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Afrique : le vin se développera plus rapidement si les entreprises s'y investissent
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Afrique : le vin se développera plus rapidement si les entreprises s'y investissent

Par Sharon Nagel Le 14 septembre 2015
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Afrique : le vin se développera plus rapidement si les entreprises s'y investissent
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'Afrique remplace-t-elle la Chine ? Depuis la mise en place d’une politique d’austérité en 2013, puis ses récents déboires économiques, la Chine a pu laisser dubitatifs, pour ne pas dire inquiets, un certain nombre d’exportateurs internationaux. Faut-il en déduire que ces derniers partent à la conquête d’autres marchés, dont ceux de l’Afrique ? Le lien entre la Chine et l’Afrique n’est peut-être pas si évident, comme l’explique Daniel Mettyear, analyste auprès du cabinet britannique The IWSR.

Le secteur international du vin s’intéresse-t-il actuellement au marché africain ?

Globalement, la stagnation du marché du vin sur des marchés matures a incité les entreprises à chercher des relais de croissance ailleurs. Ce phénomène se produit à un moment où l’Afrique progresse et commence à se structurer. Le contexte commercial reste compliqué, et bien plus difficile que dans d’autres régions du monde, mais il s’est nettement amélioré. Par ailleurs, les entreprises sont désormais rompues aux exigences des marchés émergents, ayant fait leurs armes en Inde, en Asie et en Amérique latine, par exemple. Les opportunités en Afrique se concrétiseront sur le plus long terme que sur d’autres marchés émergents.

 

La panne économique chinoise pousse-t-elle davantage d’entreprises vinicoles à s’aventurer en Afrique ?

Je pense qu’il faut envisager le ralentissement de l’économie chinoise sous un autre angle. La Chine a fortement impulsé la croissance économique en Afrique au cours des dernières années. Le niveau des investissements chinois en Afrique est bien connu, de même que la demande chinoise en matières premières, elle aussi génératrice de croissance. Il reste désormais à savoir si l’Afrique connaîtra à son tour des difficultés économiques à cause de la panne chinoise.

Quels pays fournisseurs s’intéressent de très près à l’Afrique actuellement ?

Les Sud-Africains se rendent compte que le marché africain leur offre d’énormes opportunités, qu’ils n’ont pas encore exploitées. Ils sont très performants dans certains pays, notamment en Afrique de l’Est, et dans une certaine mesure en Angola, mais globalement ils sont à la traîne. Beaucoup de grosses entreprises sud-africaines, à l’instar de Distell, commencent à se focaliser sur l’Afrique, de même que de petites structures qui ont déjà engrangé de belles performances en Afrique du Sud. Cela, à une période où leurs marchés traditionnels que sont le Royaume-Uni et la Scandinavie, par exemple, commencent à s’essouffler et manquer de rentabilité.

Les producteurs espagnols s’intéressent à l’Afrique de longue date, notamment dans l’entrée de gamme. La France y est présente depuis longtemps aussi. Le Chili, plus particulièrement Concha y Toro, veut visiblement investir davantage en Afrique, mais cela reste à petite échelle. D’ailleurs, bien souvent, ce sont des entreprises individuelles qui s’attaquent au marché : des groupes comme Gallo et Constellation, par exemple, ont intensifié leurs investissements de manière significative, une politique qui a porté ses fruits, notamment en Afrique de l’Ouest. La quasi-totalité des gains enregistrés par les USA ces dernières années [Ndlr : +80% entre 2010 et 2014] portent sur le Nigeria et sur les efforts consentis par Gallo, et dans une moindre mesure Constellation. Ils ont été particulièrement pertinents en matière de positionnement prix, d’image de marque et d’offre en vins effervescents. 

Ces entreprises exportent-elles des vins conditionnés ou mettent-elles en bouteille sur place ?

La plupart d’entre elles expédient des vins conditionnés. Il faut savoir qu’une part importante des vins consommés en Afrique sont commercialisés en Tetra Pak® ou dans des bouteilles de type carafe. Parfois les vins sont expédiés en vrac et étiquetés « vin africain ». Seule exception : en Angola, beaucoup de vins sont mis en bouteilles sur place grâce à la présence d’acteurs importants comme Sogrape. Certaines entreprises françaises sont impliquées dans la mise en bouteille – je pense que c’est le cas de Castel – mais tout le monde n’a pas cette possibilité à l’heure actuelle.

