’huître en questions
Vivres(s) N°1
Les ateliers d’Argol
348p, 29,90 euros
C’est un livre qui ne parle ni de la vigne, ni du vin et qui pourtant à chaque ligne y ramène, de manière lumineuse, belle souvent, inquiétante parfois. Un livre d’initiation et d’éducation. On se dit, diantre, 348 pages rien que pour l’huître ?! Oui, 348 pages de longs entretiens avec ceux dont l’huître est le métier autant que la vie : ostréïculteurs, chercheurs, écloseurs, chefs, élus, écailleurs, restaurateurs, sommeliers. Ces entretiens tissent une véritable histoire et suivent un fil d’Ariane, énoncé en préambule : « Qu’arrive-t-il aux huîtres ? » « On commence à s’intéresser autrement à l’un des derniers produits naturels que la mer littéralement nous offre, et que des cueilleurs pêcheurs, des artisans de la mer, élèvent encore dans des conditions traditionnelles », écrit l’éditrice Catherine Flohic, auteure de cette enquête absolument passionnante. Elle ajoute : « L’huître avec cette façon que l’on a aujourd’hui d’en faire des enjeux de chercheurs, de marché, de maîtrise scientifique, réunit symboliquement tout ce qui peut se perdre dans notre société ». Chaque entretien commence par cette interrogation : comment êtes-vous arrivé à l’huître ? La question paraît banale. Elle ne l’est pas. Elle est fondatrice de l’engagement et du regard sur la culture de l’huître. Se dévoilent alors au fil des pages des parcours individuels qui racontent une histoire collective, strictement parallèle à la vigne et au vin. Par analogie, elle nous éclaire sur les enjeux de la viticulture.
Ecoutons voir. Le naturaliste Pline l’Ancien connaît l’huître, Ostrea edulys, une huître plate, alternativement bisexuée. Les Romains étaient très friands des huîtres plates sauvages normandes, le roi Louis XIV aussi. Dans la Grèce antique, les coquilles d’huître tenaient lieu de « bulletins de vote » pour exclure des citoyens de la cité. « Le nom soumis au bannissement était gravé sur les coquilles ». Telle la vigne, l’huître est un indicateur du climat : « Elle filtre 6 litres d’eau par heure, son lieu de vie doit être très sain. Elle est concrètement la sentinelle de la qualité du milieu. Quand elle meurt, cela signifie que le danger est dans nos murs. Je crois que si le public comprenait l’enjeu de sa préservation, il en serait touché ». On y apprend qu’à l’instar de la vigne, l’huître a eu son phylloxera avec la disparition de l’huître plate, puis celle de l’huître portugaise, Crassostrea angulata, arrivée en 1868 sur les côtes françaises à bord du Morlaisien qui fait naufrage.
Deux dates annoncent l’aujourd’hui : 1965 avec l’importation du Japon de 6 kg de coquilles de naissain de Crassostrea gigas, une huître creuse, hermaphrodite, « très robuste, à la croissance rapide », et 1997 qui voit la naissance des huîtres triploïdes, stériles, purs produits de la sélection génétique. Mais ainsi de la vigne clonée, l’huître triploïde (60% des huîtres que l’on consomme aujourd’hui) avance en tenue de camouflage sous le vocable « d’huître des quatre saisons ». Le monde moderne de l’huître, ce sont les écloseries associées à la recherche (Ifremer) comme nous avons dans la vigne les pépiniéristes, et malgré les promesses, les précautions et la science, des maladies endémiques qui se succèdent. Là est le cœur du livre dans sa dimension dramatique contemporaine : le vivant et l’argent, la nature et la science, l’éthique et la rentabilité, la diversité et la standardisation, la mondialisation et le meroir. Lisons Christian de Longcamp, ostréïculteur à Saint-Vaast dans la Manche : « Il faut écouter la nature. Quarante ans de gâchis : des sommes énormes dépensées dans la recherche, une surproduction suicidaire, des tonnes de triploïdes imprévisibles, une mortalité sans précédent …. Pour en arriver à des entreprises en difficultés … Le plus absurde, c’est qu’on va les indemniser après avoir subventionné la recherche. On tourne en rond et on refait le même schéma que pour l’agriculture ». On ne peut pas échapper au doute existentiel qui caractérise notre époque après la foi dans le progrès qui a présidé aux Trente glorieuses : « On a tout déstabilisé. La nature va reprendre ses droits ».
Comme dans le vin, des noms émergent : Gillardeau en Normandie, Tabouriech sur l’étang de Thau. Ceux-là ont pensé l’huître comme un produit de luxe, marqué chez Gillardeau d’un G au laser sur la coquille. Le livre se clôt sur les tables, notamment celless de Garry Dorr, fondateur des « bars à huîtres » qui empruntent beaucoup au vin. En Gaulois que nous sommes, on ne saurait complètement tourner une page sans un banquet, en l’espèce des recettes et des accords entre l’huître et le vin. Ce livre ne serait pas aussi émouvant sans les photos de François Flohic, musique d’un film. Je ne mangerai plus jamais d’huîtres comme j’en mangeais.