a maison de Champagne Moët et Chandon souhaitait, le 20 septembre dernier, conduire un essai sur une machine à vendanger dans une parcelle de 2 hectares de vigne, dont la récolte aurait bien entendu été déclassée en vin sans IG. L'ambition de l'entreprise : vouloir « explorer d'éventuelles pistes d'option pour la vendange », indique celle-ci, comme seule explication.
Mais au dernier moment, le projet a finalement été annulé. Officiellement, pour des raisons « de sécurité sur le personnel et le matériel ». Mais officieusement, la raison serait ailleurs. Les élus syndicaux CGT de l'entreprise ont tout fait pour l'empêcher : distribution de tracts pour informer le personnel sur les risques, tenue d'un comité extraordinaire du CHSCT et courrier d'alerte adressé au Président de la branche vins et spiritueux du groupe LVMH, avec Bernard Arnault, en copie… « La veille de l'essai, il y a eu un virage à 180°. Un ordre venant d'en haut a finalement été donné de tout arrêter », soutient Patrick Leroy, secrétaire général de la CGT Champagne.
Les raisons de cette vive opposition sont multiples : l'aspect qualitatif de la vendange et l'image de l'appellation qui seront dégradés, les pertes d'emplois, mais surtout, le risque de « déséquilibre économique très important » de la Champagne qui en découlera. Selon le représentant syndical, Moët & Chandon n'aurait en réalité pas d'autres ambitions que de vouloir sortir, à terme, de l'appellation. En s'affranchissant des contraintes réglementaires, elle pourrait ainsi produire des raisins récoltés mécaniquement donc beaucoup moins chers, dans le but d'élaborer des vins effervescents de type Prosecco et ainsi, accroître ses marges. « Perdre l'appellation ne leur poserait pas de problème, affirme Patrick Leroy. Le président de la branche Vins et Spiritueux de LVMH s'est récemment vanté de ne pas vendre du Champagne mais une marque… ». Déterminé, le représentant syndical compte, d'ici quelques semaines, lui reposer la question directement de cette éventuelle intention. « Nous avons gagné une bataille, pas la guerre, conclut-il. Nous sommes contre et nous continuerons de nous battre ». Contacté à son tour pour répondre de ces accusations, la maison Moët & Chandon n'a pas souhaité s'exprimer.
Contrairement à la rumeur, l'essai de machine à vendanger que Moët et Chandon projetait de faire n'a donc pas été annulé pour raison politique, sous une quelconque pression de responsables professionnels. D'ailleurs, la maison de Champagne avait même pris soin de les prévenir et de les inviter à la présentation de l'essai. « Personne, au niveau du CIVC ni du SGV, ne s'y est opposé, confirme Maxime Toubart, président du syndicat des vignerons. Les essais privés sont tout à fait autorisés et à titre personnel, j'y étais même favorable ». Et si l'interprofession n'en lance pas elle-même, c'est tout simplement parce cette thématique « n'est actuellement pas un sujet prioritaire » : « Les moyens sont limités et sont consacrés à des sujets jugés importants comme la mise au point de cépages résistants ou la recherche sur le dépérissement du vignoble », précise Maxime Toubart.
Le cahier des charges de l'appellation Champagne n'interdit pas explicitement la machine à vendanger. Il impose en revanche la récolte en « grappes entières », donc avec la rafle, ce qu'aucune machine existante ne propose à ce jour, d'où la nécessité de récolter manuellement.
Si un jour la vendange mécanique est autorisée en Champagne, cela signifiera donc deux possibilités : soit que le cahier des charges a évolué, soit que les machines « grappes entières » ont été mises au point par les constructeurs. Mais cette deuxième option leur demanderait de gros investissements – ce qu'ils ne sont pas forcément prêts à faire - et engendrerait des machines aux coûts prohibitifs...