Les trois-quarts de la consommation de vin sont assurés par l’Afrique centrale et occidentale. A priori, il existe aussi un beau potentiel en Afrique de l’Est. Quels pays faudrait-il cibler prioritairement ?

Le potentiel de l’Afrique de l’Est s’explique par le faible niveau actuel de la consommation. Dans l’Ouest et d’autres zones, la consommation de vin est déjà assez répandue parmi la population locale. Dans l’Est, elle repose essentiellement sur le tourisme. Ainsi, en exposant les consommateurs locaux à une toute nouvelle catégorie, le potentiel est très important. La catégorie vin bénéficie d’une très belle image et dans des pays comme le Kenya, où l’économie est plus solide qu’ailleurs et où les spiritueux et la bière sont déjà bien implantés, il existe un créneau important pour le vin. Idem en Tanzanie. Le tourisme permet de pénétrer un marché mais ne suffit pas pour assurer une présence à long terme ; l’étape suivante consiste à établir des liens avec la population locale. Dans un pays comme l’Ethiopie, certes la pauvreté et les restrictions gouvernementales représentent un frein au développement du vin, mais beaucoup d’Ethiopiens sont habitués à boire du t’edj, une sorte d’hydromel, et la transition vers le vin s’en trouve ainsi facilitée. C’est sans doute pour cette raison que Castel a décidé d’y installer un vignoble. Enfin, à cette liste de pays, ajoutons le Mozambique, à la fois pour son économie très dynamique et pour une culture du vin plus développée ici que dans certains autres pays en raison de l’héritage portugais. Il en est de même en Angola.

Concrètement, comment les exportateurs peuvent-ils exploiter ce potentiel ?

Bien évidemment, le tourisme constitue la première étape – à travers les hôtels et les restaurants par exemple – mais la deuxième étape, bien plus importante, consiste à éduquer les consommateurs. Il faut rendre le vin accessible, y compris du point de vue du positionnement prix, tout en conservant l’aura dont il bénéficie. En Afrique de l’Est, il est considéré comme un produit de qualité. Une politique de marque, ici comme dans toute l’Afrique, est également indispensable. 

Est-ce schématiser que de parler du marché africain au singulier ?

Je pense, en effet, qu’il faut parler de chaque marché individuellement ou du moins des grandes régions. C’est pourquoi, à The IWSR, nous divisons l’Afrique en grandes zones. A l’intérieur de celles-ci, les influences linguistiques diffèrent – il y a les pays anglophones et francophones par exemple – ce qui entraîne des tendances distinctes. Ainsi, on peut établir des parallèles entre le Ghana et le Nigeria et peut-être entre la Côte d’Ivoire et le Cameroun, même s’ils n’ont pas de proximité géographique. Une seule caractéristique relie l’ensemble de l’Afrique : la prédominance du vin rouge. Les consommateurs n’ont aucune connaissance en matière de blancs ou de rosé. Bon nombre d’exportateurs ont fait l’erreur de traiter l’Afrique comme un seul et même pays, mettant en œuvre une politique globale pour tout le continent. Les entreprises qui ont réussi en Afrique sont celles qui ont mis en place une stratégie différenciée, pays par pays.   

La France a perdu 5% en volume entre 2013 et 2014. Comment l’expliquez-vous ?

Le vin espagnol est devenu très cher en 2013, puis ses prix sont redescendus. L’Afrique importe des vins en vrac pour les commercialiser en carafes ou en Tetra Pak®. La France a sans doute comblé un vide lorsque le prix des vins espagnols est monté en flèche. Ainsi, ses exportations vers l’Afrique ont été artificiellement gonflées à un moment donné. Entre 2010 et 2014, elles progressent de 5,4%. 

Quels sont les principaux gisements de croissance pour la France en Afrique ?

Les vins français bénéficient d’un potentiel de développement dans ses anciennes colonies, bien sûr, mais dans toute l’Afrique ils jouissent d’une très belle image. Même les consommateurs qui commencent tout juste à découvrir la catégorie, savent implicitement que la France se situe au premier rang sur le plan qualitatif. Le Champagne a fortement progressé car il incarne la réussite et bénéfice d’un positionnement plus unisexe que le whisky ou le Cognac, également des symboles sociaux puissants, notamment en Afrique de l’Ouest. Le vin effervescent commence désormais à se faire une belle place sur le marché africain, notamment au Nigeria. Il est perçu comme une alternative chic aux vins tranquilles, aux bières et à d’autres types de boissons. Les femmes, de plus en plus concernées par la consommation d’alcool, sont attirées par son côté unisexe, ce qui n’exclut en rien l’attrait des effervescents auprès des hommes. Il s’agit là d’une ouverture très importante du marché, notamment dans l’Ouest et en Angola, pour l’ensemble du secteur. D’ailleurs, The IWSR prévoit une augmentation de 6,10% des volumes d’effervescents consommés entre 2015 et 2020* contre 5,96% entre 2013 et 2014.

