Les chiffres de vente pour 2017 illustrent bien la tendance de fond avec des volumes en baisse et des valeurs en hausse, certes sous l’effet de la majoration des taxes et des fluctuations monétaires, mais pas que. Environ 20% des adultes britanniques sont désormais abstinents, et le nombre progresse d’une année sur l’autre. Les initiatives pour encourager les consommateurs à boire moins mais mieux se multiplient, impulsées par la vague du bien-être, la montée des prix et la volonté de soigner son image dans un monde hyper socialisé. Les opérateurs y répondent avec des produits plus faiblement alcoolisés, des conditionnements permettant de mieux gérer sa consommation d’alcool (BIB, bouteilles de 50cl, poches…) et une premiumisation de leurs gammes. Mais pour Robin Copestick, il y a encore fort à faire pour comprendre précisément les motivations des consommateurs et nouer un dialogue avec eux. C’est pour cela, qu’en fin d’année dernière, Copestick Murray s’est porté acquéreur du site de vente en ligne Slurp, malgré son niveau de ventes encore relativement faible: « Les technologies en ligne et numériques seront cruciales à l’avenir. Le rachat de Slurp s’explique moins par les volumes qu’il génère que par la volonté de comprendre les habitudes de consommation et ce que les consommateurs attendent de nous. Nous voulons certes, contribuer à développer les ventes de Slurp à partir de sa base de 20 000 clients, mais nous voulons aussi que cette acquisition nous aide à mieux vendre à d’autres clients ». Autrement dit, s’appuyer sur le « people-based marketing ».
Un sourcing élargi
C’est à partir d’une analyse fine des attentes des consommateurs que Copestick Murray a pu lancer sa marque phare I Heart en 2011. En 2017, les ventes ont dépassé 15 millions de bouteilles dans 25 pays, pour un prix de vente consommateur positionné entre 5,50£ et 8,50£ selon les références. Un succès que Robin Copestick explique par la pertinence des données recueillies lors des études de marché réalisées en 2010 et 2011. « Nous nous sommes rendu compte que les traditions culturelles et le pays d’origine n’étaient pas importants aux yeux des consommateurs. Ils recherchent plutôt le cépage, mais l’offre reste complexe. Ce qu’ils souhaitent, ce sont des vins simples, inspirants ». Ces critères ont grandement facilité le sourcing de la marque : « Nous sommes partis du principe que le pinot grigio, le prosecco, le sauvignon blanc et le rosé étaient très à la mode au moment où nous avons créé I Heart. Notre œnologue et notre équipe d’acheteurs trouvent le meilleur vin que veulent bien nous vendre les différents pays producteurs au meilleur prix. Sachant que le pays d’origine était loin d’être une priorité comme critère d’achat, cela nous a donné davantage d’assurance, nous poussant à adopter une politique d’achat très souple ». Une flexibilité qui a pourtant ses limites : « Clairement, avec des cépages comme le pinot grigio, seuls quelques pays proposent les volumes et les positionnements prix que nous recherchons. En revanche, des cépages comme le sauvignon blanc, le cabernet-sauvignon et le shiraz nous laissent une plus grande latitude pour notre sourcing ».
La montée des prix et les faibles disponibilités en Europe ont poussé les limites de la zone d’approvisionnement classique de Copestick Murray, comme pour d’autres importateurs britanniques. Se targuant d’être le principal importateur de vins d’Europe de l’Est en Grande-Bretagne, Copestick Murray s’appuie sur sa maison mère, le géant Henkell, pour exploiter le gisement vinicole est-européen. « Henkell est propriétaire de l’une des plus grandes caves hongroises, Torley, et nous leur achetons beaucoup de vins, dont certains destinés à notre marque I Heart. Nous travaillons aussi beaucoup avec Cremele Recas en Roumanie et l’un de nos acheteurs parcourt la Moldavie en ce moment. Le niveau qualitatif des vins d’Europe de l’Est est très élevé. De plus, les producteurs proposent des prix intéressants et des cépages appréciés par les consommateurs, dont les variétés autochtones, voués à un bel avenir sur le marché britannique. Pour nous, l’Europe de l’Est représente une catégorie passionnante et je suis certain que de plus en plus de vins seront importés en Grande-Bretagne depuis cette région dans les années à venir ».
