Plus de 700 millions de Chinois seraient connectés ou hyper connectés. Mais pour autant que les technologies numériques s’inscrivent dans un cadre mondialisé, chaque région a ses sensibilités et ses particularités, par choix ou par diktat, et la Chine n’échappe pas à cette règle. Oublions les Google, Facebook, Instagram et autres Twitter, ici WeChat et Weibo règnent en maître. Les consommateurs chinois ont épousé les nouvelles technologies les bras ouverts et internet a révolutionné le marché du vin, entre autres. Depuis 2015, le e-commerce a eu un impact significatif sur la diffusion du vin – il permet de pallier l’impossibilité de mailler le territoire de magasins physiques – et sur les prix. En effet, la transparence engendrée par le World Wide Web a métamorphosé la tarification, faisant passer le prix moyen exprimé en CIF à 3,48$ la bouteille. Parallèlement à cela, la forte concentration démographique dans quelques grandes villes chinoises a simplifié la livraison des vins à domicile pour un prix modique. « La Chine compte 15 grandes villes avec plus de 10 millions d’habitants », a rappelé Jean-Pascal Descheemaeker, directeur d’auchanwines.com, lors d’une conférence organisée à la mi-mai dans le cadre du Concours Mondial de Bruxelles à Pékin. « Une demie heure pour la livraison représente la norme aujourd’hui. Par ailleurs, Internet permet de connaître le vrai prix et ceux qui ne l’appliquent pas perdent de la crédibilité ».
L’importance d’une vraie stratégie multi-canal
En termes de plateformes de vente, là aussi, la concentration est frappante. Si Amazon semble peiner à s’implanter, Tmall – la place de marché appartenant au groupe Alibaba - rafle la mise, aux côtés de sa plateforme sœur, Taobao. Même si les deux sites font partie du même groupe, les différences sont fondamentales : « Tmall propose uniquement des produits authentiques, comme Amazon, avec plus de 80 000 marques référencées », explique Jean-Pascal Descheemaeker. « Une procédure de référencement rigoureuse est appliquée. Même pour une enseigne comme Auchan, il aura fallu six mois pour être entièrement agréée, alors que pour Taobao – l’équivalent d’eBay – un jour suffit ». Affirmant qu’aucun opérateur ne peut se permettre de faire l’impasse sur Tmall, le responsable de la marque Auchan en Chine souligne aussi l’importance d’une vraie stratégie multi-canal. « Les consommateurs chinois naviguent constamment entre le online et le offline, obligeant les opérateurs à appliquer la même politique tarifaire dans tous les circuits ».
D’autres façons de faire
A l’avenir, Internet risque même de prévaloir sur les circuits classiques : les prévisions actuelles estiment qu’à l’horizon 2029, 85% des consommateurs achèteront en ligne, tous produits confondus. D’ores et déjà, Jean-Pascal Descheemaeker insiste sur le rôle capital joué par Internet : « On ne peut pas réussir en Chine sans Internet. Si l’on se focalise uniquement sur les magasins classiques, on ne touche que les villes de 1er ou 2ème rang alors qu’Internet permet d’accéder au marché dans son ensemble ». Cependant, dans le domaine d’Internet, il faut s’émanciper de ses habitudes européennes. « Tout passe par mobile, les Chinois sont connectés via leur téléphone portable 24 heures sur 24 ». Les paiements aussi doivent passer par le téléphone portable, à l’aide de systèmes d’achat comme AliPay. Autre différence, le rôle prépondérant joué par WeChat, souvent présenté comme l’équivalent chinois de Facebook et Whatsapp. « WeChat, qui est omniprésent, ne doit pas être considéré comme un réseau social mais comme un lieu où on fait tout, y compris gérer ses comptes bancaires et accéder aux magasins en ligne. Il faut obligatoirement une présence sur WeChat, sinon on n’existe pas. C’est là que tout se passe ».
