a part des vins importés en vrac par les Etats-Unis est passée de moins de 5% en 2002 à plus de 30% en 2012. Certes, la France ne figure pas dans le trio de tête des pays fournisseurs – composé de l’Argentine, de l’Australie et du Chili – mais elle intervient de manière significative sur un marché estimé en 2012 à plus de 3,5 millions d’hectolitres. Avec une récolte californienne potentiellement en baisse de 30% cette année par rapport à l’année dernière et un euro faible contre le dollar, les wineries américaines se tourneront-elles vers l’Europe pour alimenter un marché qui ne cesse de progresser ? Steve Fredricks, président de Turrentine Brokerage en Californie, livre son analyse sur le marché du vrac aux Etats-Unis.
Une récolte finalement inférieure aux prévisionsEstimée à la mi-août à 4 millions de tonnes (+3%/2014), la récolte californienne pourrait finalement s’inscrire sensiblement en retrait – jusqu’à -30% – par rapport à l’année dernière. « Ce n’est pas vraiment surprenant », affirme le courtier américain. « Au cours des trois dernières années, les conditions météorologiques ont été excellentes au printemps, avec des précipitations à point nommé. Cette année, il a fait frais au printemps et plus chaud durant l’été que les autres années ». Ce qui ne nuit en rien à la qualité du millésime 2015, ajoute-t-il. Loin d’être une déception pour les producteurs californiens, la production cette année est globalement bien accueillie par la filière : « Il est indéniable que le volume récolté cette année permettra d’équilibrer un peu les stocks. Certaines wineries dont les marques progressent et ont besoin d’augmenter leurs approvisionnements seront pénalisées, mais dans l’ensemble les professionnels sont plutôt contents ».
Le cabernet et le pinot très recherchésInsistant sur le fait que l’équilibre du marché repose davantage sur la réalité perçue par la filière – sur la manière dont elle appréhende sa capacité à vendre des volumes supplémentaires – que sur des données chiffrées, Steve Fredricks affirme que la demande de vins en vrac se concentre sur des marques vendues à 10$ et plus. « La demande en faveur de cabernet et de pinot d’un bon niveau qualitatif a progressé durant l’été, au fur et à mesure que l’on s’est rendu compte que les volumes seraient en deçà des prévisions initiales. En dehors de ces deux cépages, notamment des vins provenant des régions côtières, le rythme des transactions a été plutôt faible au cours des deux premiers trimestres de l’année ». Une série de récoltes abondantes a fini, en effet, par modifier le comportement des acheteurs. « Après la récolte 2014 et jusqu’en juin de cette année, les acheteurs ont commencé à acheter des quantités plus faibles, mais plus souvent. Ce comportement s’est renforcé à la lecture des premières prévisions de récolte et au vu du niveau des stocks ».
Demande toujours aussi soutenue pour les assemblages rougesA contrario, les estimations actuelles poussent les acheteurs à planifier leurs approvisionnements pour 2016 dès maintenant. « Nous voyons déjà les dialogues s’amorcer. Les acheteurs vont s’intéresser plus rapidement au marché du vrac qu’au cours des deux dernières années. Néanmoins, chaque segment a ses spécificités. Il est impossible de généraliser ». Outre le cabernet et le pinot, tout cépage destiné aux assemblages en rouge – toujours aussi prisés par les consommateurs américains – suscite l’intérêt des acheteurs. Sont ainsi concernés le merlot, le zinfandel, la syrah et la petite syrah par exemple, en fonction des marques et de leur positionnement prix. De là à suggérer que la récolte californienne pourrait être déficitaire sur certains cépages et ouvrir des perspectives aux exportateurs européens, il n’y a qu’un pas que Steve Fredricks ne franchit pas. « Je ne dirais pas que la Californie viendrait à manquer de certains cépages. Pour l’instant, seul le pinot grigio d’entrée de gamme provoque de véritables discussions ».
