uand nous avons vu la scène à la télé espagnole, on aurait cru à un retour au passé. Il y a des années, les agriculteurs français attaquaient et vidaient les camions de fruits à la frontière hispano-française ; il y a quelques semaines, ceux sont des camions de vin vidés en bordure de route, au pas frontalier du Boulou : presque 30.000 litres de vin provenant de l’Espagne.
Le gouvernement français a condamné les attaques des camions espagnols sur son territoire et il assure qu’il est en train de faire les recherches nécessaires. La Commission Européenne a réclamé des informations à Paris à ce sujet et sur les mesures que le gouvernement français compte mettre en place.
La libre circulation de marchandises est autorisée dans toute l’Union Européenne. C’est un droit que nous avons tous les européens, et qui doit être respecté. Dans le cas de l’attaque des camions espagnols, l’illégalité s’habille en plus de « suffisance ». Les viticulteurs français ont eu l’impudence d’arrêter les camions et d’avertir deux jours avant la presse et les télévisions pour qu’ils soient témoins de la vidange de nos camions. Et comme si cela n’était pas suffisant, la gendarmerie française était sur les lieux. Elle n’est pas intervenue, donc, elle a donc consenti au crime.


Les agriculteurs français se plaignent d’une “possible” baisse de prix de leur vin, qu’ils vendent à 70-80 euros/hl et que l’Espagne vend à 30-40 euros/hl. Comme si c’était notre faute !!! Je vous assure que les producteurs espagnols seraient enchantés de pouvoir vendre au même prix que les français, mais à ces prix-là, c’est impossible. De par leur offre, les vins espagnols sont positionnés en milieu de la pyramide de la concurrence mondiale. Ils doivent affronter l’offre plus chère portée par les vins des pays traditionnellement producteurs, et l’offre très compétitive des vins du Nouveau Monde.
Le vrai problème réside dans une Europe qui a construit une union monétaire mais sans savoir mis en place, d’homogénéité législative sur impôts, les salaires, les prestations sociales…
Les prix des raisins sont plus bas en Espagne, car les coûts d’exploitation sont moins élevés qu’en France. Ainsi, pour la campagne 2014/2015, à La Mancha, les raisins du cépage Tempranillo et d’autres variétés produites sous Dénomination d’Origine et 13º Baumé ou supérieur sont vendus à 0,01923 euros/kg. A ce prix-là il faut rajouter 0,012 euros/kg en logistique. Asaja (Association de Jeunes Agriculteurs) de Castilla y León, calcule que dans la Ribera del Duero le prix moyen a augmenté de 10 % entre 2014 et 2015 : le kilo a été payé à 0,90 euros, mais il oscille en réalité entre 0,68 et 2,50 euros, car le raisin provenant de vieilles vignes est mieux rémunéré. En revanche, Asaja se plaint que dans la DO Toro, le kilogramme de raisin de vieilles vignes est payé entre 1,10 et 1,30 euros, et ils regrettent que certains grands producteurs l’aient vendu à 25 centimes et donc, le prix moyen dans cette DO est de 0,40 euros.
Il faut penser que la culture hédoniste du vin en Espagne est très récente : elle commence à peine dans les années 80 dans un pays où les gens n’avaient plus faim et commencent alors à s’intéresser à la gastronomie (le vin inclus, bien sûr) comme une source de plaisir. La démocratie, qui vient juste d’arriver en Espagne, permet l’ouverture des frontières, des mentalités… Et des nouveaux modèles de consommation et de négoce émergent. Le vin n’est pas étranger à ce phénomène et le secteur commence à opérer de profonds changements : l’émergence des DDOO, la création de bodegas pour l’élaboration des vins de qualité et la disparition parallèle du modèle coopératif jusqu’alors prépondérant, le pari commercial en faveur des vins conditionnés face aux vins en vrac…
En parlant du vrac… Selon les dernières informations apportées par les Services des Douanes Espagnoles (AEAT) sur les exportations espagnoles du vin du octobre 2013 à octobre 2014, analysées par l’Observatoire espagnol des marchés du vin, la France est la première destination en volume pour les vins espagnols. L’ AEAT informe aussi que la croissance de l’export des vins en vrac est davantage marquée sur les marchés qui développement le vrac. C’est tentant de se demander ce que font les français, avec nos vins en vrac espagnols…
En signe de protestation face à cet incident et d’autres arrivés dans le passé, le Ministre d’Affaires Étrangères et de Coopération Internationale du Gouvernement espagnol a convoqué l’Ambassadeur français en Espagne, Monsieur Yves Saint-Geours, à une réunion au siège du département, pour lui faire part du malaise ressenti par le gouvernement espagnol. Il a demandé aux autorités françaises qu’elles garantissent la libre circulation de personnes et des marchandises sur son territoire. L’Ambassade française à Madrid a voulu souligné que ce sont de faits isolés et qu’il y a des centaines –même des milliers- de camions que passent chaque année d’un pays à l’autre sans aucun problème. Néanmoins, le Gouvernement français a informé qu’il y a des contacts entre les deux Gouvernements pour prévenir ce type de situations et que, de plus, ils sont en train de travailler pour encourager le dialogue entre les associations de producteurs des deux pays à fin de favoriser une bonne entente.
La peur des chauffeurs, qui ne faisaient que leur travail, la perte d’argent et la perte de temps… Ce n’est pas juste, il ne faut pas que ces évènements tombent dans l’oubli. Il faudrait peut-être construire une Europe plus juste où tous les citoyens aient les mêmes droits et les mêmes opportunités.
Et… si nous parlions de salaires? Partons du début: le SMIC en France est de 1.457,52 euros; en Espagne, de 756,40 euros. Selon les syndicats, l’heure d’un travailleur agricole est payée actuellement en Espagne à 5,708 euros, face à 9,61 euros/heure en France. Bien sûr, quand la retraite arrive, les pensions ne se ressemblent pas non plus: un retraité en Espagne a une moyenne de 852 euros par mois, face aux 1.066 euros d’un retraité français. Vu comme ça, l’histoire est moins belle pour les Espagnols, n’est-ce pas?