En 1867, John Boyle O’Reilly a commis l’un des 19 crimes qui lui a valu sa déportation en Australie, transformée à la fin du 18ème siècle en bagne par le gouvernement britannique. Comme lui, des dizaines de milliers d’hommes et de femmes ont été exilés sur cette terre inhospitalière, fondant ainsi le peuple australien que l’on connaît aujourd’hui. C’est cette histoire que le géant australien Treasury Wine Estates a souhaité raconter à travers sa marque « 19 Crimes », d’abord pour tirer parti de faits historiques. En effet, l’un des sites de production du groupe se situe à proximité du lieu où le célèbre bandit et icône populaire australien Ned Kelly aurait livré son dernier combat : Baileys of Glenrowan. « L’équipe de Treasury s’est interrogée sur la manière d’exploiter ce lien historique pour mieux valoriser la marque », explique Samantha Ford Collins. « Elle a eu l’idée de mettre en avant les origines de l’Australie en tant que colonie pénitentiaire et a réussi à se procurer les photos d’identité de personnes ayant réellement été déportées en Australie pour avoir commis l’un des 19 crimes alors punissables. Les Américains et les Canadiens, notamment, sont fascinés par cette histoire ».
Il faut situer la création de la marque en 2012 dans son contexte, rappelle sa directrice internationale. « La catégorie des vins australiens était en chute libre. Nous n’arrivions même pas à faire déguster des vins australiens aux consommateurs ». En cause, la vague Yellow Tail et sa succession de « critter labels », ménagerie de petites bêtes facilement identifiables sur le packaging des vins australiens. « Les Américains et les Canadiens ont considéré alors que tous les vins australiens se caractérisaient par une petite bête sur l’étiquette, un caractère ludique et un prix très peu élevé. Il nous a semblé qu’il fallait réagir ». La gamme « 19 Crimes » a fait son apparition en 2012 sur le marché canadien, d’abord de manière plutôt timide avec trois références pour mesurer la volonté des consommateurs à se distancier des cuvées « critter ». Satisfait des résultats au Canada, Treasury a lancé la marque aux Etats-Unis en 2013, toujours de façon très mesurée avec 3 ou 4 000 caisses seulement.
Elargir le public consommateur
Depuis, la marque est allée de succès en succès. Ses ventes au niveau international sont passées de 7 000 caisses sur l’exercice financier 2012-2013 à 339 000 en 2015-2016 et selon Treasury Wine Estates, elles devraient atteindre un million de caisses cette année. « 19 Crimes » est désormais présent au Royaume-Uni, avec un tout nouveau référencement chez Asda, de même qu’en Amérique latine et dans certains pays asiatiques comme Singapour, mais pas en Chine. « Nous avons hésité à lancer la marque en Chine où les autorités voient d’un mauvais œil des produits qui semblent exalter le crime », analyse Samantha Ford Collins. Aux Etats-Unis et au Canada, en revanche, de nouvelles références ont été lancées et d’autres sont prévues au cours des mois à venir. En juin et juillet de cette année, un chardonnay viendra compléter la gamme ainsi qu’un vin rouge élevé en barriques de rhum pour lui apporter davantage de notes fumées que les versions classiques. « Le chardonnay sera la première cuvée à porter la photo d’identité d’une femme, ce qui me réjouit pour deux raisons. D’abord parce que nous avons réussi à retrouver sa famille actuelle en Australie qui nous a aidé à écrire le texte de la contre-étiquette. Puis, le chardonnay nous permet de toucher un tout nouveau public qui n’est pas amateur des vins rouges massifs que nous commercialisions quasi exclusivement jusqu’à présent ». Notons, en effet, que le profil organoleptique des vins reflète le type de personnage illustré sur l’étiquette. Ainsi, même le chardonnay affiche un style fortement boisé et corsé. « Le caractère des vins correspond à celui des malfaiteurs : ils sont audacieux, puissants et sombres », explique encore Samantha Ford Collins.
Le storytelling au cœur du succès de la marque
L’atout majeur de « 19 Crimes » repose sur la possibilité de raconter une histoire à son public cible, composé notamment, mais pas exclusivement, de jeunes consommateurs masculins. « Bien souvent, les agences marketing cherchent à inventer des histoires pour promouvoir des marques. Notre parti pris a été de dire, pourquoi inventer des scénarios alors que les personnalités que nous mettons en avant ont de vraies histoires à raconter. Plus nous creusons, et plus nous dénichons des récits passionnants ». En s’appuyant sur les réseaux sociaux, dont des vidéos sur YouTube, Treasury Wine Estates a réussi à créer un véritable buzz sur internet, notamment parmi les « millenials » qui, selon Samantha Ford Collins, « se passionnent pour des marques empreintes d’une véritable histoire, qu’ils peuvent ensuite raconter aux autres. En dehors de la qualité du vin lui-même, c’est l’aspect storytelling qui s’est révélé être la clé du succès de la marque ». Non seulement ces récits sont-ils suffisamment simples pour être transmis à son entourage, mais ils s’accompagnent par ailleurs d’un jeu de piste mis en œuvre à travers les bouchons. « Chacun des bouchons représente l’un des 19 crimes punissables par la déportation, sauf que nous n’avons jamais imprimé le 19ème. Son absence a généré un vrai buzz sur les réseaux sociaux, les consommateurs interrogeant d’autres adeptes de la marque là-dessus, puis affichant des photos de leur collection de bouchons. Cette année, nous allons organiser un jeu autour du 19ème bouchon : celui qui prend sa photo avec le fameux obturateur et le diffuse sur les réseaux sociaux aura la possibilité de participer à une grande fête sur l’île d’Alcatraz ».
Treasury entend exploiter au maximum les possibilités offertes par les réseaux sociaux : « Notre utilisation des réseaux sociaux n’est pas très ancienne donc le nombre d’amis Facebook n’est pas très important mais le taux d’engagement est phénoménal », estime la directrice internationale de la marque. Le groupe compte également sur le cercle vertueux créé par l’extension du réseau de distribution. « Nous sommes plutôt optimistes quant au potentiel de développement de la marque. Si on la compare avec des marques californiennes dans la même catégorie, au même positionnement prix… plusieurs d’entre elles se commercialisent à des volumes compris entre 3 et 5 millions de caisses. Rien qu’aux Etats-Unis, nous disposons ainsi d’importantes réserves de croissance et, au fur et à mesure que notre réseau international s’élargit, beaucoup d’opportunités devraient s’ouvrir ».
Planche de salut pour la catégorie Australie ?
Positionnée à 12,99 USD en fond de rayon et à 9,99 USD en promotion, la marque surfe sur la vague premium et propose des styles de vins très en vogue à l’heure actuelle outre-Atlantique, notamment des assemblages en rouge chargés en arômes de fruits noirs. Il reste à savoir si Treasury parviendra ainsi à casser les codes simplistes associés aux vins australiens. « Je ne pense pas que nous ayons totalement surmonté ce problème », reconnaît Samantha Ford Collins. « La problématique n’a pas impacté « 19 Crimes » mais nous traversons toujours une période compliquée avec certaines de nos autres marques, surtout aux Etats-Unis. La situation évolue. Les critiques, les sommeliers et le circuit Horeca semblent s’orienter de nouveau vers les vins australiens et reconnaître que des marques comme Penfolds offrent un niveau qualitatif intéressant. Mais la reprise s’avère lente ».