Il est peu question directement de vin dans l’actualité de cette semaine, et beaucoup de ce qui gravite autour, les inventions dites révolutionnaires pour le servir, le bouilleur de cru, la notion de terroir élargie, et même, même l’habit.
Catherine Bernard
Deux inventions, à ranger au rayon des accessoires, intéressent cette semaine et depuis plusieurs autres les media. Il semble que les ingénieurs nantais de D-Wine aient trouvé le sésame pour commercialiser leur invention. « Nantes : ils lancent la nespresso du vin », titrait la semaine dernière le site 20 minutes.fr. « Ils s'appellent Thibaut Jarrousse, Jérôme Pasquet et Luis Da Silva. Ces trois ingénieurs nantais, déjà fondateurs de la société 10-vins spécialisée dans la fourniture de «vin au verre», ont lancé jeudi soir la commercialisation de D-vine, une machine «unique au monde» qu'ils qualifient eux-mêmes de «Nespresso du vin». (…) Au lieu d'une capsule de café, on insère au sommet de la machine un flacon-tube de 10 cl de vin, l'équivalent d'un verre. La D-vine va ensuite lire le code inscrit sur le flacon et, en fonction de ses caractéristiques, servir le breuvage idéalement aéré et à la bonne température. Le processus prend une minute », rapporte chirurgicalement 20 minutes.fr. Un autre site, Piwee, « dénicheur d’originalité » nous en fait cette semaine l’article : « La véritable révolution se nomme D-Vine (prononcez Divine), une machine capable en 30 secondes d’aérer et de servir n’importe quel flacon à la bonne température. Pour faire simple, c’est un peu la machine Nespresso du vin ! » Le mensuel économique Capital précise : « Les fondateurs, ingénieurs de formation, travaillent sur le concept depuis 2010. Assistés par 3 œnologues, ils ont déjà développé une vingtaine de prototypes et ont déposé un brevet l'an dernier ». Le journaliste anglais Robert Joseph revient lui dans son blog sur l’aventure de deux inventeurs, mais c’est pour lever son verre « aux outsiders qui secouent le monde du vin », dont il dresse un portrait croisé. Venu du silicone, Dennis Burns « a commencé dans les années 1990 avec des casques de hockey et des lunettes de soleil. Un jour, alors qu’il visitait une cave, il s’est demandé pourquoi les bondes en silicone des barriques ne bouchaient pas les bouteilles, et a fondé en 1994 Supreme Corq, depuis supplanté par Nomacorc ». Le second se nomme Greg Lambrecht et « passe de révolution en révolution ». Il est le co-fondateur du système Pay Pal, puis a investi dans Telsa, premier constructeur automobile sérieux de véhicules électriques, et enfin dans Coravin, ustensile « qui permet de boire aussi peu de vin que l’on veut d’une bouteille sans la déboucher ». Dans cette chronique, Robert Joseph veut surtout montrer, reprenant les propos de Greg Lambrecht lui-même, qu’étrangers ou pas au monde qu’ils veulent pénétrer, « il n’y a pas de compréhension et de satisfaction d’un besoin, sans compréhension de l’écosystème du besoin lui-même ». L’ironie de l’histoire est que l’invention de Greg Lambrecht ne marche pas avec les bouchons en silicone de Dennis Burns. Il arrive que les choses soient aussi bêtes que cela.
PasséDe la RVF, à France 3 en passant par Le Point et 20 minutes, on s’émeut cette semaine d’un métier du passé, longtemps compagnon des vignerons, et quasi disparu : le bouilleur de cru. Enfin presque : « Le carnet de rendez-vous de Marc Saint-Martin est saturé : bouilleur de cru itinérant, un des trois derniers en Armagnac, il enchaîne les installations de son alambic centenaire chez les vignerons pour patiemment transformer leurs vins en alcool », raconte la RVF. L’homme promène « l'alambic en cuivre rutilant monté sur une remorque et tiré par un tracteur ». Marc Saint Martin dit aimer « ce métier car c'est un moment de grande convivialité", les braises récupérées étant souvent l'occasion de déguster les produits saisonniers du Sud-Ouest: palombes ou châtaignes grillées et arrosées des meilleurs Armagnacs ». France 3 illustre l’article d’une photo très cinématographique de l’antique alambic. On est à une planète et deux mondes des inventions précédentes.
