Autodidacte assumé, Henri Ramonteu est un vigneron à la pure sauce béarnaise. Ne parlant pas le Français avant de se frotter à l’école républicaine*, il n’en trouve que plus naturel de ne pas avoir appris la viticulture et la vinification avant de travailler à la vigne et au chai. Après 35 vendanges (celles 2015 s’achevant tout juste pour lui), il est devenu une figure tutélaire du Jurançon, ayant non seulement appris les ficelles de la production, mais également à anticiper la demande des marchés.
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our Henri Ramonteu, le constat est sans appel : l’avenir est à la fraîcheur des blancs secs, condamnant les moelleux passerillés à la marginalisation. Il en veut pour preuve la crise que subissent actuellement les vins liquoreux, notamment de Sauternes. À Jurançon, le domaine Cauhapé s’est donc progressivement orienté vers la production de secs, mettant à profit le potentiel des cépages pyrénéens oubliés et une certaine « maniaquerie » viticole.
* : Sa langue maternelle étant le Béarnais, il peut donc rappeler, avec l’accent, la signification de "Cauhapé" : qui "tient chaud au pied" (ici de vigne, le sol argileux emmagasinant la chaleur).

Choisie sans regrets : la production de blancs secs en AOC Jurançon
Fort des commentaires qu’il récolte depuis des années dans les salons de vignerons indépendants, Henri Ramonteu en est persuadé : « En ce moment, et à l’avenir, le maître-mot du consommateur de vin sera la fraîcheur. » Il n’en fait pas mystère, les moelleux ne sont plus dans l’air du temps, ou du moins ne peuvent plus peser significativement : « Sur nos 44 hectares, on n’aurait pas fait du sec, on serait dans une crise profonde. Les clients nous demandent d’abord des palettes de vins secs, quand ce ne sont que des colonnes de moelleux qui partent. »
La production du domaine s’est donc modifiée, les secs représentent désormais les deux tiers de la production du domaine, pour un tiers de moelleux. Il y a une vingtaine d’années, ce ratio était exactement inversé. Loin de regretter ce changement d’orientation, le vigneron béarnais l’assume pleinement : « Quand on a un grand terroir à vins moelleux et que l’on peut faire aussi de beaux vins secs, on a deux cordes à son arc. Et aujourd’hui, les consommateurs vont vers le plaisir des vins secs, ils ne savent plus quand boire les moelleux. »
« Il faut savoir ce que le consommateur attend, et l’anticiper », ajoute-t-il, précisant que s’adapter au consommateur n’empêche pas d’essayer de le surprendre, en innovant. Le domaine vient ainsi de lancer une nouvelle cuvée en sec, le C de Cauhapé. Si ce vin ne cache pas sa filiation avec les vins secs de Sauternes qui refont l’alphabet (G de Guiraud, Y d’Yquem…), il se définit comme une « radioscopie » du millésime. Il repose en effet sur un assemblage d’une sélection des quatre cuvées du domaine, dont les raisins sont vendangés entre septembre et décembre selon le profil visé.
Cet assemblage surprenant permet ainsi de « juxtaposer la segmentation des vendanges et les arômes qui en marquent chaque moment », décrit Henri Ramonteu, qui en fait la cuvée de démonstration du potentiel de garde de ses blancssecs. S’adressant aux amateurs, cette cuvée premium ne prend cependant pas la place de prestige des cuvées de moelleux du domaine. Dans son offre, le haut de gamme reste bien dominé par les vins passerillés et les vendanges de l’extrême « des raisins de Corinthe » qui conduisent à la cuvée Quintessence.
« Les lettres de noblesse de Jurançon ont été inscrites par les blancs moelleux, maintenant c’est au tour des vins secs », estime le vigneron. Mais « il est dix fois plus difficile de faire un blanc sec que du moelleux », explique-t-il, ayant adapté son itinéraire technique pour miser sur des cépages accessoires délaissés.