Inciter les consommateurs à découvrir de nouveaux cépages
Les cépages autochtones, toutes origines confondues, ont également leur carte à jouer. Après avoir réalisé une percée phénoménale avec des cépages classiques sous la marque I Heart – qui représente désormais près de 50% des ventes en bouteilles de l’entreprise – Copestick Murray va désormais tenter de convaincre les consommateurs que des cépages moins en vue offrent la promesse de découvertes intéressantes. « Nous réfléchissons au lancement d’une marque qui permettra aux consommateurs d’explorer les cépages moins connus. J’espère que nos projets porteront leurs fruits d’ici six mois ». La société est également très impliquée dans le segment des « private labels » qui « offrent une certaine sécurité aux distributeurs : contrairement aux autres marques, ils leur permettent de dicter le positionnement prix et d’influencer la qualité et le profil du produit ». Dubitatif sur la montée en puissance des private labels, comme le suggèrent certains, Robin Copestick reconnaît néanmoins que les deux marques de Prosecco les plus vendues en Grande-Bretagne appartiennent à Asda et Tesco.
Le Prosecco n’est pas une mode passagère
La marque Mionetto, représentée par Copestick Murray, a également su capitaliser sur la mode des bulles italiennes, mode qui s’est transformée en tendance de consommation. « Sur des marchés clés comme le Royaume-Uni et les Etats-Unis, le Prosecco a trouvé sa place, à l’instar du Champagne. Certes le taux de croissance sera difficile à maintenir, mais je pense que le Prosecco conservera sa force de frappe pendant très longtemps sur le marché britannique. Si les consommateurs continuent d’apprécier les effervescents, je ne vois pas ce qui pourrait le remplacer. Il existe peu d’alternatives capables de rivaliser avec lui sur le plan du profil organoleptique, du positionnement prix et des volumes ». Il est encore trop tôt pour mesurer l’impact du rachat de Freixenet par Henkell sur le marché britannique des bulles, mais le Cava fait partie des prétendants au trône occupé par le Prosecco. Le Crémant, aussi, a sa carte à jouer, mais dans une moindre mesure : « Il y a beaucoup de bruit autour du Crémant. Son profil est agréable et je trouve que c’est un produit super, mais il ne rivalisera jamais avec le Prosecco en termes de volumes et de positionnement prix. Néanmoins, si les distributeurs facilitent l’accès au marché du Crémant, je pense qu’il pourrait progresser sensiblement ».
Orientation française
Enfin, Copestick Murray entend s’impliquer davantage dans la représentation de l’offre française outre-Manche. A la fin de l’année dernière, il a racheté Free Run, un importateur spécialisé dans les vins français. « Copestick Murray n’était pas très bien positionné sur le créneau français et notre rachat nous donne accès à des fournisseurs en Champagne, Bourgogne, Beaujolais, dans le Rhône et dans la Loire. Je ne suis pas certain que la perception des vins français auprès des consommateurs britanniques se soit améliorée mais pour notre part, nous prenons la France très au sérieux et avons déjà mis en place de nouveaux référencements ». La marque I Heart sera également déclinée en Champagne et en Rosé de Provence cette année. Si les deux catégories fonctionnent déjà très bien sur le marché britannique, la marque à succès pourrait ouvrir la porte à d’autres références et contribuer à démocratiser davantage l’image française outre-Manche.
Les bénéfices de Copestick Murray ont fait les frais du Brexit et de la dévaluation de la livre sterling. Tout en reconnaissant l’impact sur la rentabilité de l’entreprise, le pro-européen Robin Copestick reste optimiste quant à l’avenir du marché britannique. « Il ne fait aucun doute que le Brexit nous a coûté de l’argent en termes de rentabilité… et je sens que de nouvelles perturbations se produiront si le Brexit se concrétise. En tant que membre du groupe allemand Henkell, j’espère que les produits en provenance de l’Europe ne seront pas inutilement pénalisés et que l’accès au marché et les accords commerciaux resteront en place. Mais les Britanniques se sont toujours montrés résistants et entreprenants et nous trouverons de nouvelles façons de travailler ».