e désemplissant pas, les carnets de commandes des pépiniéristes viticoles menacent de virer à la liste d'attente, ce début 2015. Dans la pépinière française, 2014 restera un petit millésime : le taux de reprise des greffés-soudés traditionnels (de plein champ) étant tombé à moins de 50 % au niveau national. Que l'on voit ces taux à demi-réussis ou à demi-ratés, les pépiniéristes ne s'en sont aperçus qu'en décembre dernier, au moment des triages de plants (et du test des cals de soudure). Les effets de cette sous-production commencent à se faire ressentir, une pénurie étant d'ores est déjà annoncée par les pépiniéristes du Languedoc-Roussillon. Dans le reste de la France, l'offre en plants devrait être tout sauf pléthorique. En Aquitaine, il manquera ainsi 2 à 2,5 millions de plants traditionnels selon les estimations du pépiniériste bordelais David Amblevert.
Dans cet entretien, le président de la Fédération Française de la Pépinière Viticole se veut rassurant, soulignant la mobilisation et les efforts de la pépinière pour ne pas céder à la spéculation (« le raffermissement des prix ne sera jamais à la hauteur de nos pertes ! »), honorer les commandes (« les pots sont une excellente solution alternative ») et apprendre de ce cas de figure exceptionnel (« avec ces taux de reprise, c'est notre production qui a coulé, comme le vignoble bordelais en 2013 »).
Alors qu'elle œuvre à l'application de son plan de compétitivité, l'objectif de la pépinière viticole en 2015 est donc de répondre à un pic de demande, alors que « l'avenir reste incertain. Que se passera-t-il, si après 2018, il n'y a plus de plan collectif ? » s'interroge David Amblevert, qui se souvient des années 2007 et 2008 où un million de plants avaient été brûlés.
Comment se fait-il que les faibles taux de réussite de greffage semblent être une surprise pour tous, à commencer par les pépiniéristes ?D'apparence, les greffés-soudés au champ semblaient plus que corrects en 2014 : ils étaient magnifiques. Effectuées visuellement par les experts de FranceAgriMer, les estimations de reprise annonçaient des taux dans la lignée de 2013. On ne s'est réellement aperçus de la baisse des taux de reprise qu'en décembre, lors des triages de plants : les cals de soudure se cassaient, ne réussissant pas le test du pouce. Et maintenant, je peux vous dire que l'on trouve partout des stocks d'étiquettes bleues [NDLR : les Passeports Phytosanitaires Européens] !
En Aquitaine, nous avons tenu fin janvier une réunion extraordinaire, pour faire le point entre pépiniéristes. En moyenne, le taux de reprise en plein champ a baissé de 10 à 15 %. Soit une perte de 2 à 2,5 millions de plants au niveau régional (sur 20 millions de greffés-soudés mis en œuvre en moyenne). Au niveau national, on s'attend à moins d'une reprise sur deux. Pour moi, la devise de la pépinière, c'est de ne pas donner dans le triomphalisme, mais dans l'humilité : nous sommes une culture agricole soumise aux aléas climatiques. En 2013, le vignoble bordelais a connu une année de coulure. En 2014, avec ces taux de reprise, c'est notre production qui a coulé.
Avec les faibles taux de reprise de 2014, doit-on annoncer une pénurie en 2015 ?Sur le croissant méditerranéen, il y a bien une pénurie (en conséquence notamment des fortes pluviométries de l'automne). Mais en Aquitaine, ce n'est pas le cas, du moins aujourd'hui. Ici le marché est soutenu, effervescent... Tout ce que vous voulez, mais je n'ai pas entendu un seul viticulteur se plaindre que son pépiniériste ne pouvait pas honorer ses commandes. En revanche, on constate de moins en moins d'anticipation de la part des vignerons... On enregistre une saison historique au niveau national, avec une demande très forte, mais une production très faible : les plants sont rares ! On va devoir gérer la situation en 2015, et il faut encore espérer que les taux de reprise sous serre se maintiennent, les enjeux sont considérables pour les plants en pot.
Avec cette rareté, les vignerons ont-ils raison de craindre une spéculation sur les prix ?Il n'y a pas de spéculation en Aquitaine, les bases tarifaires sont plus que raisonnables. Il va y avoir un raffermissement sur les prix, ils vont croître pour tous les assemblages cépage/porte greffe. Mais ce ne sera jamais à la hauteur de nos pertes ! Paradoxalement, c'est l'année où nous avons le plus de demandes que les comptes d'exploitation des pépinières seront en repli. La pépinière et la viticulture ne forment pas deux familles distinctes, nous sommes cousins. Plus que jamais la pépinière donnera son maximum, on a toujours pu répondre à la demande, mais, cette année, il y a un problème. Les plantations vont être favorisées par rapport aux complantations, que l'on peut décaler de 6 mois.
Que conseillez-vous aux vignerons qui désespèrent de trouver du matériel végétal cette année ?Plus que jamais, il faut qu'ils se rapprochent de leurs pépiniéristes. Si jamais leurs fournisseurs ne peuvent pas les satisfaire, il y a encore des possibilités d'aménagement des plans collectifs, avec des avenants qu'ils peuvent mettre en place ce printemps. Et pour les régions où cela est techniquement pertinent, les pots sont une excellente solution alternative (selon les sols et le climat : la façade atlantique est propice, pas le bassin méditerranéen). Il ne faut pas que les viticulteurs aient de crainte, les pots demandent une implantation minutieuse, mais ils marchent aussi bien que les plants traditionnels. Et si certains s'entêtent à maintenir leurs demandes de plants traditionnels (et que leurs pépinières ne peuvent pas y répondre), ils devront attendre un an, il n'y a pas d'autre solution.
Si la demande est historiquement haute, le potentiel de production des pépinières françaises reste déclinante...En 15 ans, la surface du verger de vignes mères a diminué d'un tiers. Pour cause de cessations d'activité, mais aussi aussi pour des raisons sanitaires. On subit une frilosité administrative qui vient d'un principe de précaution excessif. De plus en plus de vignes-mères de porte-greffes sont mises en quarantaine, sans fondements techniques. Par exemple, on n'a pas le droit d'utiliser le seul insecticide autorisé en bio, le pyrévert, pour lutter contre la flavescence dorée, donc on n'a pas le droit de prendre les bois des parcelles qui l'utilisaient. On perd du potentiel de production, c'est aberrant. Si à terme l'administration française ne laisse pas le soin aux pépinières françaises de produire des plants, l'administration se trouve être l'ambassadeur de plants étrangers.
On est menottés face à la sur-réglementation. Il faut arriver à un standard européen pour lisser la régulation. Mais sans perdre le socle qui fait la spécificité de la pépinière française. La qualité sanitaire ne se négocie pas, la libéralisation prônée par la Better Regulation nous inquiète.
[Photos : Aperçu des travaux hivernaux dans les Pépinières Viticoles Amblevert (Sainte-Florence) cette fin janvier (Alexandre Abellan/Vitisphere)]