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evoyant tout le long de la saison ses prévisions à la hausse, le ministère de l’Agriculture a arrêté au 1er novembre son estimation de la production française de vin en 2015 : 47,9 millions d’hectolitres (Mhl). Soit +2 % par rapport à 2014 et +5 % en comparaison à la moyenne quinquennale. Avec 48,9 Mhl annoncés par l’Organisation internationale de la vigne et du vin, l’Italie prend la place de premier pays producteur de vins. Le vignoble transalpin fait de cette « reconquête du leadership mondial » l’occasion de nouvelles performances commerciales. Président de l’Union des vins italiens, Domenico Zonin s’annonce ainsi « confiant dans le développement de nos exportations de vins à dénomination d’origine en 2016, pour échapper à la tendance baissière imposée cette année par les vins de table espagnols ».
Première place ou pas, cela importe peu pour les caves coopératives françaises qui ont dressé un bilan des vendanges 2015 hautement positif. « La qualité des raisins laisse augurer de très bons vins, un peu partout dans le vignoble », estime Boris Calmette, le président des Vignerons coopérateurs de France, qui souligne qu’en « quantité, la récolte est un peu plus importante que l’année dernière, notamment grâce au Cognac ». Ce n’était pas gagné d’avance, mais les vendanges auront été particulièrement généreuses dans le vignoble charentais. Les rendements agronomiques y sont estimés à 123 hectolitres par hectare, pour un titre alcoométrique moyen de 9,7 % vol.
« La période sèche de juin-juillet nous a inquiétés, mais les pluies d’août sont arrivées à temps et ont participé à la bonne récolte », explique Gérald Ferrari, ingénieur à la station viticole de Cognac. « Le poids moyen des grappes s’annonçait d’un niveau classique. Mais grâce à un bilan hydrique excédentaire, on a atteint des niveaux records ! », ajoute son collègue Vincent Dumot. Les précipitations de la rentrée auront permis de lever les angoisses de sécheresse dans de nombreux vignobles. Comme sur le bassin méditerranéen où les craintes de contraintes hydriques pesaient après un été sec et chaud, qui a mis le holà sur un emballement phénologique. Affichant au final une avance de dix jours sur le développement végétatif habituel, les raisins ont dû être récoltés précocement dans le Languedoc-Roussillon. Les vendanges y auront été les plus précoces depuis 1950.
Ce parcours climatique atypique débouche cependant sur un millésime généreux en Languedoc-Roussillon, estimé à 13,6 Mhl (+7 % par rapport à 2014). Au final, « beaucoup de peur pour un millésime haut en couleurs qui pétarade la joie du Sud ! », résume la vigneronne Cathy Do, du Domaine Campaucels, à Montagnac, sur le site Millésime Languedoc. En Bourgogne, le millésime n’a également été inquiété qu’un temps par la sécheresse estivale. « Les blocages de maturité n’ont finalement pas eu lieu grâce aux quelques pluies tombées aux bons moments », résume Jean-Michel Aubinel, le président de la Confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne.
À défaut de généreuses pour les rouges, les vendanges bourguignonnes ont été particulièrement précoces, avec trois semaines d’avance sur 2014 – les vendanges ont démarré la semaine du 24 août dans le sud du Mâconnais. Ce millésime aura été marqué par une climatologie « hors du commun », résume Ludivine Griveau, la nouvelle gérante du domaine des Hospices de Beaune. « 2015 n’était pas si facile que cela, marqué par une lutte contre la pression de l’oïdium relativement forte ». Si les conditions météorologiques sont restées favorables à la bonne maturation des baies, l’état sanitaire du vignoble était loin d’être aussi apaisant au début de saison.
La pression de l’oïdium a été exceptionnelle en Côte-d’Or, dès le mois de mai. En tout, huit à dix traitements ont été réalisés cette année. « Auparavant, nous étions entre six et huit ; ce qui montre bien que le problème de l’oïdium se répand de plus en plus en Bourgogne », souligne Pierre Petitot, conseiller de la chambre d’agriculture de Côte-d’Or. Dans le vignoble bordelais, c’est une forte sortie de mildiou qui a marqué les esprits, surprenant début mai de nombreux vignerons des Graves, de l’Entre-deux-Mers et du Libournais. La faute, notamment, à un risque de mildiou sous-estimé par l’outil d’aide à la décision EpiCure, comme le reconnaît en toute transparence Marc Raynal, responsable des opérations EcoPhyto pour l’IFV Bordeaux-Aquitaine, qui a développé l’outil. « Je ne veux pas masquer les défaillances du système, mais pendant dix ans il a fonctionné », souligne-t-il, ajoutant que « ses prévisions ne relèvent pas de la science exacte, surtout sur des itinéraires climatiques aussi particuliers… ». Accompagné de black-rot, ce début de saison mouvementé a rapidement cédé la place à des commentaires flatteurs sur la qualité de la récolte.
Reste, pour de nombreux producteurs girondins, la déception d’une récolte en deçà des attentes. « Les volumes ne sont pas aussi pléthoriques qu’on aurait pu le penser. La sécheresse, qui a apporté de la qualité, n’a pas permis une récolte à plein », témoigne le viticulteur Bernard Solans, président de la Fédération des caves vinicoles d’Aquitaine. La pluviométrie hétérogène d’août et de septembre aura également un impact sur le mythe des millésimes en 5. « C’est un très bon millésime, qui n’est pas inférieur à 1995 et 1985, mais on ne peut pas dire qu’il est exceptionnel à l’échelle de l’ensemble de Bordeaux », nuance le consultant David Pernet, des laboratoires Sovivins. Il ajoute que « les vins seront assez faciles dans leur jeunesse, et appréciés pour leur faible acidité et des tannins globalement fins. Mais on n’aura pas l’exubérance de la palette aromatique et la tension d’un 2010 ».
Pour les vinificateurs, la crainte de vins moins frais à cause des fortes chaleurs ne s’est globalement pas réalisée. En Alsace, le coup de chaud estival s’est bien traduit par de faibles teneurs en acide malique. Mais « les teneurs en acide tartrique sont en revanche élevées, ce qui est très positif, car cela donne des vins très fins », explique Raymond Lassablière, responsable technique à l’Association de viticulture alsacienne.
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