L'Atelier paysan » est le nom donné à une « coopérative d'auto-construction » créée en 2011 et installée dans l'Isère, la première du genre. Son concept : aider les agriculteurs bio à inventer et à mettre eux-mêmes au point des agroéquipements adaptés à leurs pratiques culturales. Des viticulteurs bio de l'appellation Saint-Joseph, ont réussi, grâce à l'appui de cette structure, a mettre au point un nouvel outil de désherbage et de travail du sol pour les vignes en pente : le « Dahu ». Explications du concept et témoignage d'un viticulteur qui a pu profiter de ses services.
[crédit photo: l'Atelier paysan]
Le concept de l'Atelier paysan : « l'auto-construction pour valoriser les inventions fermières »L'Atelier Paysan, une structure qui a le statut de « Société coopérative d'intérêt collectif » (SCIC), intervient de deux façons. La première sous forme de « R&D participative », en mettant à disposition des moyens – humains, techniques, matériels – pour accompagner des agriculteurs dans la mise au point de leur outil. « Nous partons de la demande des agriculteurs : ils sont acteurs des choix techniques et sont à la source de l'innovation », insiste Julien Reynier, chargé de développement.
A partir d'un cahier des charges précis, l'objectif est donc d'aboutir à la mise au point d'un outil « qui n'existe pas dans le commerce ». Ces travaux de recherche et développement peuvent aussi prendre la forme de veille technologique : la coopérative opère de la «traque d'informations sur des initiatives individuelles ou collectives », en se rendant sur les fermes, ou à partir du forum internet du site de la coopérative.
Le second volet d'intervention de l'Atelier paysan consiste également à rendre accessible « au plus grand nombre et en libre-accès » les méthodes de conception des outils nouvellement créés ou découverts. Au préalable, un travail d'ingénierie est assuré sur la machine, avec des documents didactiques et des plans de construction élaborés, afin de les rendre reproductibles. La coopérative organise par ailleurs des formations pour auto-construire son propre équipement. « En une semaine de stage, les agriculteurs apprennent à travailler les métaux, percer, .... L'objectif est qu'ils repartent avec leur propre matériel auto-construit. Et les commandes groupées de matériaux leur permettent de réduire encore plus le coût du matériel !», ajoute celui-ci.
En termes de moyens humains, neuf salariés composent désormais la structure, dont quatre « ingénieurs formateurs ». Côté matériel, la structure coopérative a investi dans trois « camions-ateliers », qui lui permettent de proposer partout en France ses accompagnements à la conception de nouveaux matériels et ses formations à l'auto-construction/réparation. Le forum du site internet enfin, permet la mise en réseau des agriculteurs entre eux, pour favoriser les échanges. « Nous sommes un réseau d'entraide qui met en lien les producteurs entre eux, par le savoir et le savoir-faire », résume le chargé de développement.
« Ce que l'on développe appartient à tout le monde, conclut celui-ci. Car l'objectif de la coopérative reste avant tout l'appropriation et la mutualisation des savoirs... Nous capitalisons l'innovation paysanne et la démocratison au plus grand nombre ».
Un exemple de réalisation en viticulture : la mise au point d'un nouvel outil de désherbage sous le rang, le « Dahu »Une poignée de viticulteurs bio – sept au total - situés en appellation Saint-Joseph (Ardèche), ont initié en 2014 une démarche d'auto-construction d'un outil de travail du sol sous le rang adapté aux parcelles en coteaux. Devant travailler leurs sols en pente, ils étaient confrontés au problème du devers important de terre, à chaque passage de leur outil. Pour les aider dans la mise au point de leur projet, ils se sont attachés les services de l'Atelier paysan. « Nous avons été suivis par un ingénieur mécanique très compétent, témoigne Samuel Monnier, l'un des viticulteurs du groupe. Nous lui avons donné nos contraintes, puis il nous a proposé plusieurs modèles, très performants ».
Après plusieurs jours de tests, de mises au point, d'échanges et de bricolages, un prototype a pu voir le jour. Le « Dahu » était né. « Une bonne partie l'a essayé et a été très contente des résultats », commente le professionnel. L'ingénieur a de son côté élaboré les plans et chacun a pu ensuite « auto-construire » son outil, « avec ses propres réglages, notamment par rapport à la profondeur du sol ». « Cela a représenté environ un mois de travail, l'hiver dernier », estime celui-ci.
Le Dahu, présenté pour la première fois au salon Tech & Bio 2015, permet le travail du sol, le désherbage mécanique sous le rang de vigne, à raison de deux demi-rangs par passage, mais surtout, objectif de départ, le remontage de la terre en amont au fur et à mesure de son avancée. Pour ce faire, deux disques ont été installés de chaque côté de l'outil, « ce qui n'existait pas sur le marché ». Adapté à des vignes « adultes » d'un écartement allant de 1,80 à 2,50 mètres, l'outil peut servir sur des pentes allant jusqu'à « environ 10% », selon le viticulteur.
« Sans l'Atelier paysan, je ne pense pas que l'on aurait pu mettre au point un tel outil, conclut Samuel Monnier. C'est grâce à ce type d'appareils que l'agriculture biologique va pouvoir se développer »... Un matériel et une démarche qui risquent fort de faire des émules : des viticulteurs du Diois et de Savoie se sont déjà montrés intéressés pour en construire un similaire. « En 2016, il y aura peut-être une formation pour en construire un supplémentaire, afin de le rendre utilisable dans d'autres régions », ajoute Julien Reynier, de l'Atelier Paysan. Dans le Jura, un autre viticulteur, qui a réussi à mettre au point un semoir à engrais vert « à semis direct », souhaite en faire profiter d'autres. Une formation à son auto-construction est prévue en janvier 2016.
[crédit photo: l'Atelier paysan]