Deux livres cette semaine, a priori diamétralement opposés. Le premier est un ouvrage professionnel d’économie stratégique, le second un album illustré. Le lecteur averti y reconnaîtra néanmoins un socle commun : le vin se porte bien en France, l’un illustrant l’autre.
Entreprendre dans le vin - Martin Cubertafond - Ed Eyrolles - 289p, 35
A qui douterait de la bonne santé du vin en France, on conseillera vivement la lecture de l’ouvrage de Martin Cubertafond, consultant en stratégie et maître de conférences à Sciences-Po Paris. Cet ouvrage est le produit de quelque huit années de cours de stratégie de l’entreprise donnés à Sciences-Po. Et ce n’est pas la moindre des surprises de découvrir que le marché mondial du vin en ait été l’ossature. Le vin, un modèle stratégique pour les entreprises de l’Hexagone ? Eh bien oui ! Pour s’en convaincre, il suffit de s’égarer dans les nombreux exemples que nous livre l’auteur pour illustrer sa thèse : le succès de la marque de cosmétiques Caudalie, fondée sur les propriétés des polyphénols des pépins de de raisins, le pari qu’a su tirer le vignoble de Cahors de la mondialisation pour réconcilier le consommateur avec son cépage, le malbec, ou bien encore la carte du restaurant Noma à Copenhague dont vingt-six des trente-sept pages sont consacrées aux vins français, tous « représentants de la nouvelle génération ». Il observe surtout que « le succès colossal des entreprises vinicoles françaises est assez atypique dans le paysage économique français ». Et probablement là réside la leçon : « Il s’est construit par le bas, grâce au travail continu de milliers d’entreprises de petite taille, très dynamiques et concentrées sur l’innovation et l’export ». Martin Cubertafond pousse encore plus loin le bouchon : « La filière n’a pas bénéficié d’encouragements de la part des pouvoirs publics ; au contraire, elle évolue dans un cadre légal extrêmement strict, qui crée un environnement d’insécurité juridique pour tous les aspects de la gestion liés à la communication et à la promotion ». L’exemple n’est d’ailleurs pas que français. A l’exact opposé des autres marchés qui marchent inexorablement vers la concentration, le poids des marque reste très faible dans le marché mondial du vin. « La première marque (Franzia de Wine Group, Etats-Unis) ne vend que 23 millions de caisses, soit 276 millions de bouteilles, ce qui représente moins de 1% du marché mondial ». Cet état des lieux resterait superficiel si Martin Cubertafond n’était allé puiser les ressorts du succès dans la « micro » économie. La troisième partie de l’ouvrage est ainsi consacrée aux équations internes : l’importance des rendements, les conséquences d’une conversion bio, « une tendance de fond légitime », les « modèles légers en actifs » pour l’approvisionnement, la vinification et le stockage. L’auteur montre comment la filière, capitalistique s’il en est, a su inventer des modèles alternatifs. En résumé et pour conclure, c’est un ouvrage à placer entre les mains de tout étudiant de la filière viti-oeno, et à tout acteur tenté de céder au pessimisme.
Mimi, Fifi & Glouglou - Dégustateurs de combat - Michel Tolmer - Les éditions de l’épure - 22€
Il y a deux ans, le dessinateur Michel Tolmer nous gratifiait d’un réjouissant album illustré dans lequel nous pouvions suivre les aventures de trois archétypes de la nouvelle génération des amateurs de vin, Mimi, Fifi et Glouglou. Mimi, Fifi et Glouglou étaient eux-mêmes les héritiers du personnage d’une affiche devenue le porte-étendard des bars à vins et des cavistes, « Epaulé-Jeté ». Un homme à la posture d’un haltérophile épaule un verre, puis se le jette … dans le gosier. Il n’est pas anodin que ce trait ait pris naissance autour de la table d’un couple de vignerons de la Loire, Catherine et Pierre Breton, au temps presque reculé où les Français étaient fâchés avec leur boisson. D’où le surtitre de l’affiche : « Apprenez le geste qui sauve les vignerons ». Depuis, la dégustation est devenue un art. Nous retrouvons donc dans ce tome 2 les aventures affectueusement dérisoires de Mimi, Fifi et Glouglou, gratifiés de la mention « dégustateurs de combat ». Michel Tolmer, dont on devine qu’il observe toujours avec acuité les moeurs du coin de la table, y glisse trois nouveaux archétypes, les consommatrices de sexe féminin. Elles se prénomment Mimie, Fifie et Louloute, et viennent un peu semer le désordre, encore que finalement rien ne les diffèrent vraiment de leurs congénères masculins : « Pff, encore une dégustation à l’aveugle. Ras le bol », « c’est vraiment un truc de mec, ça leur permet de briller, enfin de temps en temps ». En deux ans, les mœurs de Mimi, Fifi et Glouglou ont évolué. Les compères ne se contentent plus de refaire le monde un verre à la main, ils s’en vont à la rencontre du terroir et des vignerons qu’ils visitent religieusement le week-end, et participent de ces actes de communion que sont aussi les salons, de plus en plus nombreux. Désopilant. On peut aussi lire l’album de Michel Tolmer comme une divertissante et intéressante illustration de la thèse du prof de Sciences Po. Oui, décidément, le vin se porte bien en France.