Cépages secondaires pour assemblages complémentaires
Au lancement de son domaine viticole, Henri Ramonteu s’est essayé à l’exercice des cépages rouges originaires du piémont pyrénéen : le courbu rouge, le manseng noir et l’inévitable tannat. Mais sa production, commercialisée en AOC Béarn, est loin de l’avoir convaincu. Après avoir arraché ses parcelles, il s’est alors lancé dans l’exploration de cépages blancs secondaires, autres que le petit et le gros manseng. D’essais en tâtonnements, le camaralet et le lauzet sont devenus les pivots de ses assemblages de vin blanc sec.
« Les mansengs produisent du sucre, sont plutôt acides et dégagent des arômes d’agrumes et de confit, tandis que le camaralet et le lauzet sont moins sucrés et acides, avec des notes d’épices et de racines », détaille-t-il. N’imaginant pas de produire des vins de ces seuls cépages, il ne peut plus concevoir de s’en passer pour rehausser sa gamme actuelle. Sur ses 44 hectares de vigne, il dispose de 2,5 ha de camaralet et 2,5 ha de lauzet, pour 30 ha de petit manseng, 6 ha de gros manseng* et 1 ha de courbu blanc.
« Ces cuvées sont à l’avant-garde, leur expression se fait au travers de la fraîcheur. C’est un atout pour Jurançon que d’avoir autant de cépages originaux, pour répondre à la demande actuelle de caractère. On ne sait peut-être pas encore suffisamment le vendre », note Henri Ramonteu. Malgré sa foi dans ces cépages identitaires, il reconnaît que le camaralet reste « sauvage et difficile à conduire » et « coulard », comme le lauzet. Des enjeux d’entretien viticole auxquels le propriétaire des lieux est particulièrement sensible.
* Le domaine souhaite d’ailleurs planter de nouvelles parcelles de gros manseng pour atteindre une surface totale de 50 ha.

Une conduite du vignoble frôlant la "maniaquerie" et le bio
« La vigne se prépare en la travaillant, de manière précise et réglée », pose Henri Ramonteu, qui reconnaît être un "maniaque" de la conduite de son vignoble d’altitude. Celui-ci se démarque surtout par un recours généralisé au palissage manuel. « C’est un luxe que l’on s’offre, nous n’avons pas de fil releveur », explique le vigneron. « Le petit manseng est un cépage touffu, qui pousse vite et se trouve exposé au vent du printemps. Chaque tige est agrafée à la main pour équilibrer la vigne. » Des rubans orientent ainsi chacun des rameaux. Deux sessions de pose ont lieu, en mai et juin, ce qui représente un investissement conséquent pour le domaine.
Mais l’expérience a validé l’intérêt de cette pratique. Ce qui n’a pas été le cas des vendanges en vert. « Nous n’en faisons plus, ça ne donnait pas de meilleurs vins que maintenant », tranche Henri Ramonteu. Face aux nouvelles pratiques – qu’elles passent pour innovantes ou folkloriques – son leitmotiv reste simplement : « Il faut voir ». Une ouverture qui le pousse également à piocher sans s’engager dans la bio. « On en est proche avec la fumure organique, le chaulage au magnésium, l’apport de bore, l’enherbement naturel, le zéro insecticide et la protection bio contre l’oïdium. Mais ce n’est pas notre philosophie pour la gestion du mildiou. Quand j’ai mal à la tête, je ne crois pas qu’une aspirine me fasse plus de mal… », explique-t-il, pince-sans-rire.
S’il se plaît à titiller les nombreux vignerons bio de Jurançon, il n’est pas fermé aux conduites alternatives et prompt à les essayer – tant qu’elles lui paraissent intelligibles – voyant dans l’intuition une meilleure source d’innovation que le savoir conventionnel. Il compte ainsi s’essayer prochainement à des essais de dynamisation. « Le problème de la biodynamie, c’est que l’on ne comprend pas tout et que l’on dépend d’un «gourou» dont les aptitudes agronomiques sont loin d’être avérées », souligne le vigneron. Lui-même ne se reconnaît que deux maîtres à penser: ces deux œnologues bordelais sont le regretté Émile Peynaud, pour son ouvrage Connaissance et travail du vin (première édition de 1975), et Denis Dubourdieu, pour la macération pelliculaire à froid.
À la vigne comme au chai, Henri Ramonteu souhaite s’inscrire dans la recherche de l’aromatique variétale et du potentiel de garde. « Dans le verre, il faut séduire, pas impressionner », conclut le Béarnais, chantre de la « buvabilité ».
Le domaine Cauhapé en chiffres clés
En 2015, Henri Ramonteu a fait commencer ses vendanges le 8 septembre (pour camaret et lauzet). Elles se sont finies ce 3 décembre (pour le petit Manseng). S’étendant sur 44 hectares du piémont pyrénéen, la propriété est particulièrement morcelée, avec 25 parcelles d’altitude. Sa production annuelle est de 200 000 cols, en AOC Jurançon. Ses bouteilles sont majoritairement commercialisées en France (50 % dans le circuit traditionnel, 25 % aux particuliers et quelques pourcents en grande distribution), le reste allant à l’export (Belgique, Hollande, Québec…).