Chaque distributeur a ses particularités, et Colruyt ne fait pas exception. Lancée en 1928, l’enseigne adhère à un modèle économique de type discount. « Mais pas le hard discount », insiste Philippe Schoovaerts, en charge des achats de vins dans le Languedoc-Roussillon, en Provence, au Portugal et en Afrique du Sud. « Nous n’avons pas le même genre de magasin ni de politique d’achat que Lidl ou Aldi par exemple. En revanche, depuis une quarantaine d’années, nous garantissons les prix les plus bas en Belgique, y compris pour les vins. Nous réagissons sur les catalogues et promotions de nos concurrents : si un concurrent propose par exemple un Corbières à tel positionnement prix, je dois tâcher de proposer un Corbières au moins au même prix ». Pour ce faire, le groupe, qui possède 224 magasins en Belgique sous l’enseigne Colruyt, mise, entre autres, sur ses propres installations de mise en bouteille à Ghislenghien, dans l’ouest du pays. Il y embouteille environ 120 vins provenant du monde entier pour un volume total de quelque 13 millions de bouteilles et 4 millions de BIB. Ce choix répond, certes à des impératifs écologiques de réduction de son empreinte carbone, mais aussi et surtout à des facteurs économiques. « L’unité de conditionnement nous permet de maîtriser toute la chaîne de production et les coûts de production, de proposer des premiers prix et d’être capables de réagir sur les promotions de nos concurrents », explique Philippe Schoovaerts.
Montée en flèche des Prosecco
L’unité de conditionnement joue aussi un rôle important dans son offre de BIB : « Colruyt n’achète aucun Bag-in-Box® en mise d’origine, nous les conditionnons tous nous-mêmes. C’est un détail mais c’est important quand même ». Comme ailleurs en Europe, les BIB sont en très forte progression en Belgique. Il en est de même pour les effervescents et les rosés. « Pour les effervescents, nous sommes de grands vendeurs de Cava. Chez nous, les Cava représentent des volumes gigantesques et nous proposons une vingtaine de références allant du Cava à 3 euros jusqu’à 10 euros la bouteille. Les crémants reprennent un peu : ils ont eu du mal à tirer leur épingle du jeu pendant quelques années mais ils recommencent à avoir la cote. Dans le même temps, il y a une grosse poussée des Prosecco ».
« On boit du rosé maintenant toute l’année »
La Belgique connaît aussi la même montée en puissance des rosés que d’autres marchés : « Nous avions toujours eu un assortiment relativement statique de vins rosés – été comme hiver, il ne changeait quasiment jamais. Depuis quelques années, il fallait dynamiser le rayon parce que la concurrence est dynamique dans cette catégorie. Notre offre en rosé s’est donc beaucoup étoffée, notamment en été, tout en restant plus limitée et plus sobre que celle de nos concurrents. La consommation de rosés reste relativement saisonnière, mais il y a moyen de faire de beaux résultats en hiver aussi. Certes, les volumes et le taux de croissance ne sont pas les mêmes qu’en été, mais il est certain qu’on boit du rosé maintenant toute l’année ».
Les régions méditerranéennes en très bonne place
La France, de par la diversité de son offre, reste bien placée, à la fois chez Colruyt et globalement sur le marché belge. Elle détient toujours une part prédominante de 60% du marché, malgré de belles percées réalisées par des pays comme l’Afrique du Sud et le Chili. Parmi les régions françaises, Bordeaux reste en tête mais, selon l’acheteur vins, « il se fait un peu grignoter par d’autres régions ». Au niveau national, le trio de tête se compose, dans cet ordre, de Bordeaux, du Languedoc et du Rhône. Chez Colruyt, les deux derniers sont inversés. « Nous avons toujours été de gros vendeurs de vins de la Vallée du Rhône. C’est historique, nous avons toujours eu des acheteurs qui ont fait de bonnes affaires dans cette région ». Globalement, les régions méditerranéennes se situent en très bonne place chez le distributeur numéro un pour les vins en Belgique, qui a commercialisé environ 61 millions de cols en 2014. « L’Italie est très importante chez nous et s’est développée très fortement ces dernières années. Le Portugal commence à bien progresser aussi tandis que l’Espagne représente le deuxième pays européen. Le bassin méditerranéen est donc très présent chez nous », détaille Philippe Schoovaerts. Et il n’y a pas de raison que cela change : « Les régions méditerranéennes sont toujours sur une courbe ascendante et il y a encore moyen de progresser. Ce n’est pas toujours évident, mais ils arrivent à lutter contre la concurrence du Nouveau Monde. La croissance en termes de pourcentage est peut-être moins élevée que celle d’autres pays, mais les volumes sont déjà considérables ».
La rencontre des fournisseurs à Vinisud
Autant dire qu’un salon comme Vinisud, qui se tient le mois prochain à Montpellier, joue un rôle important dans l’évolution de l’assortiment de vins chez Colruyt. « Ma présence à Vinisud tient beaucoup de la relation publique, c’est vrai, mais généralement j’y fais des affaires ou je rencontre de nouvelles personnes. Je n’ai jamais participé à Vinisud sans avoir commencé par la suite à travailler avec un nouveau fournisseur ou vigneron. J’y ai rencontré par exemple Paul Mas, une grande maison qui était très peu présente en Belgique jusqu’alors. J’ai donc une bonne opinion de ce salon ». Cela, d’autant plus que l’acheteur belge croit beaucoup au potentiel des IGP, fortement représentées dans les régions méditerranéennes. « Je remarque que les IGP sont légèrement plus faciles à vendre, peut-être que le rapport qualité-prix est un petit peu plus intéressant pour le consommateur sur les IGP que sur les AOP, dont les marges sont légèrement plus élevées », note Philippe Schoovaerts.
Le lobby anti-alcool commence à se manifester
Ce critère d’achat pourrait s’imposer davantage sur un marché où la crise, comme ailleurs, se fait toujours bien sentir. « Les chiffres Nielsen pour l’année dernière montrent que le marché belge était en légère régression. C’est bien la crise qui freine la consommation. Pour sa part, Colruyt est resté stable voire en légère progression. C’est encourageant pour nous mais, en même temps, ce ne sont plus les progressions à deux chiffres que nous connaissions il y a 5, 6 ou 7 ans ». L’impact de la crise n’est pas le seul nuage à l’horizon : « Depuis le début de cette année, le ministère de la Santé est à l’initiative d’une campagne qui fustige la consommation d’alcool. Elle dénonce une consommation quotidienne trop élevée chez les Belges, à l’instar des campagnes anti-alcool en France alors que nous étions plutôt épargnés de ce côté-là jusqu’à présent. Pour notre part, nous estimons qu’il faut éduquer les gens et non pas les culpabiliser ». Il n’empêche que le marché belge fait toujours l’objet des convoitises, non pas uniquement de la part des exportateurs de vins à travers le monde, mais également des grands distributeurs, comme en témoigne la fusion du néerlandais Ahold avec le belge Delhaize, qui devrait être finalisée cette année. Preuve, s’il en fallait, que le dynamisme est bel et bien là et qu’après la pluie, viendra le beau temps.