esco a annoncé son plan stratégique Less is more, aux termes duquel l'enseigne s'achemine vers une remise en cause durable et profonde du modèle de la grande distribution britannique, qui, de toutes façons, avait trouvé ses limites. Dans son edito de février, Richard Siddle, rédacteur en chef de Harpers note que « la refonte par Tesco de ses référencements, qui pourraient être diminués de 30 %, aura des conséquences qui n'épargneront personne dans la filière vins et spiritueux » au Royaume-Uni.
Des gammes réduites de 30 % et davantage d'implication demandée aux fournisseursTesco a annoncé fin décembre son plan stratégique Less is More au sein duquel la mesure phare est la contraction drastique des référencements, qui pourrait aller jusqu'à 30 % de marques éliminées, tous rayons confondus. Pour le consommateur, les rayons seront plus lisibles... Mais le plan stratégique de Tesco ne se résume pas à aligner l'enseigne sur les pratiques du hard discount : il comprend en effet un important volet sur une implication accrue des fournisseurs dans la promotion pour ceux qui voudront rester dans la course (d'où le titre « Less is more »). Ces derniers n'ont donc pas fini de déployer des efforts de séduction (et des budgets promotionnels sous diverses formes) auprès des grandes enseignes.
Pour Greg Wilkins, directeur de Brand Phoenix, qui fournit, entre autres, les Quatre Grands de la GD britannique (Tesco, Asda, Sainsbury's et Morrisons) « Une réduction moyenne de 30 % des gammes, c'est à peu près ce qu'il faut viser. Tesco l'a annoncé haut et fort mais nous avons eu des échos similaires de nos autres clients. A l'arrivée, il s'agit de se demander par exemple si on a réellement besoin de cinq ou six références de Pinot Grigio. Évidemment, la réponse est non. Deux ou trois suffisent largement. On coupera moins sur d'autres références car il faudra faire attention à continuer à couvrir toute la demande, ce que les hard-discounter ne font pas à l'heure actuelle et qui reste un avantage pour la GD classique. »
L'ensemble de la filière britannique s'attend donc à ce que la refonte des référencements se traduise par une concurrence accrue entre fournisseurs pour rester dans la course et, à court terme, sur 2015 et 2016, à une réduction drastique du nombre de fournisseurs de la GD, « avec de moins en moins de place pour les intermédiaires et les agents, car les distributeurs souhaitent traiter toujours plus directement avec les propriétaires des marques », précise Greg Wilkins. Interrogés par Harpers, les directeurs des grossistes et agences qui fournissent la GD parlent de phase de consolidation normale, appellent au calme et à considérer la situation comme un vaste cycle de développement. On reste positif.
Robin Copestick, directeur de l'agence Copestick Murray note toutefois qu'avec la reconnaissance de l'échec des supermarchés à « fournir tous les types de produits à tous les types de clientèle », les grandes enseignes vont renvoyer les consommateurs à la recherche de vins de qualité vers d'autres distributeurs. L'objet du plan Less is more n'est donc certainement pas de réintroduire du rêve dans le rayon vin du supermarché...
Vu d'Espagne, du Chili ou d'Australie : « ça nous va »Les producteurs les plus directement impliqués avec la grande distribution britannique indiquent d'ores et déjà que cette consolidation n'est pas tant un défi qu'une réelle opportunité pour eux. Richard Cochrane, qui dirige les opérations de l'espagnol Felix Solis au Royaume-Uni explique en effet dans les colonnes de Harpers que des producteurs comme Felix Solis, mais aussi le chilien Concha y Toro ou l'australien Australian Vintage, jouent déjà depuis quelques temps un « rôle toujours plus important » auprès de la grande distribution et que le recul des intermédiaires ne peut que renforcer cette tendance en leur faveur. Déjà en 2014, les ventes de Felix Solis ont progressé de 30 % sur le off-trade, malgré un contexte défavorable qui a vu les ventes de vins espagnols décliner de 8 %.
