« Polémique autour d’un grain de raison ». Le titre de la chronique de Jacques Dupont dans Le Point synthétise l’ambivalence des réactions à la nouvelle campagne de Vin et société, la première à inciter à la consommation de vin depuis le verre de lait de Pierre Mendes France à l’Assemblée nationale. C’était en 1954. Jacques Dupont ne cache pas ses convictions derrière son petit doigt : « Les repères de consommation, on n'est pas obligé d'y croire. Récemment, le Gorafi, avec ce sérieux dans l'absurde qui le rend délicieux, détournait le message sur les cinq fruits et légumes par jour : « Cyril, 11 ans, est à l'hôpital depuis huit jours suite à l'ingurgitation de deux pastèques et trois citrouilles. Ses parents ne comprennent pas, ils avaient pourtant respecté les recommandations du ministère de la Santé pour l'alimentation de leur fils. » S'il fallait en effet boire, manger, dormir avec une balance, une calculette ou un chronomètre, la vie pourrait sembler triste comme un Italien quand il sait qu'il aura de la flotte et une pizza surgelée ». Jacques Dupont vise les deux slogans de la campagne qui s’affiche depuis le 6 décembre dans la presse et sur le net, prônant une consommation raisonnable : « Le vin. Je l'aime, je le respecte » et « Aimer le vin, c'est aussi avoir un grain de raison. » Il analyse : « La campagne avait été visée par le ministère de la Santé qui n'avait rien trouvé à redire. Normal, puisqu'il s'agit d'un message incitant à la modération. Mais depuis, la Haute Autorité de santé a protesté contre cette campagne qui « détourne un outil médical de lutte contre les dangers de l'alcool » (…) Quelle mouche les a piqués ? Pourquoi ce qui était écrit hier (en 2014), ces fameuses « recommandations », aurait d'un coup changé de sens ? Ou bien est-ce parce que l'émetteur du message n'est pas cette fois un organisme de santé, mais Vin & Société, et que ce faisant, cette association n'apparaît pas en grand méchant loup comme aimerait le faire croire le lobby prohibitionniste ? » Dans Le Monde, Laurence Girard décortique le débat : « Mardi 8 décembre, la Haute Autorité de Santé (HAS) a réagi dans un communiqué en dénonçant une « campagne publicitaire qui détourne un outil médical de lutte contre les dangers de l’alcool ». Elle précise qu’ elle a publié en novembre 2014 un outil de repérage des consommations à risque pour l’alcool, le tabac et les drogues à destination des professionnels de santé. Mais elle ajoute : « Les seuils mentionnés par la HAS sont ceux qui nécessitent de déclencher une intervention médicale. Il ne s’agit en aucune façon de dire qu’en dessous de ces seuils, la consommation serait normale, recommandée ou exempte de risque. » Laurence Girard rappelle le contexte dans lequel s’inscrit cette campagne : « Vin et société, qui dit s’exprimer au nom de la viticulture française, est en effet le lobby qui a oeuvré à assouplir les règles de la publicité sur l’alcool fixées jusqu’alors par la loi Evin. Il a obtenu gain de cause lors de la deuxième lecture du projet de loi santé à l’Assemblée nationale le 24 novembre. Pour Vin et société, cette campagne publicitaire est une « main tendue aux autorités de santé auxquelles il ne souhaite pas se substituer ». On prendra de la distance en lisant un article sur la publicité alcoolière de la loi Roussel à la loi Evin (1873-1998) sur le site histoire des média : « Les buveurs entrent en scène en 1925. Certains sont stéréotypés — tel ce facteur qui se fait offrir une Suze par le cafetier à qui il apporte un mandat (1935) — ; d’autres plus inattendus, comme les sportifs qui apparaissent à la fin des années 1930, au moment même où les annonceurs commencent à persuader le lecteur que l’éthanol améliore les performances physiques. Les tennismen sont, de loin, les plus nombreux. Jusqu’aux années 1950, le buveur a aussi les traits du cavalier (Vin de la Durante, 1932), du chasseur (Dubonnet, L’Action française, 1913 ; Suze, L’Action française, 1938), du randonneur (Pikina, 1936) et de l’alpiniste (Byrrh, 1938) (…)Puis, dans la seconde moitié du xxe siècle, l’alcool est associé à des sports plus populaires. Le buveur devient alors un cycliste (Kanterbrau) ou un footballeur (Blanquette de Limoux, 1982 ; Bénédictine, 1967)». La loi Roussel qui condamne l’ivresse sur la voie publique ouvre un siècle d’encadrement de la publicité. En 2014, pour une exposition de la galerie Glénat, le dessinateur Honoré actualisait une affiche de Dransy pour le distributeur Nicolas. On y voit « Nectar livreur », une douzaine de bouteilles dans une main, l’autre portant une bouteille d’eau minérale à la bouche. Ce « « Nectar livreur » ressemble beaucoup aux messages de Vin et Société invitant à une consommation modérée, et même aujourd’hui métrique, explicité par la RVF. La campagne « s'appuie sur quatre chiffres clé "2.3.4.0" : 2 verres maximum par jour pour les femmes, 3 verres maximum par jour pour les hommes, 4 verres maximum en une seule occasion, 0 verre un jour par semaine. Ces repères de consommation destinés à s’imprimer dans les mémoires, à l'image des célèbres "5 fruits et légumes par jour", sont définis par les autorités de Santé elles-mêmes, puisqu'ils figurent dans le Plan national nutrition santé de 2011 ». La RVF conclut : « Avec un long train de retard sur les Quebécois et les Espagnols, et une semaine après la clarification de la loi Evin, la France du vin prend un nouveau départ. Santé ! ».
