions jamais vues auparavant », introduit Fabrice Wehrung, Å“nologue-conseil à la Station Å“notechnique de Champagne (SOEC), lors d’une conférence le 13 octobre dernier, au Caveau Castelnau de Reims.
À l’Institut Å“nologique de Champagne (IOC), Jacques Emmanuel Barbier, Å“nologue-conseil, dresse un constat similaire. Et pointe le rôle les vinifications parcellaires, de plus en plus tendance en Champagne. « Avant, un vin plus instable, car plus mûr, pouvait être noyé en assemblage avec des vins stables et plus neutres. Aujourd’hui, il se retrouve seul dans la cuvée », observe-t-il.
Ces évolutions perturbent fortement le remuage. « Du fait des protéines résiduelles, le dépôt ne s’agglomère pas, il colle au verre de la bouteille. Et, plus il y a de calcium dans le milieu, plus les levures adhèrent au verre lors du remuage. Cela ralentit les cadences de remuage et peut laisser des reliquats dans les vins au dégorgement », explique Fabrice Wehrung. Cet Å“nologue observe depuis quinze ans une augmentation des doses de bentonite calcique dans l’adjuvant de tirage, qui est passée de 3 à 4-5 g/hl.
Fabrice Wehrung rappelle que cet ajout « sert à tasser rapidement les lies de levures après la prise de mousse et non à stabiliser les vins. Comme les remuages sont plus difficiles, la dose a été augmentée. Mais cela n'a pas résolu les les problèmes ». De ce fait, Fabrice Wehrung incite ses clients à traiter leurs moûts en fermentation avec cette même bentonite calcique dosée à environ 20 g/hl, et à réitérer l'opération sur vin avec la même dose selon le millésime. Une pratique très inhabituelle en Champagne que Jacques-Emmanuel Barbier approuve « sur les millésimes chauds et secs. Parfois, je conseille même cet ajout au belon ».
Outre le fait que les précipitations calciques compliquent le remuage, elles peuvent provoquer du gerbage au dégorgement et chez les consommateurs. « Les teneurs en calcium évoluent à la hausse dans les vins, sans qu'on puisse l’expliquer », pointe Jacques-Emmanuel Barbier. « Depuis trois-quatre ans, c’est une explosion. Nous avons eu, au plus haut, des vins avec 170 mg/l de calcium alors que le seuil de risque de précipitation calcique est de 80 mg/l », confirme Christophe Morge, directeur scientifique de Sofralab, maison-mère de la SOEC.
« Certains de mes clients dégorgent dans des camions frigorifiques à 2-3°C. Mais c’est un coût élevé », observe Fabrice Wehrung. Il préconise l'ajout de CMC au moment du tirage, quand l'IOC propose « Duostab, un mix de tartrate de calcium et de bitartrate de potassiu, qui stabilise les vins vis-à -vis de ce deux précipitations ». L'électrodialyse est une autre alternative efficace pour stabiliser les vins vis-à -vis des précipitations calciques et tartriques, mais elle semble peu utilisée en Champagne.
Avec ce millésime 2021, plus conventionnel, « nous avons des maturités proches de 10,5 % avec des arômes plus neutres. L’instabilité protéique sera moins importante, ces vins devraient donc poser moins de problème au remuage, mais avec les assemblages des millésimes précédents, rien n’est moins sûr… », complète Fabrice Wehrung.
« Les consommateurs cherchent de la fraîcheur, de la finesse et une certaine neutralité aromatique dans le champagne, rappelle Jacques-Emmanuel Barbier, Å“nologue-conseil à l'IOC. Si les vins de base sont déjà sur des notes de fruits à chair blanche mûrs ou florales, ils donneront des effervescents sur des notes de fruits confiturés, avec des arômes floraux trop exubérants et peu de vivacité car la prise de mousse multiplie les arômes », décrit-il. Une évolution qui guette la Champagne. « En 2050, selon le GIEC, notre climat sera celui de Montpellier il y a 30 ans », pose Arnaud Descotes, directeur technique du Comité Champagne. En 30 ans, selon l'interprofession, le degré alcoolique moyen des vins de base est passé de 9,5 % à 10,3 % vol, l’acidité totale a baissé de 1,5 g/l et des dates de vendange ont avancé d’environ 20 jours. « D’ici à 2050, il n’y a pas de grosses inquiétudes à avoir quant à la qualité de nos vins. La grande inconnue est plutôt entre 2050 et 2100. Il faut se préparer au pire, et déjà y travailler ensemble », poursuit Arnaud Descotes. Pour prévenir les surmaturité, Jacques-Emmanuel Barbier et Fabrice Wehlung conseillent de déguster les baies en plus d'analyser les moûts. « Ce travail de dégustation des baies, de description des arômes et de la couleur des pépins n’est pas dans nos habitudes. Nous devons le développer avec nos clients », indiquent-ils.