Pour Simon Doyle, de Concha y Toro UK « les références trop nombreuses imposaient constamment des arbitrages entre variété de choix et disponibilités des produits qui se finissaient en casse-têtes logistiques » dont les producteurs se réjouissent de voir le bout. « Nous préférons proposer quatre présentations de trois produits que deux présentations de cinq produits. C'est plus facilement gérable du point de vue disponibilités et la disponibilité est essentielle pour une marque de vin ! »
La consolidation en amont du off-trade devrait donc se faire notamment au profit de ces fournisseurs-clés, producteurs-propriétaires de marques et « capitaines de catégories » pour chaque pays d'origine, aux côtés des marques de distributeurs développées en direct et sur place avec la production (pour relire notre article sur le fonctionnement des marques de distributeurs de Tesco, cliquez ici) avec une petite place pour quelques références qualitatives fournies par des agences. En dehors de la GD, le secteur compte toujours plus sur les distributeurs indépendants, dont la bonne santé compense le déclin des ventes de vin en GD, dans la limite des 20 % des ventes qu'il représente au sein du off-trade...
Le meilleur rapport qualité-prix fait le succès des discounterDevant un déclin continu des ventes de vin, la GD classique doit se remettre en cause : sur un an en janvier 2015, indique IRi, les ventes de vin poursuivent leur déclin à un rythme de -1,5 à -2 % selon les enseignes des Big Four (Tesco, Asda, Sainsbury's and Morrisons). Dans le même temps, Lidl progresse de 15 % et Aldi de 22 %.
Le succès des hard-discounter reflète une tendance générale, mais en ce qui concerne celui des ventes de vin en particulier, il repose sur d'excellents rapports qualité-prix qui ont été signalés et médiatisés par Wotwine, une application gratuite lancée à l'été 2014, quelques semaines avant l'explosion du scandale du Tescogate, par une équipe de dégustateurs menés par quatre Masters of Wine, dont Christopher Burr, ancien directeur de la branche vins de Christie's.
Avec Wotwine, « le Sommelier du Supermarché », le consommateur photographie le code barre du vin en rayon et découvre le verdict de Wotwine sur son rapport qualité-prix.*
Christopher Burr MW nous le disait en novembre dernier : les chaînes de hard discount proposent le meilleur rapport qualité-prix sur des gammes plus courtes. Coïncidence ? Tesco a annoncé ce mois-ci une réduction drastique de ses référencements, tous rayons confondus, dans un esprit hard-discount, pour faire gagner en temps et en efficacité à ses clients « en proposant dix marques d'huile d'olive et vingt marques de lessive, la GD multiplie les chances de fournir au consommateur la marque qu'il recherche. Mais, a contrario, il multiplie aussi le temps que celui-ci passe dans les rayons à la chercher, voire diminue les chances qu'il la trouve », résume le consultant en marketing Anthony Biles, dont la vision reste très positive pour Christopher Bur MW, « Si vous allez chez Lidl ou Aldi acheter une brosse à dent à poils durs, vous avez une référence. En hypermarché, vous en avez douze. Où est le besoin du consommateur dans une offre aussi généreuse ? Il s'agit bien de récolter des budgets promotionnels auprès d'autant de marques que possible ! »
Le consommateur ne s'y retrouve pas, à l'évidence, et la multiplication des marques a induit un autre effet pervers sur son comportement : « Le consommateur britannique a pris l'habitude d'aller au supermarché acheter du vin en promo, car c'est encore le meilleur moyen de s'y retrouver entre 800 références en moyenne dans les rayons à l'heure actuelle », note Gemma McKenna pour Harpers. Adieu cépage, pays/région/appellation d'origine, packaging : le facteur numéro un d'achat n'est même pas le prix mais la promo sur le prix.
*Pendant deux ans, la fine équipe a dégusté plus de 4000 vins, par cépage et/ou catégorie, et attribué à chacun une note et un prix que ces acheteurs aguerris seraient prêts à payer en tant que consommateur. En comparant au prix pratiqué en magasin dans les huit chaînes de supermarchés et hard discounters du Royaume-Uni (Asda, Aldi, the Co-op, Lidl, Marks & Spencer, Morrisons, Sainsbury’s, Tesco et Waitrose) ils ont élu les meilleurs rapports qualité-prix du moment et réactualisent chaque semaine leurs conclusions, en disposant à présent d'un historique qui fait référence.