HabitAu temps des Nespresso et Coravin, le nôtre, Alexandre Abelian décrit cette semaine dans Vitisphere non un sens de l’humour certain une autre étrange lubie : « Perfect Wine attitude, une ligne de vêtements pour homme centrée, et légérement cintrée, sur l'univers du vin ». Leurs concepteurs se nomment Olivier Dauga et Yvon Rousset : « Ancien directeur technique de crus bordelais au look atypique, le premier est un consultant (Le Faiseur de Vin) qui n'a jamais caché son étonnement face à l'absence de marque de vêtements dédiée à un univers passionnel comme le vin. Une approche dont l'évidence a séduit le second, ancien rugbyman et co-fondateur de la marque Eden Park ». Eux aussi entendent « préempter le monde du vin » (sic) auquel ils proposent « un habit de représentation, classique et discrètement excentrique ». Le propos est le suivant: «affirmer son appartenance au monde du vin, à la discrétion de celui qui le porte, mais quand il souhaite le montrer, il est reconnu. » Inspirés « de caractéristiques ampélographiques de cépages emblématiques », « d’une région viticole » (la toiture des hospices de Beaune par exemple), les motifs des tissus seront reconnaissables des seuls initiés ». La ligne s’appuiera, nous précise toujours Alexandre Abelian sur ce slogan : « The french wine wear ». Celles et ceux qui ne comprennent pas de quoi il s’agit se reporteront à l’étymologie et à l’histoire du mot snobisme. Par une de ces coïncidences heureuses, le blogueur Vincent Pousson parle aussi chiffon dans Idées liquides et solides. Il se lance dans une ode à un autre disparu, « la veste de travail, bleue, celle des jardiniers ou des ouvriers, la blanche des peintres aussi », laquelle fait surgir le souvenir : « Dans les années 80-90, avant que Saint-Émilion ne devienne Saint-&-Millions, François Mitjaville en portait invariablement de superbes, parfaitement assorties à l'élégance rurale de son Tertre-Rotebœuf ». Détournée de son usage, voici qu’elle revient sur le devant de la scène de la mode : « Le modèle, inventé et fabriqué en Normandie, date de 1913. L'entreprise qui l'a créée a été reprise par l'héritier d'une famille de filateurs, Alexandre Milan; visiblement, il tente de relancer la marque centenaire, Le mont Saint Michel ». On se le demande : l’habit fait-il le moine ?
Bêtes et terroir
Le sauvetage identitaire du vin français doit beaucoup au regain d’intérêt des Français pour la notion de terroir, laquelle s’étend désormais aux autres productions agricoles. L’animatrice Kathleen Evin recevait jeudi soir sur France Inter le dessinateur Jacques Ferrandez, auteur de la BD « Frères de terroir », et le chef cuisinier parisien Yves Camdeborde à la voix gouailleuse ainsi que l’on peut imaginer celles des producteurs auprès de qui il se fournit. Mais il fut aussi beaucoup question de vin et de vignerons, ceux-ci étant à l’origine du réveil des terroirs. « Ce qui, il y a une dizaine d’années, avait pu apparaître comme une mode pour privilégiés, ceux qui avaient le temps et l’argent pour se procurer les meilleurs produits, les plus sains et les plus savoureux, est en passe de devenir une revendication du plus grand nombre : manger sans se ruiner et sans mettre en péril sa santé, de bonnes choses, qui ont été produites à proximité de chez nous, en respectant les saisons et en permettant à ceux qui nous les vendent de vivre de leur métier », annonce en préambule Kathleen Evin. Signe des temps, le numéro 33 du 1, hebdomadaire à feuille pliée fondée par l’ancien directeur du monde Eric Fottorino, est tout entier consacré cette semaine à « ces bêtes que nous aimons tant (manger) ». Les contributions d’un anthropologue, Julien Clément, d’une philosophe, Elisabeth de Fontenay, d’un boucher, Yves-Marie Lebourdonnec et d’autres sont un plaidoyer pour d’autres modes de production. On aurait tort de ne pas voir dans ce mouvement parallèle un lien avec la production de vin. « L’évolution est buissonnante, elle n’est pas linéaire », souligne Elisabeth de Fontenay.