Comment les exportateurs peuvent-ils surmonter certaines problématiques telles que la congestion aux ports maritimes ?

La corruption, la bureaucratie et les infrastructures insuffisantes sont à l’origine de ces problèmes et ralentissent l’ensemble du processus de distribution. Certains bateaux restent à l’extérieur de ports comme Lagos et Port Harcourt pendant deux voire trois mois, ce qui perturbe la chaîne d’approvisionnement et la qualité du produit final de manière significative. Certains exportateurs, les plus créatifs et inventifs, contournent le problème en utilisant d’autres ports : le Bénin est devenu une porte d’entrée vers le Nigeria, les marchandises arrivant par bateau puis expédiées par la route vers Lagos. Certains pays comme l’Angola ont investi massivement dans les infrastructures ; ailleurs, il faut faire preuve de créativité ! 

Lors d’une conférence à Vinexpo en juin, vous avez conseillé aux exportateurs d’établir des liens durables avec les nouvelles classes moyennes. Comment y parvenir ? Par les réseaux sociaux ?

Il ne fait aucun doute que la croissance en Afrique est impulsée par les nouvelles classes moyennes. Elles ont de l’argent et veulent s’offrir des luxes abordables. Bon nombre de ces personnes sont jeunes, dynamiques et au courant des réseaux sociaux. Tout le monde n’a pas d’ordinateur à la maison ni de ligne de téléphone fixe, mais la technologie mobile est très développée en Afrique. La qualité du produit, son prestige et une image de marque claire constituent les bases d’une communication efficace en direction de cette population. N’oublions pas, non plus, en l’absence d’internet et de la télévision, l’importance de la radio en Afrique. Il s’agit d’un moyen de communication essentiel. Enfin, la disponibilité du produit est tout aussi cruciale. En Afrique, plus que dans d’autres régions du monde, les consommateurs s’orientent très vite vers d’autres produits. 

Quelles sont les prévisions de développement de la consommation en Afrique ?

Les perspectives dans l’immédiat ne sont pas brillantes. Le marché a montré des signes de ralentissement et des changements importants sont intervenus dans des pays clés comme le Nigeria, touché par les prix du pétrole et des tensions gouvernementales. Ces phénomènes influent forcément sur la consommation de vin. Si les perspectives à très court terme ne sont pas glorieuses, elles ne sont pas pour autant désastreuses et, à long terme, le marché du vin va progresser sur l’ensemble du continent. The IWSR prévoit une progression en volume de 3,5% entre 2015 et 2020* contre 3,24% entre 2013 et 2014, cela pour les vins tranquilles. 

Enfin, quels facteurs auront le plus d’influence sur la consommation de vin en Afrique à l’avenir ?

Toutes les prévisions démographiques sont très positives pour le secteur des boissons alcooliques dans son ensemble. Bien évidemment, la croissance économique et le développement des infrastructures dans chaque pays seront primordiaux, tout comme la sensibilisation des futurs consommateurs aux vins. Cela dépend en grande partie de la volonté des entreprises d’investir en Afrique. Lorsqu’elles s’y investiront vraiment et qu’elles y ouvriront des bureaux comme le font les fabricants de spiritueux, l’impact sur la consommation de vin se fera sentir. Si elles s’y intéressent de loin, les Africains continueront à privilégier des produits d’entrée de gamme et on verra toujours une polarisation de la demande entre, d’un côté les Champagnes de haut de gamme, et de l’autre, une vaste majorité de vins d’entrée de gamme encore conditionnés en Tetra Pak®. En revanche, si elles communiquent auprès d’un public plus large, les consommateurs monteront en gamme. Ainsi, la croissance économique devrait impulser systématiquement le développement du vin, mais son rythme de croissance dépendra de la volonté des entreprises de pénétrer le marché, de le comprendre et de mieux mettre en avant leurs produits.

 

* Ndlr : Ces chiffres sont provisoires, en attendant la publication officielle des prévisions de The IWSR le 21 septembre

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