The IWSR prévoyait une croissance de 1,8% de la consommation britannique d’ici à 2019. Depuis le 23 juin, la probabilité pour que cette prévision se réalise semble s’éloigner. Le premier importateur mondial de vin en valeur avec un chiffre d’affaires de 11,85£ milliards en 2015 doit déjà composer avec une baisse de sa monnaie et surtout un climat d’incertitude qui risque de faire fuir les investisseurs et inciter les exportateurs étrangers à aller voir ailleurs. « Il se produira vraisemblablement une régression progressive », avance Jeremy Cunnington, analyste principal chargé du secteur des boissons alcooliques auprès du cabinet Euromonitor. En effet, les investissements consentis par les géants du secteur que sont E&J Gallo, Accolade, Concha y Toro ou encore Treasury sont tels qu’ils ne pourront pas abandonner purement et simplement leurs infrastructures britanniques pour s’installer en Europe continentale. « Ces entreprises réalisent d’énormes volumes de ventes au Royaume-Uni », ajoute l’analyste britannique. « C’est un grand marché sur lequel elles peuvent gagner de l’argent, donc elles ne le quitteront pas d’aussitôt. En revanche, elles vont sans doute se demander s’il ne vaut pas mieux transférer les opérations qui concernent directement l’Europe continentale vers d’autres régions comme la Scandinavie ou les Pays-Bas. Par ailleurs, dans la mesure où le marché britannique est quand même saturé, elles pourraient, dans un deuxième temps, décider de réorienter leurs efforts commerciaux vers d’autres marchés européens, au détriment du Royaume-Uni. Dans tous les cas, elles seront beaucoup plus prudentes en matière d’investissements qu’en cas du vote contraire. Elles réfléchiront à deux voire à trois fois avant d’embaucher du personnel au Royaume-Uni, préférant peut-être ouvrir un bureau en Europe continentale par mesure de précaution ».
Tous les pays fournisseurs concernésLes pays fournisseurs européens risquent d’en faire de même, prévoit la banque néerlandaise Rabobank dans son analyse de l’impact du Brexit sur le secteur des boissons alcooliques. D’après celle-ci, les pays exportateurs européens – dont les trois premiers représentent 60% des importations britanniques de vin – devraient redoubler d’efforts en direction de pays comme les Etats-Unis et la Chine pour compenser la baisse des importations britanniques provoquée par la faiblesse de la livre sterling. La Rabobank note, par ailleurs, que ce ne sont pas que les pays producteurs européens qui subiront l’impact négatif du Brexit : « …il y aura des répercussions tangibles pour la quasi-totalité des régions productrices de vins dans le monde ». L’hypothèse d’une issue favorable du Brexit pour les producteurs du Nouveau Monde, du fait de l’appartenance de certains d’entre eux au Commonwealth, est réfutée par Jeremy Cunnington : « A ma connaissance, il n’existe aucun traitement préférentiel à l’égard des pays producteurs du Commonwealth. Les accords se négocient au niveau européen ». Interrogés sur les bénéfices qu’ils pourraient tirer du Brexit, les organismes professionnels néo-zélandais, australien et sud-africain, pour ne citer qu’eux, se refusent à tout commentaire pour l’heure. « Ils ne s’expriment pas parce qu’ils n’ont aucune idée de ce qui va se passer. D’ailleurs, ce qui est triste, c’est que même ceux qui ont fait campagne pour quitter l’Union européenne n’ont pas de plan. Eux non plus ne savent pas ! »
Une crise économique se pointe à l’horizonPour l’analyste d’Euromonitor, la principale préoccupation de l’ensemble des pays exportateurs vers le Royaume-Uni réside sans doute dorénavant dans le taux de change. « Le marché britannique est extrêmement sensible aux prix. Dès lors qu’une monnaie est mieux placée qu’une autre, l’impact est immédiat. Ainsi, les importations sud-africaines ont baissé parce que le taux de change avec le Rand rendait les vins trop chers. Dans le cas présent, aucun pays ne sera plus défavorisé qu’un autre puisque la livre baisse par rapport à l’ensemble des monnaies ». En revanche, tous pourraient voir leurs importations baisser pour cause d’augmentations de prix, d’autant plus qu’il est peu probable que la livre sterling remonte à court terme ; elle risque plutôt de s’affaiblir encore selon les analystes. A l’heure actuelle, il est difficile d’évaluer la capacité, à la fois des détaillants, et des fournisseurs, à absorber les effets néfastes d’une livre sterling faible. Mais, l’on sait déjà que le contexte commercial va se corser outre-Manche. « Il est probable que le Royaume-Uni entre en crise économique l’an prochain, phénomène éventuellement exacerbé par l’incertitude provoquée par le vote du référendum », prévient Jeremy Cunnington. « Le hard discount a pu s’implanter en partie grâce à la récession de 2009-2010 et a réussi se faire une place durable. Je ne sais pas à quel point les producteurs de vins pourront accepter les concessions que les détaillants leur demandent ».
Les produits premium ne souffrent pas toujours en période de criseReste à savoir si une augmentation des prix fera baisser la consommation. « Il est extrêmement difficile de prévoir comment les boissons alcooliques vont se comporter. On pourrait penser qu’en cas de récession profonde, les produits premium souffriraient. Or, ce n’est pas toujours le cas. Le gin super premium anglais a fait un bond en avant phénoménal en Espagne alors que le pays traversaient l’une des pires crises économiques de son histoire ». Il n’empêche que pour beaucoup de fournisseurs, absorber les conséquences d’une livre sterling faible ne sera pas tenable sur la durée : « On pourrait alors s’imaginer que la part des grands opérateurs progresse car ils seraient les seuls à pouvoir réaliser les économies d’échelle nécessaires pour accorder les rabais demandés par les détaillants ».
Pas d’impact significatif pour la filière anglaiseLe malheur des uns fera-t-il le bonheur des autres ? Dans l’immédiat, certains opérateurs britanniques ont pu tirer profit de la faiblesse de la livre sterling. « Des importateurs/exportateurs de haut de gamme comme Berry Bros & Rudd ont connu un boom parce que le taux de change a permis aux Américains de venir s’approvisionner à moindre coût. Mais ce phénomène n’est pas tenable parce que dès lors qu’ils devront reconstituer leurs stocks, cela impliquera obligatoirement des coûts ». Qu’en sera-t-il pour la filière vitivinicole anglaise ? Le départ de certains producteurs étrangers ouvrira-t-il une brèche dans laquelle elle pourra s’engouffrer ? « Le secteur du vin anglais reste assez confidentiel et le Brexit n’aura pas d’impact significatif sur son activité », estime Jeremy Cunnington, qui souligne par ailleurs le défi posé par un positionnement prix élevé dans un contexte de crise économique. Et l’analyste de conclure : « Tant que les principaux intéressés n’auront pas décidé de ce qu’ils veulent désormais et élaboré un vrai projet qui tient la route, nous resterons dans l’incertitude. Or, l’incertitude entrave les investissements, qui à son tour entrave l’emploi, qui entrave le développement économique. Même les prévisions à court terme s’avèrent désormais hasardeuses et si les gens ne savent pas ce qui va se passer, la plupart du temps, ils ne font rien, et c’est bien ça l’aspect le plus déterminant et préjudiciable ».