'attendant même plus d'arriver au bureau, le vigneron de 2025 voit dès son réveil l'ensemble du programme de sa journée sur sa tablette : chantier viticole à organiser selon la météo (irrigation, traitements...), sélection des vins en cours d'élevage à contrôler, bons de commande et offres commerciales générées directement à partir des mails de clients, relance des contacts récoltés lors d'un dernier salon, point prévisionnel sur la comptabilité matière... Il n'y manque même pas les horaires scolaires des enfants ! Grâce au traitement de l'ensemble des informations du domaine (le big data), adieu agendas, post-it et autres tableurs artisanaux. Il enfile sa combinaison intelligente, dotée de capteurs capables de mesurer son rythme cardiaque, son taux de déshydratation et surtout son exposition aux produits dangereux...
Quelles sont les technologies qui risquent de changer le monde du vin de demain ? Vitisphere en a sélectionné six.
N.B. Cet article est la version longue de celui présenté dans l'annuaire 2015 de Vitisphere.
Imprimantes 3D : le fait maison va gagner du terrainLes imprimantes 3D permettent la fabrication de petits objets en plastique, bioplastique, nylon, polymère, mais aussi, pour les plus perfectionnées et les plus coûteuses, en métal. A partir de bobines de filaments, d'un plan en 3D et d’un logiciel, ces nouvelles machines permettent la fabrication de pièces en seulement quelques heures, contre plusieurs jours à l’heure actuelle pour une fabrication en usine. Encore utilisées de façon anecdotique, elles devraient vraisemblablement connaître un très fort développement dans les années à venir. « Elles mettront du temps à devenir accessibles, mais les possibilités sont énormes », témoigne Franck Liguori, PDG de eMotion Tech, une entreprise toulousaine qui produit des imprimantes 3D à but pédagogique.
Le secteur de l'agriculture ne devrait pas échapper à cette tendance. « On peut imaginer que les centres R&D des constructeurs de matériels agricoles en soient équipés, ou encore des centres de réparations ou des concessionnaires, à qui le fabricant mettrait à disposition les plans, afin qu’il puisse lui-même fabriquer les pièces de rechange », projette le spécialiste. A la clé, des délais de fabrication beaucoup plus rapides et une durée d’immobilisation des machines en panne nettement raccourcie pour les agriculteurs. Pour le concessionnaire, plus besoin de stockage ni de gestion d’innombrables pièces de rechanges.
A titre privé, des modèles plus simples et accessibles d’imprimantes 3D servant à la fabrication d’objets en plastiques ou bioplastiques, pourraient équiper à terme les agriculteurs et viticulteurs. « Au lieu d’aller au magasin acheter des équipements, pourquoi ne pas envisager qu’ils se les fabriquent eux-mêmes, à partir des plans achetés auprès des fabricants : tuteurs, agrafes.... ? S’interroge Franck Liguori. Mais cela nécessitera une nouvelle façon de penser ?». Plus généralement, pour ce spécialiste, l'usage d’un tel matériel à titre privé sera plus particulièrement pertinent « là où on a besoin de faire du sur-mesure alors qu’il y a des pièces génériques ».
Des cépages résistants aux OGM nouvelle génération : l'inconnue de la réponse du marchéDurant les dix prochaines années, vont débarquer les cépages résistants aux maladies. Avec eux, la baisse de l'utilisation des intrants chimiques est quasiment actées. Mais pour Loïc Le Cunff, de l'Institut français de la vigne et du vin, UMT Géno-Vigne, il faudra attendre 2030 pour un bouleversement en profondeur. « Dans une quinzaine d'années, les projets que nous lançons actuellement aboutiront. Leurs objectifs sont de mettre au point des variétés qui répondront à certains critères de marché tout en étant résistants aux maladies ou adaptés au changement climatique » explique Loïc Le Cunff. Le projet Edgarr, en est un exemple. Il vise à mettre au point un cépage résistant présentant également une bonne extractabilité des anthocyanes, une acidité maîtrisée dans le cadre d'un réchauffement climatique. Ainsi, les futurs résistants seront d'abord imaginés en fonction du marché puis mis au point : le marketing de la demande poussé jusqu'à la création variétale !