L'Europe manque de compétitivitéEn revanche, on pourrait s’imaginer que la faiblesse de l’euro contre le dollar incite les acheteurs américains à s’orienter davantage vers les fournisseurs européens que vers leurs homologues australiens, sud-américains et autres sud-africains. « Il est trop tôt pour le dire avec certitude », tempère le courtier américain. « Les cours en Europe sont généralement d’un niveau tel qu’ils pourraient ne pas être compétitifs malgré l’euro faible. Nous pourrions avoir besoin de vins d’entrée de gamme. Mais, si je prends l’exemple de la France, elle n’est pas vraiment présente sur ce segment, elle ne produit pas la qualité et le style de vins dont nous avons besoin au positionnement prix adéquat. L’Espagne, elle, est en mesure de fournir certains vins qui correspondent à cette catégorie. De façon plus générale, le défi auquel nous devons tous faire face actuellement réside dans la stagnation des ventes de vins d’entrée de gamme. A ce niveau-là, le marché américain est tout aussi concurrentiel que d’autres marchés ». Et le courtier d’insister, par ailleurs, sur la capacité de la filière californienne à répondre à une demande actuellement soutenue de vins positionnés entre 12 et 15$ : « Nous n’aurons aucune difficulté à l’avenir à assurer les approvisionnements de cette catégorie ».
Le vignoble pourrait diminuer mais pas la productionUne série de récoltes productives et des ressources en eau qui s’amenuisent indéniablement, soulèvent, néanmoins, des interrogations quant à l’évolution de la production californienne au cours des années à venir. Les déclarations d’arrachages et de plantations étant facultatives, il est difficile de connaître l’évolution réelle des superficies. Malgré cela, Steve Fredricks estime que « la superficie nette du vignoble va probablement diminuer, ce qui n’implique pas pour autant une régression de la production. Des vignes seront arrachées dans des zones où l’approvisionnement en eau pose problème ou bien les cépages plantés ne correspondent pas à la demande actuelle. Dans ce cas-là, les producteurs seront sans doute attirés par d’autres cultures, comme les amandes, dont le retour sur investissement est bien meilleur à l’heure actuelle. Une partie des approvisionnements volumiques s’est déplacée vers le nord et la production a été modifiée pour répondre à la premiumisation du marché. Par ailleurs, les producteurs disposent désormais de connaissances approfondies sur les meilleures formules en matière de densité de plantation, de porte-greffe, de clone et de modes de palissage, leur permettant d’augmenter leur production tout en maintenant des superficies stables voire en diminution ».
L'embouteillage sur le lieu de consommation n'est pas à l'ordre du jourPour ce qui est des ressources hydriques, Steve Fredricks reste optimiste : « La question de l’eau est mondiale. Certes, nous avons sans doute encore beaucoup de chemin à parcourir avant de mettre en place des stratégies efficaces de gestion de l’eau à long terme, donc la problématique ne disparaîtra pas d’aussitôt. Mais, nous avons déjà diminué sensiblement notre consommation. Si on prend l’exemple de l’Australie, elle a appris à réduire son utilisation d’eau tout en maintenant son potentiel de production ». Toujours sur le plan environnemental, le courtier américain rejette l’hypothèse selon laquelle les Etats-Unis pourraient emboîter le pas à d’autres marchés en matière de mise en bouteille sur le lieu de consommation. « Une grande partie du vin consommé aux Etats-Unis se vend à des prix plus élevés que dans bon nombre de pays européens. Nos importations se concentrent pour beaucoup sur des vins de terroirs qualitatifs qui ne se prêtent pas à la mise en bouteille hors zone de production. Enfin, la nature même des Etats-Unis – composés de 50 marchés différents avec des réglementations et systèmes de distribution distincts – n’est pas propice à l’importation massive de vins en vrac pour être embouteillés sur place ».
Une guerre des prix se profile à l'horizonSon analyse de l’évolution du marché américain dans son ensemble est plus positive : « Le marché du vrac sera actif cette année et je pense que, d’ici les fêtes de fin d’année, les consommateurs récolteront les fruits d’un niveau de stocks important. Nous allons probablement assister à une concurrence accrue sur les linéaires au cours du dernier trimestre de cette année, sachant que chaque maillon de la chaîne œuvre en faveur d’une montée en gamme. Au final, le consommateur en sortira gagnant. Si on lui propose de bons vins à des prix compétitifs, il aura plus de chances de rester consommateur de vin, au détriment d’autres catégories de boissons ».