aure Gasparotto, journaliste Vin au journal Le Monde, a été viticultrice pendant cinq ans dans les Terrasses du Larzac (Hérault). Elle publie « Vigneronne » (ed Grasset) qui relate son enthousiasme et sa joie de produire un vin qui lui ressemble.
Elle décrit aussi les petites et grandes galères de ce métier entre le gel, les problèmes de pompes, les cotisations MSA à régler et les problèmes de transporteur à gérer. Laure Gasparotto est sans concession sur ses limites, notamment en matière de commerce. Après cinq années intenses et engagées, partageant son temps entre Paris et l’Hérault, elle arrête l’aventure.
Entretien avec une ex-vigneronne qui pose un regard admiratif sur la profession.
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans le métier de vigneronne ?L’engagement physique, dans toute sa dimension. Il y a certes les travaux de la vigne et du chai, mais cela va plus loin. C’est un métier qui demande un engament de soi total, corps et âme. On n’arrête pas ce métier le soir, ni le week-end. C’est un peu comme être parent. On est parent tout le temps. On est vigneron tout le temps. On croit, de l’extérieur, que le métier de vigneron est simple. Des amis m’ont souvent proposé, par exemple, de venir m’aider à tailler mes vignes. Mais tailler, c’est un métier, cela s’apprend ! J’aimerais que mon livre aide des néo-vignerons à éviter de faire des bêtises.
Vous écrivez que "tout coûte une fortune pour faire du vin", vous en aviez conscience ?Je savais, avant de m’installer, que la viticulture coûte très cher. Le monde matériel m’a néanmoins submergée. J’ai découvert ce que c’est d’avoir des relations intimes avec un banquier ! J’ai aussi appris que dans ce métier, il faut aller chercher tous les mois l’argent que l’on vous doit auprès des clients qui tardent à payer. C’est épuisant. Tout cela, on le sait, mais tant qu’on ne l’a pas vécu…
Ils sont souvent touchés et soulagés que je décrive l’engagement total de leur métier. Ils ne peuvent jamais en parler. Ils doivent vendre du rêve. Ils doivent faire face à un « grand écart neuronal » entre leurs difficultés et cette nécessité, à l’extérieur, de faire rêver. Cela les libère qu’un livre évoque cette souffrance qu’ils doivent taire. La viticulture est un métier d’une grande violence. La violence climatique et la violence financière. Et cela ne va pas en s’arrangeant avec le dérèglement climatique qui s’accélère.
Qu’auriez-vous envie de dire aux vignerons touchés par le gel ?Je mesure leur découragement. Mes anciens confrères des Terrasses du Larzac ont perdu jusque 80 % de leur récolte ! J’ai envie de leur dire qu’il faut qu’ils pensent à eux, à leur famille. Il y a beaucoup de personnes qui ruinent leur santé dans le monde agricole. Pour ceux dont la situation financière devient trop compliquée, il est préférable de vendre le domaine et de faire un autre métier. Pour être viticulteur, il faut avoir une foi indéfectible. Mais on peut se perdre. Il n’y a pas de honte à vendre, même si c’est un domaine familial.


Cela peut même être une libération que de vendre un vignoble. Personnellement, même si je me suis beaucoup investie dans cette aventure – j’ai vieilli de vingt ans en cinq ans ! - j’étais dans une configuration particulière car j’avais un autre métier. J’ai vécu la vente de mon domaine comme une victoire et non comme un échec. La victoire d’avoir eu la lucidité de ne pas faire le pas de trop.