l y a des lieux et des destins extraordinaires, au sens littéral du terme. Le nouveau livre du géologue Charles Frankel, « Vins de feu », et le carnet de rencontres du collectif « Les carnettistes tribulants », Paysannes, racontent, en textes et en images, des destins extraordinaires.
Catherine Bernard
Vins de feuVins de feu A la découverte des terroirs de volcans célèbres Charles Frankel Editiond Dunod 237p, 24,50€
Géologue, spécialiste du système solaire, il fallait bien que Charles Frankel finisse par rencontrer la vigne, plante qui plus que tout autre rend hommage à l’astre vénéré par les Incas. Et c’est heureux. Après nous avoir fait découvrir dans un essai les « Terres de vigne » (voir Vitisphere..), l’auteur-voyageur nous convie cette fois à la découverte des terroirs des volcans célèbres. On pense tout de suite à Pline l’Ancien, auteur d’une histoire naturelle encyclopédique, mort en 79 au pied du Vésuve en éruption, piqué par cette étrange attirance commune à la vigne et aux hommes pour le soufre. On se souvient de ses descriptions du vignoble qui s’étalait à ses pieds dans le livre III chapitre IX: « A partir de ce golfe commencent les collines couvertes de vignes et la griserie bien connue à travers le monde entier que nous donne leur illustre nectar ». Mais Charles Frankel est le guide d’un voyage bien plus ambitieux. Il nous transporte, dans le temps et dans l’espace, de l’île de Santorin, « théâtre de la plus violente éruption des temps historiques, en 1620 av J-C », à Napa Valley en passant par « sa majesté l’Etna » et le Puy de Dôme, dont on oublie souvent qu’il fut, avant le phylloxera, l’un des plus grands vignobles de l’Hexagone. Ce voyage s’avère absolument passionnant. Frankel fait littéralement parler les pierres ponce, les strates de lave et de cendres, et autres scories minérales. Nous sommes les témoins du réveil des volcans, « bouchons qui sautent » et font « mousser le magma comme un champagne », « fontaines de lave qui jaillissent », puis de l’indécrottable ténacité de l’homme quand il s’agit du vin. Il cultive la vigne en corbeille ou en treille, dresse des murets en pierre de lave, creuse des caves dans la roche volcanique. On boit du vin au théâtre, au grand stade, et dans les 200 tavernes de Pompéi, puis l’on fait un saut dans notre époque pour visiter avec Salvo Foti « un vieux palmento perdu dans les vignes, avec son fouloir et ses bassins en pierre de lave ». Traits d’unions entre la terre et le ciel, l’hier et l’aujourd’hui, il y a les cépages : l’assyrtiko et l’athiri de Santorin, le piedirosso et le coda di volpe du Vésuve, le nerello mascalese et le catarratto de l’Etna, le muscat blanc du Stromboli, la malvoisie des Canaries. Tous ces vignobles connaissent des âges d’or qui alternent avec le déclin. De Pompéi et du Vésuve, Frankel en conclut, et cela vaut pour toutes ces terres volcaniques : « Elles symbolisent les bienfaits d’un volcan qui procure au hommes des terres fertiles et un microclimat avantageux, et qui exerce une attirance irrésistible sur les populations, malgré les risques encourus ». Tant qu’il y aura des volcans….
PaysannesPaysannes (Carnet de rencontres) avec des femmes engagées Editions La boîte à bulles 231 p, 30€
C’est un cadeau offert par une amie, c’est-à-dire un cadeau d’intention et d’attention : Paysannes. Le mot est ancien, a longtemps été banni de l’usage, et le voilà qui, porté par des femmes, renaît, vivace et puissant, moderne. L’objet-livre est neuf, produit du « dessein de croiser des champs : celui de l’agriculture, celui de l’art, et celui du genre ». Ainsi, des écrivains, des dessinateurs et trices, des graphistes sont partis à la rencontre de Chantal qui produit à Corps-Nuds en Ille et Vilaine « des pommes, des vaches à viande, et des céréales en bio-dyanmie », de Charlotte qui cultive à Miré 60 hectares de blé, de colza, de tournesol, de maïs et d’engrais verts en agroforesterie, de Flavie qui cultive 400 variétés de tomates à Genté, de Dany et Laurence qui font du cognac et de Chloé du vin en Bourgogne et d’autres encore, 19 en tout. Les auteurs, membres du collectif « les Carnettistes tribulants », une au nombre d’une vingtaine, inventent avec ce carnet de rencontres une écriture de l’actualité radicalement différente, sensible et subjective, et dès lors beaucoup plus proche de la complexité de la réalité que les furtifs feux braqués des caméras. « Entre rêves et réalité, racines et vents, dedans et dehors, il y a comme une oscillation», prévient, dans la préface la réalisatrice Coline Serreau. Prenons Chloé, « 4ème des cinq filles » de Claude Chevalier, viticulteur à Ladoix-Serrigny. Il y a dans le portrait à l’encre noire de la jeune femme la détermination dont elle doit chaque jour faire preuve, car « dans le sérail des plus grands crus de Bourgogne – le corton charlemagne- la féminisation est encore discutable ». Elle raconte : « C’est un métier assez physique, vous savez, et je veux le faire pleinement ! Chaque fois que je dois soulever une caisse ou déplacer un tonneau, on me dissuade de le faire ». Deux dessins se font face : l’un illustre une cave voûtée où reposent des barriques, l’autre un évier et un égouttoir où sèche la vaisselle. Les parents de Flavie étaient vignerons. « C’est pour prendre leur suite que Flavie avait passé un bac professionnel « Vigne et vie », puis un BTS d’agronomie viticole et de terroir œnologiques. « De graves allergies survenues lors d’un CDD (…) la persuadèrent de la nécessité de passer à d’autres pratiques agricoles : les enzymes utilisées pour maturer le moût, les produits pour nettoyer les cuves, les gants de latex lui occasionnèrent un eczéma sur les bras et les mains, le soufre provoqua des crises d’asthme ». Elle renonce à la viticulture, mais « pas à sa passion de petite fille, les légumes », qu’elle commercialise via une Amap. Au hasard d’une page, surgissent des phrases qui sonnent comme des glas : « Les agriculteurs ne sont plus des paysans. Ils ne font plus rien à la main. Ils font tout à la machine. Ils ne font plus de jardin, ils achètent des frites surgelées, du lait en boîte. Ils ne savent plus ce qu’est la nature ». Paysannes aux ongles qui ont pris terre, elles le sont, glorieusement.