Dans ce domaine, il ne faut pas oublier les OGM, mis à l'arrêt en France. La technique du « génome editing » qui consiste à remplacer un allèle précis par l'utilisation d'ARN messager, pourrait relancer le débat de l'acceptabilité des OGM. En tout cas, la communauté scientifique se penche sur la question car la technique s'apparente à la thérapie génique pratiquée sur l'homme, ce qui pourrait modifier la perception des OGM. La technique du « genome editing » avance. Des chercheurs américains sont ainsi récemment parvenu à éteindre le gène de sensibilité de l'orge au mildiou. Selon, le chercheur italien Riccardo Velasco (qui a dirigé le pilotage du séquençage de la vigne), il serait possible de réaliser la même chose pour assurer la résistance de la vigne à l'oïdium...
Capteurs : ils seront partout !
Installés sur des pieds de vignes, des bouteilles de vin, dans des barriques, le chai, sur des tracteurs, et même désormais sur des vêtements ou l’électroménager…Les capteurs sont déjà partout, et le seront encore davantage dans les années à venir.
Le développement des vêtements et accessoires équipés de micro-capteurs intelligents, surnommés les « waerables », laisse par exemple entrevoir les projets les plus fous. Intégrés dans les textiles, ils permettent la mesure de multiples variables : rythme cardiaque, mouvement, position GPS... Demain, ils permettront la mesure en temps réel d’indicateurs de température, d’humidité, de déshydratation, de respiration, de pH, ou encore d’informations sonores et visuelles. C’est d’ailleurs sur ce même créneau que la start-up E-provenance a récemment mis au point des capteurs permettant la mesure de la température et de l’hygrométrie dans les caisses de vin, données qui sont ensuite envoyées et suivies sur Smartphone. Dans les tuyaux également, la mise au point de capteurs solaires intégrés sur objets et vêtements, tissés dans la fibre elle-même, pour produire de l’électricité, et ainsi recharger des batteries. Et pourquoi pas, demain, des sécateurs électriques qui se rechargent tout seul ? Ou encore des vêtements chauffants, pour mieux résister au froid, lors de la taille, l’hiver ?
Dans le domaine plus technique de la viticulture, les chercheurs fondent des espoirs sur les « caméras hyperspectrales ». Capables de détecter des signes précurseurs de développement de maladies fongiques, elles permettraient à terme de les contrecarrer avant même leur apparition. Pour optimiser l’irrigation, la « thermographie infrarouge », qui mesure la température du feuillage, devrait permettre à terme de mesurer la bonne évapotranspiration de la plante et en optimiser l’irrigation. Des capteurs de particules présentes dans l’air sont également à l’étude : « On peut envisager qu’un jour ils captent les spores de champignons présents dans l’air, afin de prévoir les attaques de mildiou ou d’oïdium ? », témoignait Gilbert Grenier, professeur à Bordeaux Sciences Agro, lors d’un colloque sur le sujet en novembre 2014. Les capteurs de demain permettront aussi l’acquisition d’images en trois dimensions, grâce à la photogramétrie ou au Lidar, un type de radar. « Cela permettrait de mieux caractériser l'expression végétative », explique Bruno Tisseyre, spécialiste des technologies de communication en viticulture à Montpellier SupAgro. Mais pour lui, la grande innovation viendra surtout des évolutions des capteurs associés à la télédétection : drones, avions, satellites. « Elles permettent l’acquisition de nouvelles données sur de grandes échelles, sans avoir la contrainte de devoir aller dans les vignes. Grâce à cette technologie, on peut avoir des photographies de l’état général de la culture, très difficile à obtenir par des moyens classiques », conclut celui-ci.
Robotique : le tractoriste pourra se concentrer sur l'observationPour le suivi de la pression phytosanitaire comme de la maturité des raisins, les robots ne semblent pas prêts de remplacer l'expertise technique du vigneron. De nouvelles générations de capteurs embarqués sur les tracteurs semblent plus opérationnels. Les tracteurs viticoles se sont réellement robotisés, accueillant des systèmes d'autoguidages permettant aux tractoristes de moins se préoccuper de leur conduite et de plus se pencher sur celle du vignoble (adaptant la pulvérisation selon la végétation, repérant les pieds atteints de maladie du bois, de carences...). « Le coeur de métier du vigneron reste l'observation. L'autoguidage du tracteur lui permet de se concentrer sur le travail du sol qu'il réalise et plus sur la seule conduite » explique Romain Baillou (château Couhins, INRA).
