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our les deux circuits de commercialisation réunis, les ventes de vins effervescents sur le marché britannique s’approchent des 900 000 hl sur les douze mois se terminant au 30 janvier 2016, selon les chiffres recueillis par la Wine & Spirit Association. Dans les deux cas, les ventes ont quasiment doublé en volume depuis 2012 et si le taux de progression régresse très légèrement pour le secteur « off-trade » – passant à +19 % sur les douze semaines jusqu’au 30 janvier dernier contre +21 % sur douze mois – il accélère dans le circuit CHR (+53 % contre 49 %). Le marché est dominé par les trois géants que sont le champagne, le cava et le prosecco, mais comme l’a si bien démontré ce dernier, il s’agit d’un marché relativement volatil où de nouveaux arrivants peuvent se faire une belle place, à l’instar aussi des effervescents anglais.
« Le prosecco est devenu synonyme de bulles », note Simon Bradbury dont la société représente l’un des trois grands piliers du segment des cavas outre-Manche aux côtés de Freixenet et des marques de distributeurs. « Il se positionne au-dessus des cavas en marques de distributeurs et en dessous des cavas de marques et s’est trouvé une belle niche pour se développer. » Néanmoins, est-ce un vœu pieu, toujours est-il que le directeur de Codorniu voit dans l’offre de prosecco des failles intrinsèques qui pourraient mettre à mal sa progression fulgurante. « L’absence de marques constitue une faiblesse potentielle parce que les distributeurs recherchent le soutien de marques. C’est un atout pour le cava. Puis, le prix des proseccos augmente. Nous avons déjà vu l’impact d’une hausse d’environ 30 % des prix du prosecco d’entrée de gamme et cette tendance va se poursuivre parce que le potentiel de production est forcément limité et que le prosecco commence à faire florès aux États-Unis et, dans une moindre mesure, sur certains marchés européens. Je pense donc que l’évolution future du prosecco sera ralentie, créant ainsi des ouvertures pour d’autres produits. »
Les producteurs de Cava sont à l’affût de ce type d’ouverture. Ils ont beaucoup souffert de la montée en puissance du prosecco même si celle-ci n’a fait que souligner leurs propres défaillances. Image galvaudée du fait de l’arrivée massive de cuvées d’entrée de gamme, manque d’innovation et absence de stratégie de montée en gamme sont autant de faiblesses qui ont permis aux prosecco de leur tailler des croupières. Codorniu, qui se défend d’avoir péché par manque d’innovation et de premiumisation, est en pleine phase de contre-attaque. « Notre priorité absolue est de développer nos marques. Nous avons lancé un cava premium et un blanc de blancs dans le secteur CHR et organisons des animations liées à des restaurants espagnols. Nous nous appuyons sur José Pizarro, notre ambassadeur de marque. » En GMS, Codorniu a également lancé sa Cuvée Barcelona chez Waitrose et Sainsbury : « Le positionnement prix varie entre 10 et 13 £ comparé à 7 ou 8 £ pour le prosecco. Nous communiquons autour de Barcelone parce que, si les consommateurs ne comprennent pas ce que c’est que le Cava, au moins ils savent où se trouve Barcelone et l’association entre les deux est très valorisante. »
Pour Codorniu, il ne s’agit pas de délaisser les produits d’entrée et de milieu de gamme mais d’ajouter des références dans le segment premium. S’il s’approche ainsi des Champagnes d’entrée de gamme – souvent positionnés entre 10 et 15 £ - il reste en deçà des Champagnes de marque et des effervescents anglais, commercialisés autour des 25 £ et plus. « Les sparkling anglais sont très bien valorisés parce que le niveau qualitatif est bon voire très bon. Leur positionnement prix est celui des marques de Champagne. Ils progressent parce que toutes les enseignes proposent au moins deux ou trois références ou bien une gamme entière, et que les pubs gastronomiques, qui se développent, aiment promouvoir des produits locaux. Mais en fin de compte, même si on continue de planter des vignobles, leur potentiel de production est forcément limité. ».
L’hégémonie des champagnes, cavas et proseccos laisse peu de place aux autres effervescents, y compris l’offre française. « Pour être honnête, nous ne ressentons aucune concurrence des effervescents français depuis cinq ou dix ans. Cela dit, il en est de même pour le Nouveau Monde. L’arrivée de bulles sous des marques telles que Jacob’s Creek n’a eu que très peu d’impact sur le marché ». Simon Bradbury cite néanmoins un exemple de réussite commerciale qui laisse entrevoir un potentiel de développement pour les bulles françaises. « L’exemple qui me frappe toujours est celui du Crémant du Jura commercialisé par Aldi. Personne ne sait où se trouve le Jura mais Aldi s’est forgé une telle réputation pour sa gamme de vins, certes restreinte mais très qualitative, que ses clients lui font confiance. Cela démontre bien que, peu importe la provenance, des opportunités existent ». La France pourrait également s’appuyer sur ses marques d’effervescents, estime Simon Bradbury. « Il existe de grandes marques d’effervescents en France – Kritter en est une par exemple. Si ces marques proposaient quelque chose de nouveau aux bonnes enseignes, je suis certain qu’elles feraient une percée. Les opportunités sont là ».
De son côté, Codorniu cherche à se développer par la premiumisation mais aussi par l’innovation. Le segment des Cavas s’élargit en faveur de produits à caractère plus artisanal, élaborés à plus petite échelle et les grandes maisons doivent répondre à cette nouvelle orientation. « Codorniu cherche de nouveaux créneaux pour ses effervescents. Nous venons donc de lancer deux références titrant 5,5 %, l’une issue du cépage Verdejo, l’autre d’Albarino ». Baptisées « Fizz », les deux nouvelles cuvées seront commercialisées dès ce mois-ci dans une chaîne de pubs. L’objectif est de répondre à une demande de produits faiblement alcoolisés pour une consommation à midi, qui permettent de respecter la réglementation sur l’alcool au volant. « Le marché des produits à faible taux d’alcool, correspondant à une recherche de bien-être, est restreint mais en progression », affirme Simon Bradbury. Dans le même temps, Codorniu va également lancer dans le CHR une version de sa marque Anna, destinée à une consommation sur glace et en cocktail. « Les cocktails sont toujours très appréciés en Angleterre, y compris ceux à base de vin. Ils apportent un profil gustatif nouveau et permettent d’abaisser le taux d’alcool ».
Malgré les vicissitudes qu’a connues le Cava sur le marché britannique ces dernières années, les professionnels concernés sont très optimistes quant à l’avenir de l’effervescent espagnol. Cité par la presse anglo-saxonne récemment, le directeur de Félix Solis UK, Richard Cochrane, a affirmé que le Cava serait bientôt « chaud comme le feu ». Un avis que partage, tout en étant plus tempéré, Simon Bradbury : « Je pense que 2016 sera et devrait être l’année où le Cava regagne certaines de ses parts de marché ». Dans un pays où, selon Vinexpo/The IWSR, la consommation d’effervescents devrait progresser de 13,2 % entre 2015 et 2019, a priori les perspectives de développement ne devraient pas manquer, quelle que soit la catégorie de produits.
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