i la météo se refroidit dernièrement, l’hiver aura été particulièrement doux sur le vignoble aquitain. Et avec les graphiques des sommes de température s’annonce déjà une campagne viticole précoce. « On peut attendre les premiers débourrements de merlot pour la mi-mars sur les terroirs médocains précoces. Au plus tard pour le 20 mars » estime Benjamin Vimal, le directeur technique du château Lagrange (grand cru classé de Saint-Julien). Et déjà sur les plantiers, « on voit quelques bourgeons gonfler et certains sont dans le coton… »
Face à cette promesse de débourrement rapide et au déficit de jours froids, la peur d’une gelée printanière continue de s’installer. Et commence à sérieusement travailler certains opérateurs. « Il n’y a eu aucune gelée cet hiver, il n’est pas possible de passer au travers ! » tranche Henri Ramonteu, le propriétaire du domaine Cauhapé (AOC Jurançon). Ne pouvant rester sans rien faire face à ce risque, le vigneron béarnais tente une nouvelle forme d’assurance anti-gel : « deux films, un de plastique (thermique) et l'autre de tissu (ajouré), bien fermés dessus et dessous, et agrafés aux piquets de part et d’autre du cep, pour créer un effet de serre ». Réalisant des essais depuis 15 jours, il s’appuie sur des gains mesurés de 1 à 2°C au thermomètre pour déployer désormais cet essai sur les 44 hectares de son vignoble*. « Les chênes sont verts, la sève est réveillée. Le risque est trop grand pour ne rien faire » ajoute Henri Ramonteu.
« Soyons optimistes, même si l’on craint tous le froid » relativise quant à lui Olivier Martin, le président de la cave coopérative d’Irouléguy. « On sent que la vigne a envie de sortir de son cocon. Que ça frémit, faute d’hiver jusque-là. Mais on constate que les bourgeons sont un peu plus gros que d’habitude seulement sur les complants et plantiers. C’est epsilon » ajoute-t-il, rappelant le conseil de ne pas tailler trop tôt les parcelles précoces. Même appel à la sérénité pour l’oenologue Pascal Hénot, le directeur du laboratoire oenologique de Coutras (Enosens). Selon lui « il est normal d’avoir peur du gel, sans tomber dans la viti-fiction. Le vignoble ne me semble pas particulièrement précoce, et l’on n’est que début mars… »
Les températures des prochaines semaines pourront en effet soit confirmer cette tendance à la précocité végétale, soit y mettre un terme. Et ce renversement météorologique pourrait déjà avoir eu lieu, comme l'estime Carine Magot, la responsable du service vigne des Vignerons de Buzet. Désormais rassurée, elle se rappelle en effet avoir été « très inquiète ces trois dernières semaines. Les bourgeons commençaient à gonfler sur les terroirs précoces. Mais le changement de températures de la semaine dernière a tout stoppé. Si ça se trouve, le débourrement aura lieu début avril... » Mais même en cas de retour à un rythme phénologique normal, les craintes d'accident climatique ne seront pas pour autant levées. Accompagnant comme à l'accoutumée le début de la campagne.
* : Habitué aux essais atypiques, le domaine Cauhapé réalise un palissage manuel, chaque rameau étant agrafé à la main (avec des rubans).
Si les craintes de gel printanier sont partagées avec le Languedoc-Roussillon, l’hiver aquitain aura été particulièrement humide et ne laisse pas craindre de sécheresse, contrairement au bassin méditerranéen. « Il y a largement le plein en eau, avec des réserves historiquement hautes » souligne Benjamin Vimal. Il craint cependant qu’avec un « hiver peu froid et avec beaucoup d’eau, il y ait des risques de fortes populations d’escargots. Si les bourgeons débourrent avec des escargots sur les pieds, cela équivaut à une gelée… » En attendant le débourrement, la gestion de l'herbe s'annonce délicate, alors que les rangs de vigne sont souvent impraticables pour les tracteurs, à cause des pluies récurrentes.