La viticulture devra encore patienter pour arriver au stade de tracteurs conduits par GPS ! Mais on peut espérer que le bond en technologie à venir permettra de relâcher la pression sur le métier de tractoristes. La recherche de main d'oeuvre saisonnière compétente et motivée restera par contre un enjeu pour les vendanges comme la taille. Si les machines à vendanger vont se positionner de plus en plus ouvertement en concurrence directe avec la cueillette manuelle, il n'est pas dit que les freins psychologiques cédent. Pour les robots de taille, l'enjeu de la première génération en cours (Vitirover, Wall-YE...) est de convaincre pour emporter l'adhésion. Rien n'est encore gagné en la matière.
Objets connectés et terminaux mobiles : le renouveau du collectif ?Il est possible d'imaginer que tous les outils (du tracteur au drône en passant par la cuve) du viticulteur ou du vigneron seront demain connectés et fourniront des informations aux professionnels via leur smartphone ou leur tablette. En permanence, des données pourront être consultables et apporteront une aide à la décision. Avec les années, elles permettront de créer des bases de données permettant d'améliorer les modèles de prévision, guidant de mieux en mieux les choix.
Ces objets connectés et smartphone, alors qu'ils apparaissent très personnels, pourraient paradoxalement donner un second souffle à la notion de « partage » et de « collectif ». C'est du moins ce que perçoit Gilles Brianceau, directeur d'Innovin. « C'est la masse qui fait l'intérêt de l'outil. Le collaboratif a un vrai avenir car il permettra d'éditer des cartes précises d'attaques de mildiou, d'impact de la grêle » estime-t-il.
Cela c'est pour la théorique, reste la pratique. Deux freins se posent. Le premier est lié à la confidentialité : le vigneron n'aura peut-être pas envie de partager avec ses concurrents ou ses acheteurs qu'il a connu un pépin lors de la fermentation... « Pour parvenir à l'implication de tous dans ces projets collectifs, il faut lui proposer un service en retour et bien sûr une garantie sur la confidentialité des données » souligne Gilles Brianceau. Le second frein concerne la fiabilité des informations. Et Gilles Brianceau d'imaginer des systèmes permettant de vérifier les données et de les valider.
Big data : un second souffle pour la viticulture de précisionEn 2025, on peut imaginer que le bureau du vigneron aura achevé d'être dématérialisé. L'ensemble de son programme quotidien se trouvera sur sa tablette (ou le prochain support digital) : chantier viticole à organiser selon la météo (irrigation, traitements...), sélection des vins en cours d'élevage à contrôler, bons de commande et offres commerciales générées directement à partir des mails de clients, relance des contacts récoltés lors d'un dernier salon, point prévisionnel sur la comptabilité matière... Grâce au traitement de l'ensemble des informations de la propriété (soit le big data) : adieu agendas, post-it et autres tableurs artisanaux. Ecrans et alertes automatiques serviront de pense-bêtes intelligents au vigneron du XXIème siècle. « Les algorithmes ne prendront pas de décision à notre place, mais ils formuleront des propositions parmi lesquelles nous pourrons choisir » explique le consultant Alain Sutre (D2E).
Mais les technologies auront beau évoluer, la vigne reste une culture avant tout soumise aux aléas climatiques. La prévision météo et l'intégration de son historique dans des Outils d'Aide à la Décision (OAD) marquera l'avènement de la viticulture de précision. Concept un temps galvaudé, cette viticulture nouvelle génération permettra à l'exploitant d'avoir en main une palette de choix répondant à un ensemble de mesures pédoclimatiques. Si les softwares d'OAD doivent se développer à la hauteur des capteurs, leur enjeu restera l'intégration et le traitement d'un maximum de données : si le big data ne cesse de grossir, son exploitation optimale prendra encore du temps.
Si la technique (au vignoble, mais aussi dans les chais pour le suivi des opérations de vinification, etc.) forme le coeur du big data viticole, on y trouve également les données commerciales, logistiques et même administratives. On peut cependant craindre que cette dernière charge reste pesante, malgré la quasi-automatisation des téléprocédures...