on économie a beau avoir repris des couleurs, le marché britannique des vins n’est pas pour autant florissant. Selon les derniers chiffres présentés cette semaine par la Wine & Spirit Association lors de son congrès annuel, les ventes de vins tranquilles sont en baisse de 2% en volume sur douze mois, qu’il s’agisse de la consommation à domicile ou du secteur CHR, et les perspectives à long terme ne sont guère plus favorables.
Le Champagne progresse en CHRCe tableau général peu réjouissant masque bien sûr des disparités selon les catégories et les pays fournisseurs. Les effervescents continuent d’afficher une croissance insolente, à la fois dans le « off-trade » (+26% en volume) et le « on-trade » (+29%/vol) sur douze mois, une accélération de cette croissance se manifestant au dernier trimestre dans le secteur CHR (+59%/vol). Malheureusement, pour la consommation à domicile, le Champagne ne profite pas de cette tendance avec une stagnation de ses ventes pendant les douze mois se terminant au 20 juin 2015, et une baisse de 2% au dernier trimestre, même si les valeurs montrent une légère progression. En revanche, les Britanniques ont acheté plus de Champagne hors domicile, les ventes ayant augmenté de 4% en volume sur douze mois pour une hausse de 17% en valeur, le prix au litre ayant bondi de 13% pour atteindre 76,11 £. Inversement, les vins tranquilles continuent d’être à la traîne.
Les rosés perdent leur cote de popularitéEn termes de couleurs, la WSTA note une poursuite de la baisse des vins rouges mais à un rythme moindre que l’an dernier : l’évolution pour les ventes à emporter passe de -4% en 2014 à -1% en 2015. « La progression des vins issus de merlot, shiraz et tempranillo, en particulier, a permis de stabiliser les ventes », souligne l’Association. En revanche, dans le circuit CHR, les rouges ont poursuivi une tendance à la baisse plus significative (-4%) à cause de la régression continue des quatre principaux cépages, seul le pinot noir résistant à la tendance générale avec +11% sur un an jusqu’au 11 juillet 2015. Le marché des blancs est également orienté à la baisse, en volume et en valeur, pour la consommation à domicile. « Les cépages les plus recherchés affichent une croissance soutenue mais une baisse sensible des ventes de Soave et de Bourgogne plombe la catégorie ». Dans le secteur CHR, le succès continu des pinot grigio et sauvignon blanc a permis de stabiliser les ventes. Enfin, tendance étonnante, les ventes de rosé déclinent sur le marché britannique, à la fois dans le circuit CHR et pour les ventes à emporter. Dans ce dernier cas, ils perdent environ 4% en volume et en valeur que ce soit sur l’année ou les trois derniers mois.
La France profite des effets de la crise dans le CHRPour ce qui est des pays fournisseurs, les Britanniques affichent toujours le même engouement en faveur des pays du Nouveau Monde, Argentine en tête (+33% sur 12 mois), pour la consommation à domicile. L’Espagne (-1% en volume), l’Italie (-6%/vol), la France (-11%/vol) et l’Allemagne (-14%/vol) ont accusé des baisses sensibles en volume et en valeur cette année, avec même une accélération du taux de baisse. En revanche, la France tire bien son épingle du jeu dans le secteur CHR, notamment en valeur (+7%). A cela, une explication majeure, affirme Alex Linsley, responsable des études de marché chez Bibendum PLB Group. « Un revenu disponible limité conjugué à une plus grande transparence poussent les consommateurs de plus en plus à vouloir minimiser les risques. Ils ne veulent pas qu’un mauvais choix de vin gâche une grande occasion. Ainsi, si la France perd des points dans le secteur des ventes à emporter, ses performances en CHR dépassent celles du marché avec une progression des valeurs, notamment dans la catégorie des plus de 20£… Si vous êtes un consommateur prudent, la notoriété des grandes régions vinicoles situées dans les pays producteurs ayant pignon sur rue les transforme en valeurs sûres, ce qui justifie un niveau de dépenses plus élevé ». Paradoxalement, ce besoin d’être rassuré n’exclut pas une ouverture à la découverte, certains vins de notoriété relativement faible – comme le Gavi italien ou les cépages grüner veltliner ou godello – parvenant à séduire le public britannique.
Polarisation de la demandeAutre paradoxe : si les consommateurs anglais sont rassurés par les noms des grandes régions vinicoles, ils avouent être très peu fidèles aux marques, notamment dans le domaine des vins – les spiritueux s’en sortent mieux. Un sondage réalisé par YouGov pour la WSTA montre que 79% des consommateurs de vins changent régulièrement de marque. Leur fidélité à tel ou tel vin s’explique plutôt par son prix et son rapport qualité-prix. Ils sont bien servis actuellement, une guerre des prix étant déclarée entre les discounters et les grandes enseignes de supermarché, phénomène qui se reflète dans les évolutions par tranche de prix. Ainsi, les vins vendus à moins de 3£ ont bondi de 130% en volume tandis que le cœur de marché – les 4-5£ et 5-6£ - fléchissent de 3% sur les douze mois glissants clos au 20 juin 2015 ; au dernier trimestre, la catégorie des 5-6£ perd même 11%. A contrario, les vins commercialisés à 6£ et plus progressent globalement bien, à la fois sur les douze mois et le dernier trimestre. Seuls les Etats-Unis et la France parviennent dans ce contexte à faire progresser le prix moyen de la bouteille qui s’établit respectivement à 5,44£ et à 6,48£. Notons que, exception faite de la Nouvelle-Zélande (7,32£), la France est le pays le mieux positionné en termes de valorisation à la bouteille.
Casser les codes devient indispensable
A plus long terme, les analystes restent sceptiques sur la capacité du marché britannique à évoluer favorablement. Selon une étude IWSR pour Vinexpo, la reprise devrait intervenir très progressivement jusqu’en 2020. En 2018, The IWSR prévoit une consommation de 128,71 millions de caisses contre 122,2 millions en 2014. Euromonitor est plus optimiste et prédit des ventes de vins de l’ordre de 13 millions d’hectolitres d’ici 2019, avec cependant des tendances variables selon les catégories : si les effervescents, les « vins » à base de fruits et le porto devraient évoluer favorablement, les vins rouges et rosés tranquilles verraient leurs volumes régresser. L’analyste Spiros Malandrakis, responsable du secteur des boissons alcooliques chez Euromonitor, estime, en revanche, que les fournisseurs devront faire preuve de créativité pour contrecarrer la montée en puissance d’autres catégories comme les bières artisanales. Citant la popularité croissante des boissons à base de vins, il affirme que les vins aromatisés « brisent des tabous vieux de plusieurs siècles » et que « les rituels en matière de service et de consommation sont en train d’être réévalués, tandis que les segments de niche deviennent les protagonistes du marché au fur et à mesure que les consommateurs recherchent la tradition, l’originalité et l’exotisme, dans les mêmes proportions…Il est devenu indispensable de casser les codes, et cela depuis trop longtemps déjà ».