Revue de presse : Perles

e vin est la marque du temps qu’il fait et celle du temps qui passe. C’est que nous disent l’essai de l’Italien Alessandro Barrico, le n°9 de la revue « sereine et saisonnière » In Vino, et l’arrivée sur la toile de nos voisins belges d’In Vino. 

Les Barbares - Essai sur la mutation -Alessandro Barrico ? Gallimard - 223p, 19,50?

Les barbares de l’essayiste italien Alessandro Barrico ont peu à peu conquis, puis envahi et enfin saccagé en le transformant le siège de l’expression de la civilisation occidentale. Les barbares, c’est vous, moi, nous, des mutants qui perpétuons des gestes et des us, accumulons les expériences mais avons perdu « le sens », « le totem ». Googelisants, nous surfons sur l’écume des choses, passons indistinctement d’un monde à un autre, tels notre enfant qui tout « en jouant à la Game Boy, mange son omelette, téléphone à sa grand-mère, suit un dessin animé à la télévision, caresse le chien du bout du pied et chantonne un jingle publicitaire ». Le mouvement, nous dit Alessandro Barrico, est devenu « la valeur suprême », quitte, tel Dorian Gray, à y sacrifier notre âme, ou plus exactement à nous en passer. Nous n’éprouvons plus des sentiments mais des sensations, nous restons à la surface du plaisir et ne savons plus ce qu’est la joie de la profondeur. Pour observer ce monde qui disparaît et celui qui se dessine, l’essayiste, et c’est là, tout l’intérêt de cet essai qui nous concerne tous choisit quatre focales qu’il appelle « des villages saccagés » : le vin, le football, le livre, la musique classique. Le vin. « S’il vous faut une date, un nom et un lieu les voici :1966 Oakville, Californie ». Voilà d’où partit l’invasion barbare. Robert Mondavi, puisque c’est de lui dont Barrico nous parle, « savait que le public américain était profondément ignorant (en matière de vin) (…) Il savait aussi que c’étaient des gens qui mangeaient habituellement de façon sommaire (…) Il se les représenta avec un bon gros cheeseburger et une bouteile de barabresco, et il comprit que ça ne marcherait pas ». Pour que ça marche, il fallait que le vin « soit simple et spectaculaire ». Mais ce vin, poursuit Barrico, c’est comme « de mettre Schumacher sur une piste de kart ». « Pas mal, mais bof ». Il concut :

« A sa façon, le microcosme du vin décrit l’avènement, au niveau planétaire, d’une pratique qui sauve le geste, certes, mais qui semble (j’ai bien dit qui semble) en perdre le sens, la profondeur, la complexité, la richesse originelle, la noblesse et même l’histoire ». Les sceptiques et incrédules se reporteront au chapitre Portraits, partie 8, « Authentique ».

 

In Vino dans le Jura

C’est une revue « sereine et saisonnière, voyage au pays des mille vignes ». In Vino annonce un numéro 9 qui ne dit pas que le temps passe. Après des années qui ne sont pas comptées, le trio fondateur, Jacques Maigne, l’auteur, le sommelier-conseil Alain Bosc, et le photographe et éditeur Bruno Doan, est toujours là et nous embarque cette fois dans le Jura. C’est une revue qui se lit comme un carnet de voyage entre amis, à l’ancienne, c’est-à-dire ouvert sur le monde. Le premier souvenir rapporté, ce qui dans une revue classique tient de l’éditorial, pioche dans une anthologie des poètes du vin et donne le ton. Il commence avec Ronsard : « Le soleil est bu de la lune/Tout boit soit en haut soit en bas/Suivant cette règle commune/Pourquoi ne boirions-nous pas ? ». Et se termine avec le Vin des chiffonniers : « C’est ainsi qu’à travers l’humanité frivole/ Le vin roule de l’or, éblouissant Pactole/ ». Alain, Bruno et Jacques s’en vont donc dans le Jura à la rencontre de vignerons et par le choix serré de leurs rencontres dessinent un portrait du vignoble, « virgule montagneuse », « perdue tout là-haut au nord-est ». Le Jura, c’est tout «  ce qui nous rend à la fois admiratifs et curieux, ravis de croiser de loin en loin des femmes et des hommes capables de réhabiliter le respect, l’exigence la rigueur ou le partage qui font la grandeur du vin ». Le Jura est un vignoble d’hommes et de femmes du cru, tel Jean-François Ganevat mais aussi une terre où est venu s’échouer un couple de Japonais, Kenjro et Mayumi Kagami, « deux insectes butinant », sous la protection du premier. Après une halte au refuge des fées et un crochet par la saline royale d’Arc et Senans – c’est bien un voyage que fait le trio-, nous voici chez un vigneron « qui aime bien écouter du reggae dans la vieille 205 qui le conduit jusqu’aux vignes », lesquelles recèlent un bijou : une parcelle « complantée depuis 1896 » de cépages oubliés ou en voie de disparaître, « chardonnay à queue rouge, pinot meunier, gueuze, enfariné et même un plant de mézy qu’on croyait éteint pour lequel les biologistes du domaine de Vassal ont fait le voyage exprès ». Les portraits d’Evelyne et Pascal Clairet puis Pierre Overnoy et Emmanuel Houillon sont là pour nous rappeler que la vigne et le vin puisent à la grâce de l’amour et de la transmission. Voici le compte-rendu de l’une de leurs dégustations : « Il a disposé les chaises avec soin, nettoyé la table, essuyé les verres un à un, on est bien calés autour de l’autel et le ploussard tout en finesse évoque les baies sauvages ou les raisins de treille. Que dire ? Rien. Juste boire lentement et bénir le présent ». Alea jacta est.

In Vino, 16€. Tel : 04 66 68 18 33 / email : contact@atelierbaie.fr, 10 rue des Tilleuls, F-30 900 Nîmes/ htttp://invino.fr

 

In Vino, la Belge, on line

Le mensuel belge In Vino, s’affiche en ligne. « En général, les News, chez IVV, c’est pour les autres. Mais cette fois, c'est pour nous!
 Depuis vendredi, notre le site est (enfin) intégralement en ligne ». In Vino, le site, n’est pas seulement un site. Nos amis belges veulent aussi « créer quelque chose qui réunisse les amateurs de vins ». C’est autour d’un « Bar à vin Ivv ». où chacun peut « partager ce que ‘il a vécu et goûté : « dégustations exclusives, voyages dans le vignoble, rencontres avec des vignerons de passage chez nous, conférences que nous concocterons spécialement pour vous ». L’éditorial de cette première édition 100% numérique donne le ton. Il met en regard les commentaires de dégustation d’experts et d’amateurs sur un même vin. « Celui des experts : « Le Vouvray Demi-Sec présente des notes de citron, de coing confit et de fruits mûrs avec de légères notes grillées. Très bel équilibre entre le sucre et l’acidité qui confère à cette cuvée élégance et harmonie. »
Et voici celui des consommateurs:
« Odeur entrainante, bulles légères, goût fruité et sucré. Son coloris (sic) jaune pâle lui donne une apparence festive agréable ».
Ce petit exemple montre bien l’écart qu’il y a entre le vin tel que nous autres professionnels le percevons, et le vin vu par le consommateur lambda (buveur, mais pas forcément oenophile).
Je ne sais pas si cet écart grandit ou non, je ne sais pas s’il est « normal » ou pas, et même si nous devons nous efforcer de le réduire ». Le support change, mais la ligne funambuliste demeure.