Les nouveaux prescripteurs
Cet impératif, bien des opérateurs et structures français l’ont compris, comme le souligne Yueping Wang, directrice des relations presse et relations publiques de Sopexa à Pékin. « Toutes les actions de communication sont digitalisées et la plupart des interprofessions demandent un compte officiel sur WeChat ou Weibo. Les sites internet, c’est terminé ». Plus de documents papier non plus, ni d’ordinateur de bureau, c’est le mobile qui gère tout. « Toutes les annonces et inscriptions aux événements sont sur WeChat qui marche très fort actuellement. Le QR code est largement plébiscité aussi ». Mieux vaut aussi s’appuyer sur les KOL, autrement dit les prescripteurs de premier rang, dont le professeur Demei Li fait partie. Ajoutons aussi les blogueurs très influents qui dépassent le million de followers. Et Yueping Wang de citer Lady Penguin dont la plateforme compte 1 million de fans et qui organise des événements et formations ; son émission digitale sur le vin recueillerait plus de 200 millions de vues et elle a réussi à monétiser son rôle de prescripteur grâce à son site de commerce en ligne fonctionnant sur abonnement. En 2017, le magazine américain Forbes l’a même nommée parmi les trente trentenaires les plus influents de son secteur d’activité avec la capacité d’en changer la donne. Seul bémol, « il y a un coût d'accès de plus en plus élevé pour travailler avec eux », note Yueping Wang.
De nombreuses passerelles culturelles à exploiter
Outre la nécessité absolue d’établir le dialogue avec ces prescripteurs de premier plan, et d’adapter les outils – le live streaming ou vidéos diffusées en instantané par exemple marchent très fort actuellement en Chine – le message doit aussi s’inscrire parfaitement dans le contexte local. Nul besoin d’avoir la « traduction » directe, mais plutôt des adaptations aux habitudes chinoises. « Il faut articuler ses actions autour d’événements existants, par exemple la Fête des Mères », explique Adèle Jia, directrice marketing trade et événementiel de Sopexa Chine. Et de noter par ailleurs : « Les Chinois fonctionnent beaucoup aux sentiments donc il faut transmettre et susciter de l’émotion. Ils n’aiment pas la publicité pure et dure, ils veulent des histoires qui touchent le cœur ». InterRhône a bien compris l’intérêt de communiquer en Chine en s’appuyant sur des symboles que les Chinois reconnaissent : l’interprofession rhodanienne associe ses dégustations au cinéma, aux beaux-arts et même aux défilés de mode sous le slogan « Le bonheur qui n’attend pas ». Autre exemple : Saint-Emilion qui se rapproche de l’univers du thé, élément culturel fort qui suscite de l’émotion chez les Chinois et permet de débloquer les codes, selon l’équipe multiculturelle de Sopexa dont le rôle est de créer des passerelles entre les deux cultures. Et elles sont plutôt nombreuses.
Le jury de Simply Bordeaux
Le vin désormais un produit lifestyleAutre cheval de bataille des opérateurs et interprofessions français, la démonstration de la diversité française qui succède à la période d’élitisme. Bordeaux met en avant son offre de vins au bon rapport qualité-prix à travers sa sélection Simply Bordeaux, la Bourgogne travaille sur la diversité de sa gamme tandis que le Rhône met l’accent sur sa qualité et son accessibilité. Dans ce contexte, l’émergence de nouveaux circuits de distribution, le « new retail », ouvre le champ des possibles pour l’offre française, la multiplication des consommateurs occasionnels aussi. Il en est de même pour l’évolution de la communication autour du vin : « Il y a dix ans, Sopexa travaillait avec les médias spécialisés en vins, aujourd’hui ce sont plutôt les supports art de vivre. Cela représente une opportunité pour la France parce qu’elle bénéficie d’une belle image lifestyle. Il faut intégrer le vin dans ce contexte », insiste Yueping Wang, qui évoque d’autres pistes encore pour se rapprocher des Chinois. « Ce que les consommateurs chinois trouvent attachant dans le vin, c’est le côté famille et culture, la dimension humaine et artisanale de la production. Il faut leur raconter des histoires autour de ces éléments. Par ailleurs, la gastronomie est aussi importante pour les Chinois qu’elle l’est pour les Français, tout comme les symboles de partage qu’elle véhicule et son caractère régional ». Cela, sachant que toutes ces manières d’approcher les Chinois s’inscrivent dans un contexte d’innovation et d’évolution. « Les façons de faire ont changé. Quand on va au restaurant on ne demande plus en priorité le menu, mais le code wifi. Le marché chinois est grand consommateur de nouvelles expériences. Il ne faut pas avoir peur des nouvelles technologies, mais en profiter pleinement », conclut Yueping Wang.