La biodiversité à Montalcino
Alors que s’achève la COP21, les vignerons de Brunello Mantalcino s’engagent à préserver la biodiversité. « Les représentants de 47 corps de métier, parmi lesquels les vignerons de Brunello di Montalcino, ont signé la charte « Comitato Promotore Montalcino Bio » dans laquelle ils s’engagent à promouvoir la biodiversité et la responsabilité environnementale », nous informe Decanter. Le caviste Bruno Dalmazio est pragmatique : « Les touristes sont de plus en plus demandeurs de produits ou bien bio ou bien ayant une faible empreinte environnementale, qu’il s’agissent des vins de Brunello di Manlcino, du miel ou des biscuits ». Nécessité fait loi.
Libérez le goût - Carlo Petrini - Editions Libre et Solidaire - 255p, 14,90€Le livre de Carlo Petrini illustre à point nommé les changements à l’œuvre en Italie et explique. Sociologue, éditorialiste de la Réppublica, Carlo Petrini est un pur produit de l’Italie, et particulièrement de sa ville natale Bra, berceau du Barolo. Il est à l’origine de Slow Food, un mouvement que les Français regardent toujours un peu de biais. Incarné par un escargot, Slow Food est pourtant bien à l’origine de la renaissance des vins et de la gastronomie italienne. Libérez le goût qui sort en français aux éditions Libre et Solidaire est autant une profession de foi renouvelée dans une société où bien manger et bien boire est un acte révolutionnaire, qu’une histoire de la construction de ce mouvement. Dans son avant-propos, l’éditeur prend soin de préciser que Time Magazine lui a attribué en 2004 le titre de « Héros contemporain » parmi les « 50 personnes qui peuvent sauver la planète ». Il y a toujours un point de naissance. Le vin sera celui de Slow Food. « Je revois très précisément l’image de Beppe Colla, alors président du Consorzio Barolo Barabresco, pleurant devant les caméras de télévision après le scandale du vin au méthanol. Des larmes difficilement contenue par un homme désespéré, mais fier. En ce début du mois d’avril 1986, la totalité de la filière vinicole italienne semblait ruinée. Le blocage aux douanes et le déclin de sa réputation firent chuter les exportations de 37%, si bien qu’à la fin de l’année le secteur avait perdu un quart de sa valeur (…) Ces larmes publiques de Beppe Colla n’exprimaient pas seulement le simple désespoir d’une honte intolérable et la perspective de pertes économiques énormes ; c’était beaucoup plus que ça ». Voilà, tout va donc commencer par des rencontres entre les vignerons et Arcigola, la première version de Slow Food, formant « une petite communauté de rêveurs ». Slow Food c’est ensuite des formules qui parlent et claquent, « beau, juste et bon », la réunion de paysans du monde entier à Turin, « Terra madre », la création à Bra d’une université des sciences gastronomiques, « une arche du goût pour sauver la planète des saveurs » qui n’est autre qu’un « plan de sauvegarde et de développement de la petite production agroalimentaire artisanale ». Carlo Petrini conclut : « Finalement, j’ai cueilli bien d’autres choses en « dégustant la réalité », et nous cueillerons encore. Les aliments peuvent nous rendre libres, s’ils redeviennent « nos » aliments, par tous les moyens possible et imaginables, au gré des différences de culture et de goût. Parce que la nourriture est liberté ».