i les vins de Bordeaux reposent sur l'art de l'assemblage, la palette actuelle des treize cépages girondins* sera-t-elle suffisante pour s'adapter au changement climatique ? Pour aborder les futurs (et incontournables) débats sur la question, le Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux finance le projet de recherche Vitadapt, conduit par l'Institut des Sciences de la Vigne et du Vin (ISVV), afin de mettre à l'essai des cépages hors AOC Bordeaux dans le terroir girondin. Président du CIVB, Bernard Farges explique que « la volonté de travailler, dans un cadre expérimental, les cépages hors appellation au sein de l' AOC » répond au besoin de garder ouvert le champ des possibles, et de se donner « la capacité d'expérimenter et de ne pas le déléguer aux autres segments de la production ». Plantés en 2009, ces 52 cépages seront au centre des orientations d'avenir du vignoble bordelais, dans des discussions qui ne manqueront pas d'apparaître en 2050, 2080... Futurs débats ne seront d'ailleurs pas limités à la seule Gironde, le programme ayant une valeur témoin pour d'autres régions de France et même d'Europe.
* : par décret, les cépages des appellations Bordeaux sont en rouge (rosé et clairet), le cabernet-sauvignon, le cabernet franc, la carmenère, le malbec, le merlot, le petit verdot, et en blanc, le sauvignon blanc, le sauvignon gris, le sémillon, la muscadelle (ainsi que les cépages dits accessoires : colombard, merlot blanc et ugni blanc).
Un terroir bordelais, 52 cépages à l'essaiDepuis 2009, le domaine de la Grande Ferrade (INRA) accueille 52 cépages, allant de l'alvarinho au xinomavro en passant par le pinot noir et le marselan (ainsi que deux hybrides résistants, dont un développé par l'INRA dans le cadre du programme Resdur). Des cépages choisis dans les aires d'appellation de l'Europe entière (Languedoc-Roussillon, Espagne, Portugal...), principalement pour leurs adaptations aux milieux chauds et secs, ainsi que pour leur tardiveté. Cette parcelle expérimentale répond au besoin d'essais rigoureux en plein champ (porte-greffe unique, répétitions en cinq blocs...), avec l'acquisition non seulement d'informations sur des vignes de plein champ, tout en fournissant des informations oenologiques grâce à des microvinifications : « nous allons pouvoir créer une base de données chiffrée permettant de suivre dans le milieu bordelais l'adaptation de cépages au changement climatique (contraintes de température, hydriques et azotées) » annonce Jean-Pascal Goutouly (unité de recherche Ecophysiologie et Génomique Fonctionnelle de la Vigne, à l'ISVV).
Si l'essai des 52 cépages est emblématique, il n'existe pas un seul levier d'adaptation viticole au changement climatique. Soulignant que le délai de maturités entre les zones les plus précoces et les plus tardives de Bordeaux s'étend actuellement sur un mois, Jean-Pascal Goutouly rappelle qu'il faudra également mobiliser de nouvelles pratiques culturales (« réorienter les rangs, gérer l'effeuillage, éviter le palissage serré, essayer le cordon déployé... »), ne pas hésiter à revisiter la diversité des conservatoires de clones et porte-greffes anciens (français comme étrangers).. Pour lui, « les territoires les plus contraints devront peut-être introduire progressivement de nouveaux cépages, plus habitués aux climats secs et chauds », tout en sachant que « la question des modalités d'irrigation se posera inévitablement, tôt ou tard ».
Le projet Vitadapt (intégré dans le projet européen Innovine) devrait être prochainement complété par le lancement de Greffadapt. 56 porte-greffes seront testés sur 5 cépages dès l'an prochain, afin de récolter des informations sur le système racinaire et non plus sur le seul cépage.
La variabilité, seule certitude sur le climat à venirLes informations récoltées par les programmes de recherche seront d'autant plus précieuses qu'actuellement la seule certitude est que le climat sera marqué par une grande variabilité jusqu'en 2050, selon les précisions de Nathalie Ollat (INRA Bordeaux). Co-responsable du projet national LACCAVE, la chercheuse étudie les impacts et moyens d'adaptation du vignoble au changement climatique, un exercice encore plus périlleux qu'« il y a des trous de connaissance » précise-t-elle, « sur les effets des vagues de chaleur à des stades phénologiques précoces, sur les intéractions entre la baisse de la disponibilité en eau et les hausses des températures et des teneur en gaz carbonique, sur les pathologies... » Mais pour les opérateurs viticoles, la principale difficulté de ce changement climatique reste bien l'incertitude qui l'entoure. « C'est le plus dur à envisager, on ne connaît pas la direction du changement, et il faut pouvoir y réagir rapidement en adaptant sa stratégie » estime Nathalie Ollat.
A noter que les données de MétéoFrance estiment que l'Aquitaine est l'une des régions de France métropolitaine qui a enregistré la plus forte hausse de ses températures moyennes au XXème siècle.
[Photo : parcelle expérimentale du Domaine de Ferrade]